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Le partage de l’indivision entre époux séparés de biens constitue un contentieux fréquent devant le juge aux affaires familiales statuant en matière patrimoniale. Le Tribunal judiciaire de Poitiers, par jugement du 17 juin 2025, apporte des précisions utiles sur les conditions de recevabilité de l’action en partage et sur l’évaluation des droits respectifs des indivisaires.
En l’espèce, deux époux s’étaient mariés le 11 juillet 2009 sous le régime de la séparation de biens. Le 23 juillet 2020, le juge aux affaires familiales avait constaté leur non-conciliation et attribué la jouissance du domicile familial à l’époux, celle du camping-car à l’épouse, tout en mettant à la charge de l’époux le remboursement du crédit afférent à ce véhicule. L’époux avait assigné son épouse en divorce le 13 octobre 2022, puis en partage de leur indivision le 13 juin 2023.
L’époux sollicitait l’ouverture des opérations de liquidation et partage, l’attribution de l’immeuble commun et du camping-car, ainsi que la condamnation de son épouse au paiement d’une soulte de 32 649,50 euros. L’épouse opposait l’irrecevabilité de la demande et, subsidiairement, sollicitait l’attribution du camping-car et de l’Opel Corsa, ainsi que le versement d’une soulte à son profit si l’immeuble était attribué à l’époux.
La question posée au juge était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si l’action en partage était recevable malgré l’absence de mention des diligences amiables dans l’assignation. Il convenait ensuite d’établir les comptes entre indivisaires et de fixer le montant de la soulte éventuelle.
Le Tribunal judiciaire de Poitiers déclare l’action recevable, ouvre les opérations de partage, attribue l’immeuble à l’époux et le camping-car à l’épouse, puis condamne l’époux au paiement d’une soulte de 26 196,425 euros au profit de l’épouse, le déboutant ainsi de sa propre demande de soulte.
Cette décision mérite examen tant sur la question de la régularisation de l’irrecevabilité procédurale (I) que sur les principes gouvernant la liquidation des droits entre indivisaires (II).
I. La régularisation de l’irrecevabilité procédurale en matière de partage
La recevabilité de l’action en partage suppose le respect d’exigences formelles dont le défaut peut être couvert en cours d’instance (A), ce qui traduit une conception souple de l’office du juge (B).
A. L’exigence de diligences amiables préalables et son défaut initial
L’article 1360 du Code de procédure civile impose, à peine d’irrecevabilité, que l’assignation en partage contienne un « descriptif sommaire du patrimoine à partager », précise « les intentions du demandeur quant à la répartition des biens » et mentionne « les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable ». Cette triple exigence vise à favoriser le règlement consensuel des indivisions et à rationaliser le contentieux.
Le tribunal constate que « l’assignation ne précise pas les diligences entreprises en vue de parvenir à un partage amiable ». Cette omission aurait dû conduire à l’irrecevabilité de la demande si le législateur n’avait prévu un mécanisme de régularisation. La rigueur procédurale cède ici devant l’impératif de bonne administration de la justice.
Le juge relève que l’article 126 du Code de procédure civile « permet de couvrir l’irrecevabilité en résultant ». Cette disposition autorise la régularisation des fins de non-recevoir lorsque leur cause a disparu au moment où le juge statue. La régularisation s’opère par la démonstration, dans les dernières conclusions, que des diligences amiables ont bien été tentées.
B. La preuve de l’échec du partage amiable comme condition de régularisation
Le tribunal retient que « les dernières conclusions du demandeur indiquent que, dans le cadre de l’instance en divorce, il a fait part à la défenderesse de ses intentions quant à la liquidation de leur indivision et que celle-ci s’y est opposée sans faire de contreproposition, ce dont il justifie ». La preuve de tentatives amiables infructueuses suffit à purger le vice procédural initial.
Cette solution s’inscrit dans une lecture téléologique des textes. L’objectif de l’article 1360 du Code de procédure civile n’est pas de sanctionner un formalisme abstrait mais de s’assurer que le recours au juge intervient en dernier ressort. Dès lors que l’échec des négociations est établi, l’exigence légale est satisfaite dans son esprit.
La portée de cette décision réside dans la souplesse accordée aux plaideurs. Le défaut de mention des diligences amiables dans l’acte introductif d’instance n’est pas irrémédiable. Il peut être réparé par des écritures ultérieures démontrant la réalité de tentatives de règlement consensuel. Cette approche pragmatique évite de multiplier les procédures pour un motif purement formel.
II. La rigueur probatoire dans l’établissement des comptes entre indivisaires
L’examen des prétentions financières révèle l’exigence d’une preuve rigoureuse des reprises alléguées (A) et la nécessité d’une évaluation réaliste des droits de chaque partie (B).
A. Le rejet des reprises non justifiées par des preuves suffisantes
Le demandeur réclamait 69 940 euros au titre d’une reprise sur l’immeuble et 20 000 euros au titre d’une reprise sur le camping-car. Le tribunal écarte ces prétentions avec fermeté. Concernant l’immeuble, le juge relève qu’« aucune des parties ne produit le décompte du notaire ni même l’acte authentique d’achat qui permettrait de vérifier la part de droits indivis respectivement acquis ». Un simple extrait de relevé bancaire ne suffit pas à établir l’existence et le montant d’une créance de reprise.
S’agissant du camping-car, le tribunal constate que « le demandeur ne justifie en effet pas de l’origine de ces fonds, la dénomination de son destinataire ne l’établissant pas d’autant que le virement est antérieur de près de trois ans à l’achat du camping-car discuté ». L’antériorité de trois ans entre le virement invoqué et l’acquisition effective du véhicule rompt le lien de causalité nécessaire à l’établissement de la reprise.
Cette rigueur probatoire s’impose en matière de partage. L’indivisaire qui prétend avoir financé un bien indivis au-delà de sa part doit rapporter la preuve de l’origine personnelle des fonds et de leur affectation effective à l’acquisition. Le tribunal refuse toute présomption en la matière et exige des justificatifs précis et contemporains.
B. La sanction des prétentions excessives et l’équilibre des droits
Le tribunal porte une appréciation sévère sur certaines demandes du demandeur. Celui-ci réclamait une indemnité d’occupation du camping-car « provisoirement arrêtée à 85 500 € sur la base de 1 500 € par mois ». Le juge censure cette prétention en des termes clairs : « Cela excède très amplement le loyer d’un pavillon familial de bonne tenue avec jardin, étant rappelé que l’indivision n’est pas une société commerciale qui supporterait toutes sortes de cotisations, impôts et autres charges ».
Le tribunal retient l’évaluation proposée par la défenderesse, soit 300 euros mensuels, ce qui « correspond à un rendement de 12 % et est donc particulièrement conséquent ». Cette motivation révèle l’attention du juge aux réalités économiques. L’indemnité d’occupation prévue par l’article 815-9 du Code civil doit refléter la valeur locative réelle du bien et non servir d’instrument de pression entre indivisaires.
Le renversement de la soulte au profit de l’épouse constitue l’aboutissement logique de cette analyse rigoureuse. Le demandeur, qui sollicitait 32 649,50 euros, se trouve condamné à verser 26 196,425 euros. Cette issue sanctionne des prétentions excessives et non justifiées. Elle illustre le rôle régulateur du juge dans le contentieux du partage, garant d’un équilibre patrimonial fondé sur des éléments objectifs et vérifiables.