Tribunal judiciaire de Poitiers, le 18 juin 2025, n°25/00131

L’ordonnance de référé rendue par le juge du Tribunal judiciaire de Poitiers le 18 juin 2025 invite à s’interroger sur les conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985 relative à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation. Une personne avait été blessée le 18 décembre 2020 à la suite d’un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur. Elle avait subi une fracture ouverte de la jambe droite nécessitant une intervention chirurgicale.

La victime a assigné en référé une compagnie d’assurance ainsi que la caisse primaire d’assurance maladie afin d’obtenir une expertise médicale et le versement de provisions. Elle invoquait l’article 145 du Code de procédure civile pour justifier d’un motif légitime à l’expertise, et l’article 835 alinéa 2 du même code pour solliciter une provision sur l’indemnisation de ses préjudices. Elle soutenait avoir été victime d’un accident de la circulation en qualité de piéton.

Les défenderesses n’ont pas constitué avocat. Le juge des référés devait déterminer si les conditions du référé probatoire et du référé provision étaient réunies. La question de droit principale portait sur l’applicabilité de la loi Badinter à un accident survenu dans le jardin d’une propriété privée.

Le juge a rejeté l’ensemble des demandes. Il a retenu que la demanderesse ne démontrait pas que la société assignée était bien l’assureur du véhicule impliqué. Il a surtout considéré que l’accident, survenu dans un jardin privé, n’était pas un accident de la circulation au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985.

Cette décision permet d’examiner successivement la notion de voie ouverte à la circulation comme critère d’application de la loi Badinter (I) et les exigences probatoires propres au référé en matière d’indemnisation (II).

I. La notion de voie ouverte à la circulation, critère déterminant de la loi Badinter

Le juge des référés fonde son refus sur la localisation de l’accident dans un espace privé (A), ce qui conduit à préciser les contours jurisprudentiels de la notion de lieu de circulation (B).

A. L’exclusion des accidents survenus dans un jardin privé

Le juge relève que « cet accident a eu lieu dans le jardin d’une propriété privée et n’est pas un accident de la circulation ». Cette affirmation constitue le motif décisif du rejet des demandes. L’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 dispose que les dispositions de cette loi s’appliquent aux victimes d’un accident de la circulation « dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ». Le texte ne définit pas expressément la notion d’accident de la circulation.

La jurisprudence a progressivement dégagé des critères permettant de délimiter le champ d’application de la loi. La notion suppose l’implication d’un véhicule terrestre à moteur et un fait de circulation. Le juge poitevin retient que le caractère privé du lieu exclut par lui-même la qualification d’accident de la circulation. Cette position mérite examen au regard de la jurisprudence établie.

B. Une interprétation stricte du critère spatial

La Cour de cassation a admis l’application de la loi Badinter à des accidents survenus sur des voies privées dès lors qu’elles étaient ouvertes à la circulation publique. Elle a en revanche exclu les accidents survenus dans des lieux fermés à tout accès extérieur. La distinction ne repose pas sur la nature juridique du lieu mais sur son accessibilité effective au public.

Un jardin privatif, par nature clos et réservé à l’usage du propriétaire, ne constitue pas une voie de circulation. Le véhicule ne s’y trouve pas en situation de circuler au sens de la loi. Cette analyse rejoint celle retenue par le juge des référés. La solution s’inscrit dans une conception fonctionnelle de la notion de circulation. Le critère pertinent demeure l’affectation réelle du lieu au passage des véhicules et non sa qualification juridique abstraite.

II. Les exigences probatoires du référé en matière d’indemnisation

Le rejet des demandes repose également sur des insuffisances de preuve concernant la qualité d’assureur de la défenderesse (A), ce qui révèle les exigences propres au référé provision (B).

A. L’absence de preuve du lien d’assurance

Le juge relève que la demanderesse « ne démontre pas que la SA ALLIANZ IARD est l’assureur du véhicule concerné ». Il observe que le procès-verbal ne mentionne aucun numéro de police d’assurance et qu’aucun échange avec l’assureur n’est produit depuis 2020. Cette carence probatoire affecte tant la demande d’expertise que la demande de provision.

Pour obtenir une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, le demandeur doit justifier d’un motif légitime. Ce motif suppose l’existence d’un litige potentiel avec la partie assignée. En l’absence de preuve que la société est concernée par l’accident, le motif légitime fait défaut. Le juge ne peut ordonner une expertise à l’encontre d’une personne dont le lien avec le sinistre n’est pas établi.

B. L’obligation non sérieusement contestable, condition du référé provision

L’article 835 alinéa 2 du Code de procédure civile subordonne l’octroi d’une provision à l’existence d’une obligation non sérieusement contestable. Cette condition implique que le créancier établisse l’existence du droit invoqué avec une certitude suffisante. En l’espèce, deux obstacles s’opposaient à la caractérisation d’une telle obligation.

D’une part, l’absence de preuve du contrat d’assurance rendait contestable l’existence même d’un débiteur. D’autre part, l’inapplicabilité de la loi Badinter privait la victime du régime favorable d’indemnisation qu’elle invoquait. Le cumul de ces deux difficultés rendait l’obligation manifestement contestable. Le juge des référés ne pouvait accorder de provision sans préjuger du fond du litige. La décision illustre la rigueur exigée du demandeur qui sollicite une provision en référé en matière de responsabilité civile.

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Hassan KOHEN
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