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Le crédit à la consommation demeure un terrain fertile de contentieux, particulièrement lorsque les emprunteurs invoquent des manquements du prêteur à ses obligations précontractuelles. Le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc le 16 juin 2025 illustre les difficultés nées de l’application dans le temps des réformes successives du droit de la consommation.
En l’espèce, une offre préalable de crédit fut acceptée le 29 avril 2010 par deux époux pour un montant de 75 000 euros, remboursable en 156 mensualités au taux nominal de 6,96 %, destiné à l’acquisition d’un camping-car. Des échéances demeurèrent impayées, conduisant l’établissement prêteur à prononcer la déchéance du terme le 13 mars 2017. Par assignation du 16 juillet 2021, le prêteur sollicita la condamnation solidaire des co-emprunteurs au paiement de la somme de 59 416,69 euros.
L’emprunteuse opposa diverses fins de non-recevoir tirées de la forclusion et de la prescription, lesquelles furent rejetées par ordonnance d’incident du 23 mai 2023, confirmée par la cour d’appel de Rennes le 10 septembre 2024. Au fond, elle demanda la déchéance du droit aux intérêts du prêteur, arguant d’un défaut de vérification de la solvabilité des emprunteurs et de consultation du fichier des incidents de paiement. Elle sollicita subsidiairement des délais de paiement ainsi qu’une garantie de son ex-époux. Le co-emprunteur ne constitua pas avocat.
La question posée au tribunal était celle de l’application dans le temps des dispositions du code de la consommation imposant au prêteur de vérifier la solvabilité de l’emprunteur, et subsidiairement celle de la possibilité pour un co-emprunteur d’obtenir la garantie de l’autre après dissolution du mariage.
Le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc débouta l’emprunteuse de l’ensemble de ses demandes. Il jugea que les dispositions des articles L.311-9 et L.333-4 du code de la consommation, issues de la loi du 1er juillet 2010, n’étaient applicables qu’aux contrats souscrits à compter du 1er mai 2011 et ne pouvaient donc sanctionner un contrat conclu antérieurement. Il condamna solidairement les deux emprunteurs au paiement de la créance réclamée.
Cette décision invite à examiner successivement la question de l’application ratione temporis des obligations précontractuelles du prêteur (I), puis celle de la solidarité des co-emprunteurs après divorce (II).
I. L’application ratione temporis des obligations précontractuelles du prêteur
Le tribunal écarte la demande de déchéance du droit aux intérêts en se fondant sur l’inapplicabilité des textes invoqués (A), ce qui traduit une conception stricte du principe de non-rétroactivité de la loi (B).
A. L’inapplicabilité des dispositions postérieures au contrat
L’emprunteuse invoquait les articles L.311-9 et L.333-4 du code de la consommation pour reprocher au prêteur de ne pas avoir vérifié sa solvabilité ni consulté le fichier des incidents de paiement. Le tribunal relève que « ces dispositions d’ordre public ne sont entrées en vigueur que pour les contrats souscrits à compter du 1er mai 2011 ». Il en déduit qu’« il ne peut être imputé quelconque défaillance au prêteur de ne pas avoir respecté des dispositions qui n’existaient pas au jour de la signature du contrat ».
Cette motivation s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Les obligations de vérification de la solvabilité et de consultation du fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers furent introduites par la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation. Le législateur avait expressément prévu une entrée en vigueur différée, applicable aux seuls contrats conclus postérieurement. Le contrat litigieux, signé le 29 avril 2010, échappait donc nécessairement à ces exigences.
B. La rigueur du principe de non-rétroactivité
Le tribunal qualifie le moyen soulevé de « totalement inopérant », formule sévère mais juridiquement exacte. Le principe de non-rétroactivité de la loi, consacré par l’article 2 du code civil, interdit d’appliquer une norme nouvelle aux situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur. Un contrat de crédit forme une telle situation au jour de son acceptation.
Cette solution, quoique défavorable à l’emprunteuse, garantit la sécurité juridique des relations contractuelles. Le prêteur ne saurait être sanctionné pour n’avoir pas respecté des obligations inexistantes lors de la conclusion du contrat. La protection du consommateur trouve ici sa limite naturelle dans le principe de prévisibilité du droit. Le tribunal fait ainsi une application orthodoxe des règles de conflit de lois dans le temps, sans que le caractère d’ordre public des dispositions invoquées puisse modifier cette analyse.
II. La solidarité des co-emprunteurs après dissolution du mariage
Le tribunal refuse d’accorder à l’emprunteuse une garantie de son ex-époux (A) et rejette également sa demande de délais de paiement (B).
A. L’opposabilité du contrat de prêt aux deux co-emprunteurs
L’emprunteuse soutenait ignorer les conditions de financement du véhicule et demandait que son ex-époux soit condamné à la garantir. Le tribunal écarte ce moyen en relevant que « le couple disposait de deux véhicules, un pour chacun » et que « les échéances étaient prélevées sur le compte joint ». Il ajoute que « le montant de la somme empruntée pour financer un tel engin justifiait que le prêteur exige deux co-emprunteurs dont les revenus respectifs ont été renseignés dans l’offre ».
Le tribunal souligne l’absence de diligence des époux lors de leur divorce. Ceux-ci n’ont pas « pris la peine de faire état » du passif en cours dans leur convention de divorce par consentement mutuel, « se contentant de déclarer que le compte joint avait été clôturé ». Cette négligence ne saurait être opposée au créancier. Le contrat de prêt demeure « opposable » à l’emprunteuse qui « est co-empruntrice au même titre que son ex-époux ».
Cette solution rappelle que la solidarité contractuelle survit à la dissolution du mariage. Les arrangements entre ex-époux, fussent-ils homologués par le juge du divorce, ne sont pas opposables aux créanciers qui n’y ont pas été parties. L’emprunteuse ne pouvait donc se prévaloir d’un éventuel partage interne de la dette pour échapper à son obligation envers le prêteur.
B. Le rejet de la demande de délais de paiement
L’emprunteuse sollicitait subsidiairement des délais de paiement sur le fondement de l’article 1343-5 du code civil. Le tribunal procède à une analyse chiffrée de sa situation. Elle « déclare être hébergée et percevoir entre 13 000 et 16 000 € par an » sans justifier « d’aucune charge ». Face à une créance de « plus de 59 000 € », le tribunal juge que « la mise en place d’un échéancier sur 24 mois dans les termes de l’article 1343-2 du code civil est impossible ».
Cette motivation appelle une observation. Le tribunal vise l’article 1343-2 du code civil relatif à l’anatocisme, alors que la demande de délais de paiement relève de l’article 1343-5. Il s’agit vraisemblablement d’une erreur de plume sans incidence sur la solution. Sur le fond, le rejet s’explique par la disproportion manifeste entre les revenus déclarés et le montant de la dette. Un échéancier de 24 mois supposerait des mensualités d’environ 2 475 euros, soit un montant très supérieur aux revenus annuels de la débitrice. Le pouvoir souverain d’appréciation du juge s’exerce ici dans le sens d’un refus justifié par l’impossibilité matérielle d’un apurement de la dette dans le délai légal maximum.