Tribunal judiciaire de Rennes, le 19 juin 2025, n°25/00674

Le règlement de compétence territoriale occupe une place singulière en procédure civile. Il constitue le préalable nécessaire à tout examen au fond d’un litige. Le tribunal judiciaire de Rennes, par jugement réputé contradictoire du 19 juin 2025, se prononce sur sa propre compétence territoriale dans une affaire opposant deux parties à un litige dont la nature précise demeure occultée dans la décision.

Une demanderesse bénéficiant de l’aide juridictionnelle totale a saisi le tribunal judiciaire de Rennes d’une action dont les fondements ne ressortent pas de la décision, les motifs ayant été occultés. Le défendeur, non comparant, est domicilié dans le ressort d’une autre juridiction. Le Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rennes est intervenu en qualité de partie à la procédure. Le tribunal a statué par jugement réputé contradictoire après débats tenus en chambre du conseil.

La question posée au tribunal était celle de sa compétence territoriale pour connaître du litige. Le tribunal devait déterminer s’il pouvait valablement statuer sur l’affaire ou si celle-ci relevait d’une autre juridiction.

Le tribunal judiciaire de Rennes « se déclare incompétent au profit du Tribunal Judiciaire de Chartres » et ordonne la transmission du dossier à cette juridiction. Il précise que celle-ci « invitera les parties à constituer avocat » et réserve les dépens de l’instance.

Cette décision d’incompétence soulève deux séries de réflexions. Il convient d’examiner les règles gouvernant la compétence territoriale et leur application en l’espèce (I), avant d’envisager les conséquences procédurales du renvoi ordonné (II).

I. La détermination de la compétence territoriale

L’incompétence territoriale prononcée par le tribunal de Rennes appelle une analyse des fondements de cette décision (A), puis des circonstances particulières de l’espèce (B).

A. Les principes directeurs de la compétence territoriale

Le Code de procédure civile pose en son article 42 le principe selon lequel la juridiction territorialement compétente est celle du lieu où demeure le défendeur. Cette règle traditionnelle, héritée de l’adage actor sequitur forum rei, protège le défendeur contre les inconvénients d’un procès engagé loin de son domicile. Le demandeur supporte ainsi la charge de se déplacer vers la juridiction du défendeur.

Des dérogations existent néanmoins. Certaines matières imposent une compétence territoriale d’ordre public. Le tribunal du lieu de situation de l’immeuble connaît exclusivement des actions réelles immobilières. Les actions en matière de succession relèvent du tribunal du lieu d’ouverture de celle-ci. En matière d’état des personnes, des règles particulières s’appliquent selon la nature de l’action.

La circonstance que les débats se soient tenus en chambre du conseil suggère une matière relevant du droit des personnes ou de la famille. L’intervention du Procureur de la République conforte cette hypothèse. Ces éléments orientent vers l’application de règles de compétence territoriale spécifiques, possiblement d’ordre public.

B. L’appréciation de l’incompétence en l’espèce

Le tribunal de Rennes a été saisi par une demanderesse domiciliée dans son ressort. Le défendeur demeure quant à lui dans le ressort du tribunal judiciaire de Chartres. La décision ne révèle pas la nature exacte du litige, les motifs ayant été occultés.

Le tribunal retient son incompétence au profit de Chartres. Cette solution suggère l’application soit du principe général de l’article 42, soit d’une règle de compétence exclusive. Le domicile du défendeur à Chartres expliquerait la première hypothèse. Une règle spéciale liée à la matière justifierait la seconde.

Le caractère réputé contradictoire du jugement révèle la non-comparution du défendeur. Celui-ci n’a donc pas soulevé l’exception d’incompétence. Le tribunal s’est prononcé d’office sur sa compétence. Cette initiative du juge suppose une incompétence qu’il pouvait relever d’office, ce qui oriente vers une règle d’ordre public.

II. Les effets du renvoi à la juridiction compétente

Le dessaisissement du tribunal de Rennes emporte des conséquences immédiates (A) et ouvre une nouvelle phase procédurale (B).

A. Le mécanisme de la transmission du dossier

Le tribunal ordonne la transmission du dossier « à la diligence du greffe ». Cette formule consacre l’automaticité du renvoi. Les parties n’ont pas à accomplir de démarche particulière. Le greffe de Rennes transmettra l’entier dossier à celui de Chartres. La continuité de l’instance est ainsi préservée.

Le jugement précise que la juridiction de renvoi « invitera les parties à constituer avocat ». Cette mention traduit l’obligation de représentation devant le tribunal judiciaire. La demanderesse, assistée d’un avocat au barreau de Rennes, devra constituer un conseil au barreau de Chartres ou solliciter la postulation de son avocat actuel. Le défendeur non comparant sera également invité à cette constitution.

La décision est qualifiée de susceptible d’appel « dans le délai de 15 jours conformément aux articles 83 et suivants du Code de procédure civile ». Ces dispositions régissent le contredit, procédure spécifique aux décisions statuant exclusivement sur la compétence. Ce délai abrégé favorise un règlement rapide de la question de compétence.

B. Le sort des dépens et la poursuite de l’instance

Le tribunal « réserve les dépens de l’instance ». Cette réserve diffère au jugement définitif la charge des frais de justice. La juridiction de renvoi statuera sur leur répartition en fonction de l’issue du litige au fond. Cette solution préserve les droits des parties et évite un préjugement.

L’instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire de Chartres dans l’état où elle se trouvait. Les actes accomplis devant la juridiction incompétente conservent leur effet. Les délais interrompus par la saisine initiale ne recommencent pas à courir. Le demandeur bénéficie ainsi de la préservation de ses droits malgré l’erreur initiale d’orientation.

La non-comparution du défendeur devant le tribunal de Rennes ne préjuge pas de son attitude future. L’invitation à constituer avocat lui offrira l’occasion de prendre part au débat judiciaire. Le caractère réputé contradictoire de la décision de renvoi lui permet de la contester par la voie de l’appel s’il l’estime mal fondée.

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Hassan KOHEN
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