Tribunal judiciaire de Poitiers, le 17 juin 2025, n°24/02010

Le droit des successions confronte régulièrement les juridictions à des situations où l’inertie de certains héritiers paralyse le règlement d’une indivision. Le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Poitiers le 17 juin 2025 illustre cette difficulté en organisant la licitation d’un bien indivis tout en refusant de désigner un notaire pour procéder aux opérations de partage.

Un homme est décédé le 23 novembre 2021 à Poitiers, laissant pour lui succéder deux sœurs ainsi que plusieurs neveux et nièces venant par représentation de frères et sœurs prédécédés. L’actif successoral comprenait notamment une maison d’habitation, des comptes-titres, une automobile et un tracteur. Six des héritiers ont assigné les huit autres devant le tribunal judiciaire de Poitiers aux mois de juillet et août 2024 aux fins d’obtenir l’ouverture des opérations de partage, la désignation d’un notaire et la licitation de l’immeuble sur une mise à prix de 30 000 euros. Les défendeurs, bien que régulièrement assignés selon diverses modalités, n’ont pas comparu. Par jugement réputé contradictoire du 17 juin 2025, le tribunal a ordonné l’ouverture des opérations de partage et la licitation du bien immobilier, mais a refusé de commettre un notaire pour établir les comptes de liquidation.

La question posée au tribunal était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si les conditions de la licitation d’un bien successoral étaient réunies et, dans l’affirmative, selon quelles modalités celle-ci devait être organisée. Il convenait ensuite d’apprécier si la désignation d’un notaire pour procéder aux opérations de partage s’imposait au regard de la complexité alléguée de la succession.

Le tribunal judiciaire de Poitiers a accueilli la demande de licitation tout en fixant la mise à prix à 15 000 euros, soit la moitié de la valeur déclarée du bien. Il a en revanche refusé de commettre un notaire, estimant que la complexité requise par l’article 1364 du code de procédure civile n’était pas établie et que les demandeurs eux-mêmes n’avaient pas précisé leurs intentions quant aux autres éléments d’actif.

Cette décision mérite examen tant au regard de l’organisation pragmatique de la licitation successorale (I) que du refus de désigner un notaire fondé sur l’exigence de complexité (II).

I. L’organisation pragmatique de la licitation successorale

Le tribunal ordonne la vente aux enchères du bien indivis en adaptant les modalités de cette procédure aux réalités économiques de l’opération (A), tout en prévoyant des mécanismes protecteurs des intérêts des coindivisaires (B).

A. La fixation réaliste de la mise à prix

Le tribunal accueille sans difficulté la demande de licitation sur le fondement de l’article 1377 alinéa 1 du code de procédure civile. La consistance du bien et l’absence de demande d’attribution établissent qu’il « ne peut pas facilement être partagé ni attribué ». Cette appréciation relève d’un contrôle classique de la commodité du partage en nature.

L’apport principal de la décision réside dans le traitement de la mise à prix. Les demandeurs sollicitaient une mise à prix de 30 000 euros correspondant à la valeur déclarée dans la succession. Le tribunal réduit ce montant de moitié en relevant que la mise à prix au montant de la valeur vénale « n’est pas susceptible d’attirer des enchérisseurs car l’adjudicataire devrait supporter, en plus du prix d’adjudication, les conséquents frais de mise en œuvre de cette licitation ». Cette motivation témoigne d’une approche économique réaliste. Le juge ne se contente pas d’appliquer mécaniquement les règles procédurales ; il anticipe les conditions concrètes du marché immobilier.

Le tribunal va plus loin en organisant un système de mises à prix dégressives. En cas d’absence d’enchères, le prix sera successivement ramené à 12 000, 10 000 puis 8 000 euros. Cette gradation évite la multiplication des audiences en cas d’échec initial. Elle traduit une gestion processuelle efficiente.

B. Les clauses protectrices des coindivisaires

Le jugement prescrit l’insertion de deux clauses dans le cahier des conditions de la vente. La clause d’attribution permet au coindivisaire adjudicataire de voir les effets de son acquisition remonter au jour fixé pour l’entrée en jouissance. Le prix d’adjudication viendra alors s’imputer sur sa part dans le partage définitif. Cette clause articule la licitation avec le partage ultérieur en évitant de traiter le coindivisaire adjudicataire comme un tiers acquéreur.

La clause de substitution offre à chaque indivisaire la possibilité de se substituer à l’acquéreur dans le délai d’un mois. Ce mécanisme, inspiré du droit de la saisie immobilière, préserve la faculté pour les héritiers silencieux de manifester tardivement leur intérêt pour le bien. Le tribunal organise ainsi une forme de droit de préemption au profit de l’ensemble des copartageants.

Ces dispositions révèlent le souci de concilier l’efficacité de la vente forcée avec la protection des droits des indivisaires. La licitation demeure une modalité du partage et non une simple aliénation à des tiers.

II. Le refus de désigner un notaire fondé sur l’exigence de complexité

Le tribunal refuse de commettre un notaire en s’appuyant sur une lecture stricte des conditions légales (A) et en retournant contre les demandeurs leur propre carence dans la formulation de leurs prétentions (B).

A. L’interprétation restrictive de la notion de complexité

L’article 1364 du code de procédure civile subordonne la désignation d’un notaire à la démonstration d’une « complexité » des opérations de partage. Le tribunal rappelle fermement que cette commise « n’est pas de droit ». Cette affirmation tranche avec une pratique judiciaire parfois encline à désigner systématiquement un notaire dès lors qu’une demande est formée en ce sens.

Le tribunal écarte l’argument tiré de la licitation en relevant que celle-ci « générera des liquidités qu’il sera d’autant plus aisé de partager que le notaire a établi la portion des droits successifs de chacun ». Le raisonnement est rigoureux : la transformation du bien en somme d’argent simplifie le partage au lieu de le complexifier. La fongibilité de la monnaie permet une répartition arithmétique là où le bien immobilier imposait une vente préalable.

Cette motivation pourrait toutefois être discutée. La licitation engendre des frais qui devront être imputés sur l’actif. La présence de multiples héritiers venus par représentation complique nécessairement le calcul des quotes-parts. L’existence de comptes-titres et d’autres biens meubles suppose des évaluations et des choix d’attribution. Le tribunal semble néanmoins considérer que ces difficultés relèvent de la compétence ordinaire du notaire déjà saisi de la succession, sans qu’une commise judiciaire soit nécessaire.

B. Le renvoi des demandeurs à leurs propres obligations procédurales

Le tribunal relève que les demandeurs « ne se positionnent pas davantage sur le sort de ces comptes-titres ni, d’ailleurs sur celui de la [automobile] et du tracteur composant l’actif successoral ». Cette carence est qualifiée de « contraire aux prévisions de l’article 1360 du code de procédure civile ». Ce texte impose en effet à l’assignation en partage de préciser les intentions du demandeur quant à la répartition des biens.

Le tribunal ordonne en conséquence la réouverture des débats pour que les parties se positionnent sur le sort de ces biens et rendent compte de l’issue de la licitation. La demande de désignation d’un notaire est mise en attente. Cette décision opère un renversement de la charge argumentative. Les demandeurs reprochaient aux défendeurs leur silence sur la conservation des comptes-titres. Le tribunal leur oppose qu’ils n’ont pas eux-mêmes formulé de prétentions sur ces éléments d’actif.

Cette exigence de précision des demandes participe d’une conception active du rôle des parties dans le procès civil. Le juge du partage n’a pas vocation à suppléer la carence des plaideurs dans la définition de leurs prétentions. La complexité alléguée ne saurait résulter de l’imprécision des demandes.

La condamnation des défendeurs aux frais irrépétibles, quoique réduite à 250 euros par demandeur au lieu des 600 euros sollicités, sanctionne néanmoins leur attitude. Leur silence a « contraint les demandeurs à agir en Justice ». Le tribunal distingue ainsi la responsabilité procédurale des défendeurs, qui justifie leur condamnation, de l’insuffisance des demandes, qui justifie le rejet partiel des prétentions.

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Hassan KOHEN
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