Tribunal judiciaire de S Sables-d’olonne, le 20 juin 2025, n°25/00194

Le numérique irrigue désormais l’ensemble des relations contractuelles. La signature électronique, présentée comme l’équivalent fonctionnel de la signature manuscrite, soulève des questions probatoires que les juridictions du fond appréhendent avec une rigueur croissante. Le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire des Sables d’Olonne le 20 juin 2025 illustre cette exigence renouvelée.

Un établissement bancaire avait consenti, le 11 décembre 2021, un prêt personnel de 5 000 euros remboursable en soixante mensualités au taux débiteur de 7,20 % l’an. L’emprunteuse ayant cessé d’honorer ses échéances, la banque lui adressa une mise en demeure le 2 décembre 2024 puis, faute de régularisation, l’assigna le 20 janvier 2025 devant le juge des contentieux de la protection aux fins d’obtenir la résiliation du contrat et le paiement du solde restant dû, soit 4 149,42 euros en principal outre une indemnité de résiliation.

L’emprunteuse, assignée par acte délivré à étude, ne comparut pas. La banque produisit une attestation de preuve émanant de son système d’information ainsi qu’une certification délivrée par un tiers inscrit auprès de l’ANSSI attestant que son prestataire proposait des solutions de signature qualifiée et non qualifiée.

La question posée au juge était la suivante : la production d’une attestation de preuve électronique et d’une certification établissant que le prestataire dispose de solutions qualifiées suffit-elle à établir la force probante d’un contrat de crédit signé électroniquement lorsqu’aucun élément ne permet de déterminer si la signature litigieuse relève du régime qualifié ?

Le tribunal débouta la banque de l’ensemble de ses demandes. Il retint que la signature électronique produite ne pouvait être tenue pour qualifiée au sens du règlement eIDAS dès lors qu’aucune mention ne permettait d’identifier la solution effectivement utilisée. Il ajouta que, à défaut de qualification, la banque devait démontrer la fiabilité du procédé, ce qu’elle n’avait pas fait, le fichier de preuve ne contenant ni justificatif ni descriptif des vérifications d’identité opérées.

Cette décision invite à examiner successivement l’exigence d’identification de la nature de la signature électronique utilisée (I) puis les conséquences probatoires attachées au défaut de qualification (II).

I. L’exigence d’identification de la nature de la signature électronique

Le tribunal rappelle d’abord le cadre normatif applicable à la présomption de fiabilité (A), puis en déduit l’obligation pour le créancier de prouver que la signature litigieuse relève du régime qualifié (B).

A. Le rappel du cadre normatif de la signature qualifiée

Le juge des contentieux de la protection énonce que « la fiabilité d’un procédé de signature électronique est présumée jusqu’à preuve contraire, lorsque ce procédé met en œuvre une signature électronique qualifiée ». Il rappelle la définition réglementaire issue de l’article 1er du décret du 28 septembre 2017, renvoyant aux articles 26, 28 et 29 du règlement eIDAS. La signature qualifiée suppose ainsi une signature avancée, un dispositif de création qualifié et un certificat qualifié.

Cette architecture normative établit une hiérarchie probatoire. Seule la signature qualifiée bénéficie de la présomption de fiabilité portant sur l’intégralité de l’acte et l’identité du signataire. Le tribunal souligne que « la présomption de fiabilité de la signature électronique, comme toute présomption, déplace l’objet de la preuve, mais ne la supprime pas ». La banque devait donc établir que les conditions de la qualification étaient réunies.

B. L’insuffisance des pièces produites pour établir la qualification

Le tribunal constate que l’attestation du tiers certificateur mentionne que le prestataire propose des solutions qualifiées et non qualifiées. Il relève qu’« aucune mention ne figure ni sur le document intitulé attestation de preuve, ni sur les captures d’écran annexées concernant la solution adoptée en l’espèce ». Cette lacune est décisive : la banque ne permet pas au juge de déterminer sous quel régime la signature a été apposée.

Le raisonnement du tribunal s’inscrit dans une lecture exigeante de la charge probatoire. Le créancier qui se prévaut d’un contrat signé électroniquement ne saurait se contenter de produire une certification générique établissant les capacités techniques de son prestataire. Il doit rattacher la signature litigieuse au régime dont il entend bénéficier. Le silence des pièces sur ce point conduit logiquement à écarter la présomption de fiabilité.

II. Les conséquences probatoires du défaut de qualification

Privé du bénéfice de la présomption, le créancier doit établir par d’autres moyens la fiabilité de la signature (A). Son échec sur ce terrain emporte le rejet de l’ensemble de ses prétentions (B).

A. L’exigence de démonstration de la fiabilité du procédé non qualifié

Le tribunal précise que « l’établissement d’une présomption de fiabilité au bénéfice de la signature qualifiée ne signifie pas que la signature électronique non qualifiée est dépourvue de force probante ». Conformément à l’article 1367 du code civil, celle-ci demeure un moyen de preuve admissible, mais il appartient à celui qui s’en prévaut d’établir qu’elle résulte d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte.

En l’espèce, le juge relève qu’« il ne résulte du fichier de preuve produit aucun justificatif ni même aucun descriptif des vérifications concrètement effectuées par le tiers de confiance pour s’assurer de l’identité du signataire ». Le fichier ne permet pas davantage de garantir le lien entre la signature et le contrat. L’exigence d’imputabilité et de rattachement à l’acte n’est donc pas satisfaite.

B. Le rejet des demandes faute de preuve du consentement contractuel

Le tribunal écarte les moyens subsidiaires susceptibles de pallier la défaillance probatoire. Il note que « la preuve du crédit litigieux ne peut non plus résulter de ce que l’emprunteuse n’a pas contesté avoir souscrit le prêt en cause, celle-ci n’ayant pas comparu ». L’absence de contestation ne saurait valoir reconnaissance. De même, le simple décompte dressé par la banque, corroboré par aucun élément, ne permet pas d’établir une exécution volontaire du contrat.

La solution retenue témoigne de la portée de l’article 472 du code de procédure civile. Le défaut de comparution du défendeur n’exonère pas le demandeur de rapporter la preuve de ses prétentions. Le juge apprécie souverainement si la demande est « régulière, recevable et bien fondée ». En l’espèce, le défaut de preuve du consentement contractuel conduit au débouté intégral et à la condamnation de la banque aux dépens.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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