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Le droit des successions organise la dévolution des biens du défunt tout en protégeant les héritiers réservataires contre les libéralités excessives. La présente décision du Tribunal judiciaire de Poitiers du 17 juin 2025 illustre la mise en œuvre de ces mécanismes protecteurs dans le cadre d’une succession conflictuelle.
Une mère avait consenti à l’un de ses deux fils deux donations. La première, en date du 21 février 1995, portait sur la nue-propriété d’un immeuble et avait été stipulée hors part successorale. La seconde, du 15 septembre 2004, s’élevait à 312 500 euros et constituait une donation en avancement d’hoirie. Le fils donataire est décédé le 10 août 2013 sans descendance, laissant pour seule héritière son épouse, légataire universelle. La donatrice est elle-même décédée le 20 décembre 2016, laissant son autre fils pour héritier réservataire.
Par un premier jugement du 18 février 2020, le Tribunal judiciaire de Poitiers avait statué sur la qualification des libéralités. Il avait jugé que la donation de 312 500 euros devait être rapportée à la succession de la défunte et que le droit de retour légal s’appliquerait sur l’immeuble objet de la donation de 1995. Ce jugement, signifié le 14 avril 2020, est devenu définitif à défaut d’appel. Malgré cette décision irrévocable, la veuve du donataire s’est abstenue de comparaître devant le notaire chargé d’établir l’acte de partage. Son frère a donc dû l’assigner de nouveau le 20 septembre 2023 pour obtenir l’exécution forcée des opérations de liquidation.
Le tribunal devait déterminer s’il convenait d’homologuer le projet de liquidation établi par le notaire et de condamner la défenderesse au paiement des sommes en résultant, soit 139 016,76 euros au titre de l’indemnité de réduction et 84 471,60 euros au titre du droit de retour légal.
Le tribunal fait droit à l’intégralité des demandes. Il relève que le projet notarié respecte les dispositions devenues irrévocables du précédent jugement, que la défenderesse n’élève aucune contestation et qu’aucune anomalie n’est décelable. Il condamne cette dernière aux dépens et à 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Cette décision mérite examen tant au regard des mécanismes de protection de la réserve héréditaire qu’elle met en œuvre (I) que de l’articulation qu’elle opère entre l’office du notaire et celui du juge dans le règlement des successions contentieuses (II).
I. La protection de la réserve héréditaire par l’action en réduction et le droit de retour
Le jugement applique deux mécanismes distincts visant à préserver les droits de l’héritier réservataire : l’action en réduction des libéralités excessives (A) et le droit de retour légal des biens donnés (B).
A. L’indemnité de réduction, sanction des libéralités excédant la quotité disponible
L’action en réduction permet à l’héritier réservataire d’obtenir la restitution des biens donnés ou légués au-delà de la quotité dont le défunt pouvait librement disposer. L’article 920 du Code civil dispose que les libéralités qui excèdent la quotité disponible sont réductibles à cette quotité lors de l’ouverture de la succession.
En l’espèce, le tribunal condamne la défenderesse à verser 139 016,76 euros au titre de l’indemnité de réduction. Ce montant résulte du projet de liquidation établi par le notaire, dont le tribunal constate qu’il « respecte les dispositions devenues irrévocables du jugement du 18.02.2020 ». La qualification de la donation de 312 500 euros comme donation en avancement d’hoirie avait été tranchée par ce précédent jugement. Cette qualification emporte l’obligation de rapport à la succession, conformément à l’article 843 du Code civil qui pose le principe du rapport des libéralités entre cohéritiers.
Le tribunal valide ainsi une liquidation qui donne plein effet à la réserve héréditaire. L’indemnité de réduction sanctionne le dépassement de la quotité disponible résultant des libéralités consenties au fils prédécédé. La veuve de ce dernier, en sa qualité de légataire universelle, se trouve tenue de cette dette successorale. Elle a recueilli l’actif successoral de son époux mais doit supporter les conséquences de la réduction des libéralités excessives dont il avait bénéficié.
B. Le droit de retour légal, garantie de la conservation des biens dans la famille
Le droit de retour légal constitue un mécanisme autonome permettant la réintégration dans la succession du donateur des biens donnés à un descendant décédé sans postérité. L’article 738-2 du Code civil, issu de la loi du 23 juin 2006, prévoit que les père et mère ou leurs descendants succèdent aux biens que le défunt avait reçus d’eux par donation et qui se retrouvent en nature dans sa succession.
Le jugement du 18 février 2020 avait dit que « le droit de retour sur l’immeuble objet de la donation du 21.02.1995 s’appliquera au profit de cette succession ». Cette disposition concernait la nue-propriété d’une maison donnée hors part successorale. Le présent jugement en tire les conséquences en condamnant la défenderesse à verser 84 471,60 euros au titre du droit de retour légal.
La solution retenue appelle observation. La donation de 1995 avait été consentie hors part successorale, ce qui signifie qu’elle n’était pas rapportable mais seulement réductible si elle excédait la quotité disponible. Le droit de retour opère indépendamment de cette qualification. Il vise à faire revenir le bien dans la famille du donateur lorsque le donataire décède sans descendance. En l’espèce, l’immeuble donné se retrouvait dans le patrimoine du fils défunt. Son décès sans postérité a déclenché le droit de retour au profit de la succession de sa mère, elle-même décédée ultérieurement.
II. L’articulation entre l’office notarial et l’intervention judiciaire dans le règlement successoral
La décision illustre la complémentarité des rôles du notaire et du juge lorsque les opérations de liquidation se heurtent à l’inertie d’un copartageant (A), tout en soulevant la question de la sanction processuelle de cette résistance abusive (B).
A. La validation judiciaire du projet notarié face à l’abstention du copartageant
Le notaire est l’instrument privilégié du règlement des successions. Il établit les actes nécessaires à la liquidation et au partage des biens héréditaires. Son intervention suppose toutefois la coopération des parties intéressées. À défaut d’accord, le recours au juge devient nécessaire.
Le tribunal relève que « la défenderesse n’a pas honoré la convocation de Maître [B] ». Cette abstention a contraint le demandeur à saisir la juridiction pour obtenir la mise en œuvre des droits reconnus par le jugement de 2020. Le tribunal observe que les conclusions du demandeur « reproduisent l’entière teneur du projet de liquidation et partage établi par le notaire ». Il en déduit que « cette liquidation revêt ainsi un caractère judiciairement contradictoire ».
Cette formulation mérite attention. Le tribunal confère au projet notarié une opposabilité contentieuse par le biais de la communication des conclusions. La défenderesse, qui a comparu sans conclure, a été mise en mesure de prendre connaissance et de discuter ce projet. Son silence équivaut à une absence de contestation. Le tribunal constate qu’il « ne permet d’y déceler aucune anomalie » avant de faire droit à la demande.
B. La sanction de la résistance abusive au règlement successoral
Le tribunal stigmatise le comportement de la défenderesse en des termes sévères. Il relève que « malgré l’ancienneté du litige, qui a déjà fait l’objet de plusieurs jugements, la défenderesse qui y a succombé définitivement a résisté à leur mise en œuvre en s’abstenant sans motifs de comparaître chez le notaire instrumentaire ».
Cette résistance injustifiée emporte des conséquences sur le plan des frais et dépens. Le tribunal condamne la défenderesse à supporter les dépens et à verser 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Il justifie cette condamnation par le fait que « sa résistance a obligé le demandeur à introduire » la présente instance.
La solution s’inscrit dans la logique de l’article 696 du Code de procédure civile qui met les dépens à la charge de la partie perdante. Elle illustre également la fonction dissuasive de l’article 700 qui permet d’indemniser la partie gagnante des frais irrépétibles exposés. Le montant de 5 000 euros, correspondant à l’intégralité de la demande, traduit la réprobation du tribunal face à une obstruction procédurale dépourvue de fondement. Cette sanction pécuniaire vient compléter l’exécution forcée des droits successoraux du demandeur, désormais reconnus par une décision exécutoire par provision.