Tribunal judiciaire de Reims, le 19 juin 2025, n°23/01204

Le jugement rendu le 19 juin 2025 par le Tribunal judiciaire de Reims, statuant aux affaires familiales, prononce le divorce pour altération définitive du lien conjugal entre deux époux mariés depuis 2019. Cette décision, rendue par défaut du mari, illustre le fonctionnement du divorce objectif fondé sur la seule constatation de la séparation prolongée des époux, tout en soulevant des questions relatives à la fixation de la contribution à l’entretien des enfants.

Les faits de l’espèce sont les suivants. Deux époux s’étaient mariés le 8 juin 2019 à Reims sans contrat préalable. Trois enfants sont issus de leur union, nés respectivement en 2005, 2008 et 2014. La communauté de vie a cessé au mois de janvier 2023, date à compter de laquelle l’épouse a occupé seule le logement familial.

Par acte d’huissier du 4 avril 2023, l’épouse a assigné son mari en divorce devant le juge aux affaires familiales de Reims. Le défendeur n’a pas constitué avocat. Une ordonnance de mise en état du 11 avril 2024 a fixé des mesures provisoires. Par conclusions du 11 septembre 2024, la demanderesse a fondé sa demande sur les dispositions de l’article 237 du Code civil et sollicité une augmentation de la pension alimentaire. L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 novembre 2024, l’affaire étant plaidée le 3 mars 2025.

La question posée au tribunal était double. Il convenait d’abord de déterminer si les conditions du divorce pour altération définitive du lien conjugal étaient réunies. Il s’agissait ensuite de fixer le montant de la contribution paternelle à l’entretien des enfants, le père n’ayant pas comparu.

Le tribunal prononce le divorce aux torts exclusifs du mari, retenant que « la cessation de la communauté de vie remonte au moins au mois de janvier 2023 » et que « la condition de délai prévue par la loi est dès lors satisfaite ». Sur la pension alimentaire, il rejette partiellement la demande de l’épouse qui sollicitait 300 euros par enfant, fixant la contribution à 150 euros pour les deux aînées et 100 euros pour la cadette.

Cette décision invite à examiner les conditions du divorce pour altération définitive du lien conjugal (I), avant d’analyser la détermination judiciaire de la contribution parentale à l’entretien des enfants (II).

I. Les conditions du divorce pour altération définitive du lien conjugal

Le divorce pour altération définitive du lien conjugal suppose la réunion de conditions objectives dont la preuve incombe au demandeur (A). La décision commentée illustre la souplesse probatoire admise par les juridictions en cette matière (B).

A. L’exigence légale d’une séparation caractérisée

L’article 237 du Code civil dispose que « le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque le lien conjugal est définitivement altéré ». L’article 238 précise les modalités de cette altération, laquelle « résulte de la cessation de la communauté de vie entre les époux, lorsqu’ils vivent séparés depuis un an au moment de la demande en divorce ». Le même texte ajoute que « si le demandeur a introduit l’instance sans indiquer les motifs de sa demande, le délai caractérisant l’altération définitive du lien conjugal est apprécié au prononcé du divorce ».

Ce cas de divorce, issu de la loi du 26 mai 2004, constitue un divorce objectif. Il ne repose sur aucune faute imputable à l’un des époux. La seule constatation d’une séparation prolongée suffit à caractériser l’échec irrémédiable du mariage. Le législateur a ainsi consacré une conception réaliste du lien matrimonial, admettant qu’une union vidée de sa substance puisse être dissoute sans recherche de responsabilité.

En l’espèce, le tribunal relève que la demanderesse a fondé ses conclusions du 11 septembre 2024 sur l’article 237 du Code civil. La séparation effective des époux remontant à janvier 2023, le délai d’un an était largement écoulé à la date de l’assignation comme à celle du prononcé du divorce.

B. La preuve de la cessation de la communauté de vie

La preuve de la séparation des époux peut être rapportée par tout moyen. En pratique, les juridictions admettent une grande variété d’éléments probatoires. Des quittances de loyer, des attestations de domicile distinct ou des factures au nom d’un seul époux suffisent généralement à établir la réalité de la séparation.

Le tribunal retient en l’espèce qu’« il résulte des pièces produites, notamment les quittances au nom de l’épouse seule, que la cessation de la communauté de vie remonte au moins au mois de janvier 2023 ». Cette formulation révèle l’approche pragmatique du juge. La production de quittances établies au seul nom de l’épouse démontre suffisamment que celle-ci occupait seule le logement.

Cette souplesse probatoire se justifie par la nature même du divorce pour altération définitive du lien conjugal. Dès lors que le législateur a voulu un divorce débarrassé de toute considération fautive, il serait paradoxal d’imposer une preuve rigoureuse de la séparation. La décision commentée s’inscrit dans cette logique, le tribunal se contentant d’indices concordants sans exiger une démonstration exhaustive.

II. La détermination de la contribution parentale à l’entretien des enfants

La fixation de la pension alimentaire obéit à des principes directeurs que le tribunal rappelle avec précision (A). L’application de ces principes en l’absence du débiteur soulève des difficultés particulières (B).

A. Les principes gouvernant l’obligation alimentaire parentale

L’article 371-2 du Code civil énonce que « chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant ». Cette obligation légale subsiste au-delà de la majorité lorsque l’enfant poursuit des études ou ne dispose pas de revenus suffisants.

Le tribunal rappelle que « les parents participent aux frais d’entretien et d’éducation de leurs enfants mineurs ou majeurs à charge, selon leurs ressources respectives et les besoins de leurs enfants ». Il ajoute que « le parent qui prétend être exonéré de cette obligation légale doit rapporter la preuve qu’il n’a pas les moyens matériels d’y satisfaire ». Cette formulation correspond à la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière.

La demanderesse sollicitait une augmentation de la pension de 100 à 300 euros par enfant. Elle faisait valoir l’évolution des besoins des enfants, notamment la poursuite d’études supérieures par l’aînée. Le tribunal examine minutieusement les ressources de l’épouse, relevant un « revenu mensuel moyen de 2875,50 euros » en 2022 et des charges locatives de 625,81 euros, outre diverses mensualités de crédit.

B. La charge probatoire pesant sur le débiteur défaillant

Le défendeur n’ayant pas comparu, le tribunal statue en vertu de l’article 472 du Code de procédure civile qui permet au juge de faire droit à la demande s’il l’estime régulière, recevable et bien fondée. La décision relève que le père « n’a pas comparu, ni justifié de sa situation » et qu’« il ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu’il se trouve dans l’impossibilité matérielle absolue de verser une pension alimentaire ».

Cette formulation illustre le renversement de la charge de la preuve en matière d’obligation alimentaire. Le parent qui invoque son impécuniosité doit l’établir. Son silence ou son absence ne sauraient valoir preuve de cette impossibilité. Le tribunal en tire la conséquence qu’« il n’existe dès lors aucun motif pour l’exonérer de son obligation légale ».

Le montant finalement retenu, 400 euros au total, reste sensiblement inférieur à la demande de 900 euros formulée par la mère. Le tribunal module sa décision en fixant 150 euros pour les deux aînées et 100 euros pour la cadette. Cette différenciation selon l’âge des enfants correspond à une pratique judiciaire courante, les besoins augmentant généralement avec l’âge. La décision prévoit enfin la poursuite de la pension au-delà de la majorité « en cas d’études normalement poursuivies et justifiées », conformément à la jurisprudence établie.

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Hassan KOHEN
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