Tribunal judiciaire de Pontoise, le 16 juin 2025, n°24/00438

Le droit du surendettement oscille entre protection du débiteur défaillant et préservation des droits des créanciers. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Pontoise, chambre de proximité, le 16 juin 2025, illustre cette recherche d’équilibre en refusant le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire initialement recommandé par la commission de surendettement.

Une débitrice, âgée de 54 ans et mère d’un enfant à charge, a saisi la commission de surendettement du Val d’Oise le 25 mars 2024. Sa demande a été déclarée recevable le 16 avril 2024. Lors de sa séance du 11 juin 2024, la commission a recommandé une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, estimant que la situation de la débitrice était irrémédiablement compromise. Cette recommandation a été notifiée aux parties le 25 juillet 2024. Un bailleur social a contesté cette recommandation par lettre recommandée du même jour, actualisant sa créance et faisant valoir qu’un accompagnement social était en cours vers un relogement.

Devant le Tribunal judiciaire de Pontoise, le bailleur, représenté par avocat, a actualisé sa créance à la somme de 2 914,86 euros, précisant que le loyer courant était réglé et qu’un fonds de solidarité logement avait été accordé. La débitrice, comparant en personne, a indiqué avoir retrouvé un emploi depuis décembre 2024 et percevoir désormais un salaire de 644 euros complété par diverses prestations sociales.

La question posée au tribunal était de déterminer si la situation de la débitrice demeurait irrémédiablement compromise au sens de l’article L. 724-1 du code de la consommation, justifiant le prononcé d’un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire.

Le tribunal déclare recevable la contestation du bailleur, actualise sa créance, juge que « le caractère irrémédiablement compromis de la situation » de la débitrice « n’est pas démontré » et renvoie l’examen du dossier à la commission de surendettement pour l’établissement de mesures de redressement.

Cette décision invite à examiner l’appréciation dynamique de la situation du débiteur surendetté (I), avant d’analyser les conséquences procédurales du renvoi devant la commission (II).

I. L’appréciation dynamique de la situation irrémédiablement compromise

Le tribunal procède à une évaluation actualisée des ressources de la débitrice (A), ce qui le conduit à écarter la qualification de situation irrémédiablement compromise (B).

A. L’actualisation des éléments d’appréciation à la date du jugement

L’article L. 724-1 du code de la consommation subordonne le rétablissement personnel à la constatation d’une « situation irrémédiablement compromise caractérisée par l’impossibilité manifeste de mettre en œuvre des mesures de traitement ». Cette appréciation ne saurait être figée à la date de la recommandation de la commission.

Le tribunal relève que la débitrice a « retrouvé un travail depuis le mois de décembre 2024 », percevant désormais un salaire de 645 euros en complément de prestations sociales s’élevant à 1 152,02 euros. Ses ressources mensuelles atteignent ainsi 1 797,02 euros, contre 1 177 euros lors de l’examen initial du dossier. Cette amélioration substantielle de 620 euros mensuels modifie radicalement la capacité de remboursement de la débitrice.

Le jugement souligne également que « le loyer courant était réglé », qu’« un fond de solidarité logement avait été accordé » et qu’un « relogement est en cours ». Ces éléments attestent d’une dynamique positive que le tribunal ne pouvait ignorer au profit d’une photographie obsolète de la situation.

La créance du bailleur a elle-même été réduite de 7 032,23 euros à 2 914,86 euros, diminuant l’endettement global de 19 627,82 euros à 15 879,01 euros. Cette réduction de près de 20 % du passif en quelques mois témoigne de la capacité de la débitrice à honorer progressivement ses dettes.

B. Le rejet de la qualification de situation irrémédiablement compromise

Le tribunal considère que le caractère irrémédiablement compromis « n’est pas démontré » compte tenu de l’évolution favorable de la situation. Cette formulation négative mérite attention : le juge n’affirme pas que la situation est saine, il constate l’absence de preuve du caractère définitivement obéré.

L’adverbe « irrémédiablement » implique une impossibilité absolue et définitive de redressement. La jurisprudence exige traditionnellement que le débiteur soit dans l’incapacité manifeste de faire face à ses dettes par quelque moyen que ce soit. La reprise d’activité professionnelle, fût-elle modeste, contredit cette impossibilité.

Le tribunal retient que l’octroi du fonds de solidarité logement et la perspective de relogement permettent « d’envisager une amélioration de sa situation rapidement ». Cette projection dans l’avenir proche distingue le surendettement conjoncturel, susceptible de traitement, du surendettement structurel justifiant l’effacement des dettes.

L’appréciation du caractère irrémédiablement compromis relève du pouvoir souverain des juges du fond. En l’espèce, le tribunal exerce pleinement ce pouvoir en refusant de s’enfermer dans les constatations de la commission datant de plusieurs mois.

II. Les implications du renvoi devant la commission de surendettement

Le renvoi à la commission ouvre la voie à des mesures de redressement adaptées (A) et préserve l’équilibre entre les intérêts en présence (B).

A. L’orientation vers des mesures de redressement appropriées

En renvoyant le dossier à la commission pour qu’elle « établisse des mesures de redressement », le tribunal exclut l’effacement des dettes au profit d’un plan d’apurement. Les articles L. 732-1 et suivants du code de la consommation offrent à la commission une palette d’instruments : rééchelonnement des créances, réduction des taux d’intérêt, suspension de l’exigibilité de certaines dettes.

La capacité de remboursement de la débitrice, même modeste, justifie le recours à ces mesures plutôt qu’à la procédure de rétablissement personnel. Avec des ressources de 1 797,02 euros pour des charges évaluées à environ 2 200 euros, la situation demeure certes déficitaire. La dynamique de relogement pourrait réduire les charges de logement et dégager une capacité contributive.

Le tribunal n’impose pas à la commission un type particulier de mesures. Il lui appartient d’apprécier, au vu des éléments actualisés, les modalités les plus adaptées au traitement du passif résiduel de 15 879,01 euros.

B. La préservation de l’équilibre entre protection du débiteur et droits des créanciers

Le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire emporte effacement de l’intégralité des dettes non professionnelles. Cette mesure radicale prive définitivement les créanciers de tout recouvrement. Son caractère exceptionnel impose une appréciation rigoureuse de ses conditions.

La contestation du bailleur social, déclarée recevable conformément à l’article R. 733-6 du code de la consommation, a permis au tribunal d’accéder à des informations actualisées. Le créancier a fait valoir qu’il avait accompagné la débitrice dans ses démarches et que celle-ci honorait désormais ses obligations courantes. Ce comportement vertueux du débiteur en cours de procédure milite contre l’effacement pur et simple des dettes.

Le jugement rappelle que la décision « est de plein droit immédiatement exécutoire », soulignant l’urgence qui s’attache au traitement des situations de surendettement. Les dépens sont laissés à la charge du Trésor public, conformément à la gratuité de la procédure prévue pour les particuliers surendettés.

Cette décision illustre la plasticité du droit du surendettement, qui permet d’adapter la réponse judiciaire à l’évolution de la situation du débiteur entre la saisine de la commission et l’audience. Le refus du rétablissement personnel n’abandonne pas la débitrice à ses difficultés : il oriente le traitement vers des mesures proportionnées à sa capacité contributive retrouvée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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