Tribunal judiciaire de Rennes, le 19 juin 2025, n°25/03750

Par son jugement du 19 juin 2025, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Rennes prononce l’annulation d’un commandement de payer aux fins de saisie-vente fondé sur une ordonnance d’injonction de payer devenue non avenue. Cette décision illustre les conséquences procédurales de la carence du créancier dans le cadre de l’opposition à une injonction de payer.

Une institution de prévoyance avait obtenu, le 21 février 2024, une ordonnance d’injonction de payer à l’encontre d’une société publique locale pour un montant de 30 740,04 euros en principal. Cette ordonnance, revêtue de la formule exécutoire, fut signifiée le 25 avril 2024. La société débitrice forma opposition. Dans le cadre de cette opposition, la créancière ne constitua pas avocat dans les délais requis. Par ordonnance du 19 décembre 2024, le juge de la mise en état constata l’extinction de l’instance et le caractère non avenu de l’ordonnance d’injonction de payer. Malgré cette décision, la créancière fit délivrer le 28 février 2025 un commandement de payer aux fins de saisie-vente pour la somme totale de 33 607,98 euros.

La société débitrice assigna alors la créancière devant le juge de l’exécution aux fins d’annulation de ce commandement. La défenderesse, bien que régulièrement assignée, ne comparut pas. La question posée au juge était de déterminer si un commandement de payer aux fins de saisie-vente pouvait être valablement délivré sur le fondement d’une ordonnance d’injonction de payer devenue non avenue à la suite de l’extinction de l’instance d’opposition.

Le juge de l’exécution répond par la négative et annule le commandement litigieux. Il retient que « le titre exécutoire sur le fondement duquel l’acte d’exécution forcée litigieux a été diligenté n’existant plus, ce dernier n’a par conséquent pas été valablement délivré ».

Cette décision met en lumière l’exigence du titre exécutoire comme condition de validité des mesures d’exécution forcée (I), tout en soulignant les effets de l’extinction de l’instance d’opposition sur l’ordonnance d’injonction de payer (II).

I. L’exigence du titre exécutoire comme fondement nécessaire de l’exécution forcée

Le juge rappelle le principe selon lequel toute mesure d’exécution forcée suppose l’existence d’un titre exécutoire valide (A), avant d’en tirer les conséquences sur la validité du commandement litigieux (B).

A. Le rappel du principe posé par l’article L. 221-1 du Code des procédures civiles d’exécution

Le juge de l’exécution fonde son raisonnement sur l’article L. 221-1 du Code des procédures civiles d’exécution. Ce texte dispose que « tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, après signification d’un commandement, faire procéder à la saisie et à la vente des biens meubles corporels appartenant à son débiteur ». La formulation est claire : la détention d’un titre exécutoire constitue une condition préalable et impérative.

Le titre exécutoire remplit une fonction de garantie pour le débiteur. Il atteste que la créance a fait l’objet d’une vérification judiciaire ou qu’elle émane d’un acte auquel la loi confère force exécutoire. L’ordonnance d’injonction de payer, lorsqu’elle est revêtue de la formule exécutoire et qu’elle n’a pas fait l’objet d’une opposition ou que l’opposition a été rejetée, constitue un tel titre. Le créancier peut alors poursuivre l’exécution forcée.

En l’espèce, l’ordonnance du 21 février 2024 avait bien été signifiée et était devenue exécutoire. Le commandement de payer aux fins de saisie-vente paraissait formellement régulier au moment de sa délivrance. La difficulté tenait à ce qu’entre la signification initiale et la délivrance du commandement, l’ordonnance avait perdu son caractère exécutoire.

B. L’annulation du commandement pour défaut de titre exécutoire

Le juge constate que l’ordonnance d’injonction de payer est devenue non avenue par l’effet de l’ordonnance du 19 décembre 2024. Il en déduit que « le titre exécutoire sur le fondement duquel l’acte d’exécution forcée litigieux a été diligenté n’existant plus », le commandement « n’a par conséquent pas été valablement délivré ».

Le raisonnement du juge procède par syllogisme. La majeure énonce l’exigence d’un titre exécutoire pour toute saisie-vente. La mineure constate la disparition rétroactive du titre. La conclusion s’impose : le commandement est nul. Le juge ne procède pas à une analyse des vices de forme de l’acte. Il se place sur le terrain de l’absence de droit d’agir en exécution forcée.

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante qui sanctionne par la nullité les actes d’exécution diligentés sans titre valable. Le créancier qui poursuit l’exécution sur le fondement d’un titre disparu agit sans droit. La protection du débiteur contre les voies d’exécution injustifiées commande l’annulation de l’acte.

II. Les effets de l’extinction de l’instance d’opposition sur l’ordonnance d’injonction de payer

Le caractère non avenu de l’ordonnance d’injonction de payer résulte des règles propres à la procédure d’opposition (A). Cette décision invite à s’interroger sur les diligences du créancier dans le cadre de cette procédure (B).

A. Le mécanisme du caractère non avenu prévu par l’article 1410 du Code de procédure civile

L’article 1410 du Code de procédure civile dispose que « si, sur opposition, le demandeur ne se constitue pas avocat ou ne saisit pas le tribunal dans les formes et délais de l’article 1408 du présent code, l’ordonnance portant injonction de payer sera non avenue ». Ce texte institue une sanction automatique de la carence du créancier poursuivant.

En l’espèce, la société débitrice avait formé opposition à l’ordonnance d’injonction de payer. Cette opposition ouvrait une instance au fond devant le tribunal judiciaire. La créancière devait constituer avocat dans les délais prévus pour soutenir sa demande initiale. Elle ne le fit pas. Le juge de la mise en état constata l’extinction de l’instance et le caractère non avenu de l’ordonnance.

Le caractère non avenu produit un effet rétroactif. L’ordonnance est réputée n’avoir jamais existé. Elle perd son caractère exécutoire. Les actes d’exécution accomplis sur son fondement deviennent sans base légale. Cette règle vise à sanctionner le créancier négligent qui, après avoir obtenu une décision favorable, ne défend pas sa position lorsque le débiteur la conteste.

B. Les conséquences de la carence du créancier sur les mesures d’exécution

La présente décision illustre les risques encourus par le créancier qui néglige la procédure d’opposition. La créancière avait obtenu une ordonnance d’injonction de payer et l’avait fait signifier. Elle disposait d’un titre exécutoire. L’opposition formée par la débitrice aurait dû l’alerter sur la nécessité de défendre ses droits. Son défaut de constitution d’avocat a entraîné la perte de son titre.

La chronologie des faits révèle une incohérence dans le comportement de la créancière. L’ordonnance du 19 décembre 2024 avait constaté le caractère non avenu de l’injonction de payer. Le commandement fut délivré le 28 février 2025, soit plus de deux mois après. La créancière ne pouvait ignorer que son titre avait disparu. La délivrance du commandement dans ces conditions apparaît comme une voie de fait.

Le juge condamne la créancière aux dépens et au paiement d’une somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Il ordonne également qu’elle conserve à sa charge les frais du commandement annulé. Ces condamnations accessoires sanctionnent le comportement procédural de la créancière qui a contraint la débitrice à engager une procédure pour faire valoir ses droits.

Cette décision rappelle que le titre exécutoire n’est pas acquis de manière définitive lorsqu’il résulte d’une procédure d’injonction de payer. L’opposition du débiteur remet en cause ce titre. Le créancier doit alors défendre activement sa créance sous peine de perdre le bénéfice de la décision obtenue. La vigilance procédurale s’impose tout au long de l’instance, y compris après l’obtention d’une première décision favorable.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture