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Le présent jugement, rendu le 19 juin 2025 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Rennes, illustre la délicate conciliation entre le droit de propriété et le droit au logement. Une locataire, occupante sans droit ni titre depuis la résiliation de son bail par les effets d’un congé validé judiciairement, sollicitait un délai pour quitter les lieux. Le bailleur, un organisme d’insertion sociale, n’a pas comparu à l’audience.
Les faits sont les suivants. Par contrat de résidence sociale du 3 juillet 2019, une association pour l’insertion sociale a consenti la location d’un logement à une occupante moyennant une redevance mensuelle de 403,30 euros. Le bailleur a délivré congé le 30 août 2024. Par jugement du 27 février 2025, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Redon a validé ce congé, constaté la résiliation du bail au 2 octobre 2024, ordonné l’expulsion et condamné la locataire au paiement d’arriérés et d’une indemnité d’occupation. Ce jugement a été signifié le 4 mars 2025, accompagné d’un commandement de quitter les lieux.
Par requête du 8 avril 2025, l’occupante a saisi le juge de l’exécution aux fins d’obtenir un délai d’une année pour libérer le logement. Elle invoquait sa situation personnelle et financière ainsi que ses démarches de relogement. Le bailleur, régulièrement convoqué, n’a ni comparu ni été représenté.
La question posée au juge était la suivante : une occupante sans droit ni titre peut-elle obtenir des délais pour quitter les lieux lorsqu’elle justifie de difficultés de relogement et de diligences en ce sens, alors même que le bailleur ne comparaît pas pour s’y opposer ?
Le juge de l’exécution a accordé un délai de cinq mois, conditionné au paiement régulier de l’indemnité d’occupation. Il a fondé sa décision sur les articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution, appréciant les circonstances personnelles de l’occupante et ses efforts de relogement.
Cette décision conduit à examiner successivement les conditions d’octroi des délais pour quitter les lieux (I), puis la portée de la mesure prononcée au regard de l’équilibre des droits en présence (II).
I. Les conditions légales d’octroi des délais pour quitter les lieux
A. Le cadre normatif issu de la loi du 27 juillet 2023
Le juge de l’exécution rappelle les dispositions de l’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution dans leur rédaction issue de la loi du 27 juillet 2023. Ce texte permet l’octroi de « délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou à usage professionnel, dont l’expulsion aura été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne pourra avoir lieu dans des conditions normales ». Le pouvoir d’appréciation du juge est encadré par plusieurs exclusions légales, notamment en cas de mauvaise foi du locataire ou d’introduction dans les lieux par voies de fait.
L’article L. 412-4 du même code précise les critères d’appréciation. La durée des délais « ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an ». Le juge doit tenir compte de « la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations », des « situations respectives du propriétaire et de l’occupant », ainsi que des « diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement ». Le texte mentionne également le « droit à un logement décent et indépendant » et les délais liés aux recours au titre du droit au logement opposable.
Le juge de l’exécution énonce ainsi le principe directeur de son office : « Il appartient donc au juge de respecter un juste équilibre entre deux revendications contraires en veillant à ce que l’atteinte au droit du propriétaire soit proportionnée et justifiée par la sauvegarde des droits du locataire, dès lors que ces derniers apparaissent légitimes. » Cette formulation traduit l’exigence de proportionnalité qui irrigue le contentieux de l’expulsion.
B. L’appréciation concrète de la situation de l’occupante
Le juge procède à un examen circonstancié des éléments de fait. L’occupante « affirme occuper le logement avec sa petite fille âgée de quatre ans ». Elle perçoit l’allocation adulte handicapée, soit 1.016,05 euros mensuels. Le décompte locatif établit qu’« aucune somme n’est plus due au titre de redevances impayées » et que l’occupante « est à jour du règlement de l’indemnité d’occupation mensuelle ». Ces éléments attestent d’une régularisation complète de la situation financière.
S’agissant des démarches de relogement, le juge relève que les demandes de logement social « formées et renouvelées depuis plusieurs années auprès de plusieurs départements (…) n’ont pas abouties ». L’occupante a déposé des demandes au titre du droit au logement opposable. Elle est « en contact avec une assistante sociale » et « en lien avec des personnes du dispositif « Un chez soi d’abord » », dispositif que le juge prend soin de définir.
Le défaut de comparution du bailleur produit une conséquence probatoire défavorable à ce dernier. Le juge note que « faute de comparaître à l’audience, l’AIS 35 ne fait pas la preuve de la poursuite de comportements contraires au règlement intérieur qui ont constitué l’un des motifs du congé ». L’absence du bailleur empêche toute contradiction des affirmations de l’occupante.
II. La portée de la décision au regard de l’équilibre des droits
A. Un délai modéré justifié par la nature du bailleur
Le juge accorde un délai de cinq mois, inférieur à la durée maximale légale d’un an et à la demande de l’occupante. Il justifie cette modération par la qualité du bailleur : « Le bailleur étant un organisme à vocation ultra sociale, un délai de cinq mois sera accordé. » Cette motivation suggère que la mission sociale du bailleur, tournée vers l’insertion des personnes en difficulté, commande de ne pas prolonger excessivement une occupation sans titre.
L’occupante « apporte donc la preuve que sa situation précaire et son état de santé rendent difficile son relogement ». Elle « fait cependant preuve de bonne volonté dans l’exécution de ses obligations » et « justifie de diligences pour se reloger ». Ces trois éléments constituent les critères déterminants de l’octroi des délais. Le juge met en balance les droits de l’occupante et l’intérêt du bailleur à récupérer un logement destiné à l’insertion d’autres personnes en situation précaire.
La prise en compte de la vocation sociale du bailleur apparaît originale. Elle révèle que le juge de l’exécution n’apprécie pas seulement les droits patrimoniaux du propriétaire mais également sa fonction dans le parcours de logement des personnes fragiles. Un délai excessif priverait d’autres bénéficiaires potentiels de l’accès à ce logement social.
B. Le conditionnement du délai comme garantie du propriétaire
Le dispositif du jugement subordonne le maintien du délai au « paiement régulier de la redevance mensuelle résiduelle ». Ce paiement doit intervenir « au plus tard le 10 du mois ». À défaut, « le délai sera caduc 15 jours après une mise en demeure infructueuse et l’expulsion pourra être poursuivie ». Cette clause résolutoire protège le bailleur contre une aggravation de son préjudice pendant la période de grâce.
Le conditionnement du délai au paiement de l’indemnité d’occupation constitue une pratique constante du juge de l’exécution. Il permet de concilier le répit accordé à l’occupant et la préservation des droits du propriétaire. L’occupant qui cesserait de payer perdrait le bénéfice du délai sans que le bailleur ait à introduire une nouvelle instance.
Le juge laisse les dépens à la charge de l’occupante au motif que « la présente procédure a été engagée dans son intérêt exclusif ». Cette solution s’inscrit dans la logique de l’article 696 du code de procédure civile. Elle rappelle que le bénéfice des délais, s’il constitue un droit pour l’occupant dans les conditions légales, n’en reste pas moins une mesure dérogatoire au droit commun de l’exécution forcée.
Le rappel final de l’exécution immédiate du jugement souligne une caractéristique du contentieux de l’exécution. L’article R. 121-21 du code des procédures civiles d’exécution prive l’appel de son effet suspensif. Le délai accordé commence à courir dès le prononcé de la décision. Cette règle traduit l’urgence inhérente à ce contentieux et la nécessité d’une stabilisation rapide des situations.