Tribunal judiciaire de S Sables-d’olonne, le 20 juin 2025, n°25/00160

Le crédit à la consommation constitue un instrument financier dont le contentieux révèle des enjeux majeurs de protection du consommateur. Le juge des contentieux de la protection y exerce un contrôle étendu, y compris sur des stipulations contractuelles que les parties n’ont pas discutées.

Le tribunal judiciaire des Sables d’Olonne a rendu le 20 juin 2025 un jugement illustrant cette fonction régulatrice du juge en matière de crédit à la consommation.

Les faits de l’espèce sont simples. Un établissement bancaire a consenti le 20 janvier 2023 un prêt personnel d’un montant de 17 000 euros, remboursable en 60 mensualités au taux débiteur de 4,40 % l’an. L’emprunteur a cessé d’honorer ses échéances à compter du 4 avril 2023. Le prêteur l’a mis en demeure par courrier du 2 décembre 2024 de régulariser les impayés sous quinze jours, à défaut de quoi la déchéance du terme serait prononcée.

Par assignation délivrée le 16 janvier 2025, l’établissement de crédit a saisi le juge des contentieux de la protection aux fins d’obtenir condamnation de l’emprunteur au paiement du capital restant dû, des échéances impayées, d’une indemnité de retard de 8 % et de frais irrépétibles. L’emprunteur, régulièrement assigné à personne, n’a pas comparu mais a adressé un courrier sollicitant des délais de paiement. Le créancier s’en est rapporté sur cette demande.

Le tribunal devait répondre à plusieurs questions. L’action en paiement était-elle recevable au regard du délai de forclusion biennal ? La créance était-elle fondée ? L’indemnité contractuelle de résiliation devait-elle être maintenue à hauteur de 8 % du capital ? Des délais de paiement pouvaient-ils être accordés au débiteur ?

Le juge a déclaré l’action recevable, le premier incident de paiement non régularisé étant intervenu moins de deux ans avant l’assignation. Il a condamné l’emprunteur au paiement du capital restant dû et des échéances impayées. Il a réduit d’office l’indemnité de résiliation de 1 132,49 euros à 15 euros, considérant que « l’indemnité de 8 % demandée, à hauteur de 1.132,49 euros, s’analyse en une clause pénale qui, cumulée avec les intérêts conventionnels déjà encaissés, revêt un caractère manifestement excessif ». Enfin, il a accordé à l’emprunteur des délais de paiement échelonnés sur vingt-quatre mois.

Cette décision mérite attention en ce qu’elle illustre l’étendue des pouvoirs du juge dans le contentieux du crédit à la consommation. Elle révèle d’abord un contrôle rigoureux de la créance (I), puis une modération substantielle des stipulations pénales (II).

I. Le contrôle rigoureux de la créance par le juge

Le tribunal exerce un double contrôle sur l’action du créancier. Il vérifie d’office la recevabilité temporelle de la demande (A), puis examine le bien-fondé de la créance au regard des exigences légales (B).

A. La vérification d’office de la forclusion biennale

Le Code de la consommation soumet les actions en paiement nées de la défaillance de l’emprunteur à un délai de forclusion de deux ans. L’article R. 312-35 dispose que ce délai court à compter de l’événement qui a donné naissance à l’action. Le juge peut relever d’office ce moyen en application de l’article R. 632-1 du même code.

En l’espèce, le tribunal constate que « le premier incident de paiement non régularisé est intervenu le 4 avril 2023 soit moins de deux ans avant la délivrance de l’assignation le 16 janvier 2025 ». L’action est donc recevable.

Cette vérification d’office traduit la vigilance du juge à l’égard des créanciers professionnels. Le délai de forclusion constitue une sanction de leur inertie. La jurisprudence retient que le point de départ du délai est le premier incident de paiement non régularisé ultérieurement. Cette règle protège l’emprunteur contre des réclamations tardives qui auraient laissé s’accumuler les intérêts et pénalités.

Le tribunal applique cette règle avec rigueur. Il ne se contente pas des affirmations du créancier mais examine les pièces versées aux débats. Cette démarche s’inscrit dans la logique de l’article 472 du Code de procédure civile qui impose au juge de vérifier que la demande est « régulière, recevable et bien fondée » même en l’absence du défendeur.

B. L’examen du bien-fondé de la créance

Le tribunal rappelle qu’il « appartient au créancier qui réclame des sommes au titre d’un crédit à la consommation de justifier de la régularité de l’opération et du respect des exigences légales ». Cette formule synthétise l’office du juge en la matière.

Le créancier doit prouver trois éléments. Il doit établir l’existence du contrat, ce qu’il fait en produisant l’offre préalable de prêt. Il doit démontrer la défaillance de l’emprunteur, ce que révèle l’historique de compte. Il doit justifier du montant réclamé, ce que permet le tableau d’amortissement.

Le tribunal vérifie également la régularité de la déchéance du terme. Il constate que le prêteur « justifie avoir mis en demeure » l’emprunteur « par lettre recommandée avec accusé de réception réceptionnée le 2 décembre 2024 de régler les mensualités impayées dans un délai de 15 jours sous peine de voir prononcer la déchéance du terme ». Cette mise en demeure préalable est une condition de validité de la déchéance du terme selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation.

Ce contrôle minutieux révèle la nature particulière du contentieux du crédit à la consommation. Le juge ne se borne pas à constater l’existence d’une créance. Il vérifie que le professionnel a respecté l’ensemble des prescriptions légales destinées à protéger le consommateur.

II. La modération substantielle des stipulations pénales

Le tribunal exerce son pouvoir modérateur sur l’indemnité contractuelle (A), tout en accordant des délais de paiement adaptés à la situation du débiteur (B).

A. La réduction d’office de l’indemnité de résiliation

L’article 1231-5 du Code civil autorise le juge à « modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire ». Le tribunal fait usage de ce pouvoir en réduisant l’indemnité de 1 132,49 euros à 15 euros.

La motivation retenue est remarquable. Le juge considère que l’indemnité de 8 % « s’analyse en une clause pénale qui, cumulée avec les intérêts conventionnels déjà encaissés, revêt un caractère manifestement excessif ». Cette appréciation intègre donc l’ensemble des sommes perçues par le créancier au titre de la rémunération du prêt.

La réduction opérée est drastique. L’indemnité passe de 1 132,49 euros à 15 euros, soit une diminution de plus de 98 %. Cette sévérité traduit une conception exigeante de la proportionnalité entre la peine et le préjudice réellement subi par le créancier.

Le caractère d’office de cette modération mérite attention. L’emprunteur n’avait formulé aucune demande en ce sens. Le juge use donc pleinement de la faculté que lui reconnaît l’article 1231-5 depuis la réforme du droit des obligations de 2016. Cette intervention spontanée protège le débiteur défaillant qui, souvent, n’a pas les moyens de se défendre efficacement.

B. L’octroi de délais de paiement adaptés

L’article 1343-5 du Code civil permet au juge d’échelonner le paiement des sommes dues dans la limite de deux années. Le tribunal accorde au débiteur vingt-quatre mensualités de 200 euros.

La motivation repose sur la situation personnelle du débiteur. Le tribunal relève qu’il « fait valoir qu’il a vainement tenté de renégocier les échéances du prêt à deux reprises, sans réponse de la défenderesse ou du médiateur bancaire » et qu’il « précise être handicapé et dans l’impossibilité de régler plus de 200 euros par mois ».

Ces délais s’accompagnent de garanties pour le créancier. La suspension des majorations d’intérêts pendant leur durée est de droit. Une clause de déchéance du bénéfice des délais est prévue en cas de défaut de paiement d’une seule mensualité.

L’articulation entre la réduction de l’indemnité et l’octroi des délais révèle la cohérence de l’approche du tribunal. Le juge cherche à préserver les chances de remboursement effectif en allégeant la charge totale de la dette. Une indemnité de résiliation élevée aurait compromis la capacité du débiteur à honorer l’échéancier accordé.

Cette décision illustre l’évolution du rôle du juge des contentieux de la protection. Son office ne se limite pas à trancher un litige entre deux parties. Il participe à la régulation du marché du crédit en sanctionnant les clauses abusives et en adaptant les condamnations aux capacités réelles du débiteur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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