Tribunal judiciaire de Pontoise, le 13 juin 2025, n°25/01817

L’équilibre entre le droit de propriété et le droit au logement constitue l’une des tensions les plus vives du droit contemporain des procédures civiles d’exécution. Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Pontoise, dans un jugement rendu le 13 juin 2025, a eu à trancher cette délicate question à l’occasion d’une demande de délais avant expulsion.

Des locataires occupaient un logement situé à Argenteuil en vertu d’un contrat de bail. À la suite d’impayés de loyers, les bailleurs ont fait délivrer un commandement de payer en juillet 2023. Par jugement du 18 octobre 2024, le tribunal de proximité de Sannois a constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 29 septembre 2023, condamné solidairement les locataires au paiement de la somme de 9 443,40 euros au titre des loyers et charges impayés, rejeté leur demande de délais de paiement et autorisé leur expulsion. Ce jugement a été signifié le 26 décembre 2024, date à laquelle un commandement de quitter les lieux a également été délivré.

Les locataires ont saisi le juge de l’exécution par requête du 28 mars 2025 afin d’obtenir des délais pour quitter les lieux. Ils invoquaient leurs difficultés financières, leurs problèmes de santé et l’absence de relogement. Les bailleurs s’opposaient à cette demande en faisant valoir l’irrégularité des paiements, l’augmentation de la dette et les délais de fait déjà accordés.

La question posée au juge de l’exécution était de déterminer si la situation personnelle des locataires justifiait l’octroi de délais avant expulsion au sens des articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution, et dans l’affirmative, selon quelles modalités et conditions.

Le juge de l’exécution a accordé aux locataires un délai de trois mois, soit jusqu’au 13 septembre 2025, pour se maintenir dans les lieux. Ce délai a été subordonné au paiement ponctuel et régulier de l’indemnité d’occupation ainsi qu’au versement d’une somme mensuelle de 500 euros pour l’apurement de la dette, sous peine de caducité.

Cette décision illustre la recherche d’un équilibre proportionné entre les droits du propriétaire et ceux de l’occupant (I), tout en révélant les conditions strictes encadrant l’octroi des délais avant expulsion (II).

I. La recherche d’un équilibre proportionné entre droit de propriété et droit au logement

Le juge de l’exécution a fondé son analyse sur une mise en balance des intérêts en présence (A), tout en appréciant concrètement la situation respective des parties (B).

A. Le cadre légal de la mise en balance des intérêts

Le juge de l’exécution a rappelé le fondement textuel de son office en citant les articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution dans leur rédaction issue de la loi du 27 juillet 2023. Ces dispositions permettent au juge d’accorder des délais renouvelables aux occupants dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement « chaque fois que le relogement des intéressés ne pourra avoir lieu dans des conditions normales ».

Le magistrat a précisé la méthode qu’il entendait suivre en énonçant qu’« il appartient donc au juge de respecter un juste équilibre entre deux revendications contraires en veillant à ce que l’atteinte au droit du propriétaire soit proportionnée et justifiée par la sauvegarde des droits du locataire, dès lors que ces derniers apparaissent légitimes ». Cette formulation traduit l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 8 de la Convention, qui impose un contrôle de proportionnalité lors des mesures d’expulsion.

L’article L. 412-4 énumère les critères que le juge doit prendre en compte pour fixer la durée des délais, comprise entre un et douze mois. Parmi ces critères figurent la bonne ou mauvaise volonté de l’occupant dans l’exécution de ses obligations, les situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la situation de famille ou de fortune, ainsi que les diligences accomplies en vue du relogement.

B. L’appréciation concrète de la situation des parties

Le juge a procédé à un examen minutieux de la situation de chacune des parties. S’agissant des locataires, il a relevé qu’ils disposaient de revenus mensuels de 3 442 euros, avaient trois enfants mineurs scolarisés à charge et souffraient de problèmes de santé documentés, de nature cardiaque, vasculaire et neurologique pour l’épouse, orthopédique pour l’époux.

Le magistrat a également examiné la situation des bailleurs. Il a noté qu’ils avaient « engagé des frais de procédure importants pour le recouvrement de leur créance », mentionnant une saisie-attribution diligentée le 31 janvier 2025 et un commandement de payer aux fins de saisie-vente délivré le 26 décembre 2024. Le juge a affirmé qu’« ils ont le droit de projeter de vendre leur bien immobilier », écartant ainsi l’argument des locataires selon lequel l’expulsion ne serait poursuivie qu’à des fins spéculatives.

La décision souligne que les bailleurs sont des « personnes privées » auxquelles il ne peut être imposé « l’aggravation de la dette locative qu’ils subissent du fait du règlement irrégulier des indemnités d’occupation mettant en péril leur propre situation ». Cette précision révèle que le juge tient compte de la qualité du bailleur dans son appréciation, une personne privée ne disposant pas des mêmes capacités d’absorption des impayés qu’un bailleur institutionnel.

L’équilibre recherché a donc conduit le juge à reconnaître la légitimité des difficultés des locataires tout en refusant de faire peser sur les propriétaires une charge disproportionnée. Cette mise en balance se traduit par l’octroi d’un délai limité assorti de conditions strictes.

II. Les conditions strictes encadrant l’octroi des délais avant expulsion

Le juge a fondé sa décision sur une appréciation sévère des diligences accomplies par les locataires (A), tout en assortissant le délai accordé de modalités destinées à préserver les intérêts du créancier (B).

A. L’appréciation rigoureuse des diligences de l’occupant

Le juge de l’exécution a relevé plusieurs éléments défavorables aux locataires dans l’appréciation de leur bonne volonté. Concernant le paiement de la dette, il a constaté que « les règlements sont irréguliers » et que « l’arriéré locatif n’a pas diminué ». Le versement complet de l’indemnité d’occupation courante « n’a repris qu’en avril 2025 », soit plusieurs mois après la délivrance du commandement de quitter les lieux.

S’agissant des démarches de relogement, le magistrat a porté une appréciation particulièrement critique. Il a relevé que les locataires « ont seulement déposé une demande de logement locatif social le 20 février 2025, soit postérieurement à la délivrance du commandement de quitter les lieux et n’ont diligenté aucune recherche dans le parc privé ». La conclusion est sans appel : « la seule démarche réalisée s’avère très récente et les demandeurs ne démontrent donc pas que leur relogement ne peut intervenir dans des conditions normales ».

Cette appréciation stricte des diligences de relogement mérite attention. L’article L. 412-3 subordonne l’octroi de délais à l’impossibilité d’un relogement dans des conditions normales. En relevant l’absence de recherches dans le parc privé et le caractère tardif de la demande de logement social, le juge fait peser sur les locataires la charge de démontrer qu’ils ont activement cherché à se reloger. Cette exigence probatoire conduit à refuser les délais les plus larges sollicités.

Le juge a également écarté l’argument tiré du congé pour vente délivré par les bailleurs en soulignant que celui-ci était « postérieur au jugement rendu par le tribunal de proximité de SANNOIS » et que « le bail a été résilié en raison de l’arriéré locatif ». La cause de l’expulsion demeure donc l’inexécution contractuelle des locataires et non la volonté des propriétaires de récupérer leur bien.

B. L’encadrement du délai par des conditions suspensives

Le délai accordé de trois mois constitue une durée modérée au regard de la fourchette légale d’un à douze mois. Le juge a qualifié ce délai d’« ultime », signifiant ainsi qu’aucune prolongation ne saurait être envisagée. Cette qualification traduit la volonté de ne pas prolonger indéfiniment une situation préjudiciable aux créanciers.

Le délai a été assorti de deux conditions cumulatives. Les locataires doivent assurer « le paiement ponctuel et régulier de l’indemnité d’occupation » et verser « une somme mensuelle de 500 euros en sus pour l’apurement de la dette ». Le dispositif précise qu’« à défaut de paiement d’une seule mensualité, le délai sera caduc et l’expulsion pourra être poursuivie ».

Ce mécanisme de caducité automatique constitue un instrument efficace de protection des intérêts du créancier. Il évite que le délai accordé ne devienne un moyen de différer indéfiniment l’exécution de la décision d’expulsion sans contrepartie. La somme de 500 euros correspond à la proposition formulée par les locataires eux-mêmes, ce qui renforce la légitimité de cette condition.

Le juge a également rappelé les règles relatives à la trêve hivernale prévue par l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution, tout en mentionnant les exceptions applicables notamment en cas d’introduction sans droit ni titre dans le domicile d’autrui. Ce rappel pédagogique permet aux parties de mesurer les contraintes temporelles pesant sur l’exécution de la mesure d’expulsion.

La décision ordonne enfin la transmission au préfet du Val-d’Oise en vue de la prise en compte de la demande de relogement dans le cadre du plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées. Cette mesure, prévue par l’article L. 412-5 du code des procédures civiles d’exécution, vise à faciliter le relogement des occupants expulsés en mobilisant les dispositifs publics d’aide au logement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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