Tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion, le 17 juin 2025, n°25/00044

Le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Saint-Paul (La Réunion), par jugement réputé contradictoire du 17 juin 2025, a statué sur une demande de résiliation de bail et d’expulsion formée par un bailleur à l’encontre de son locataire défaillant.

Une société civile immobilière avait consenti un bail d’habitation le 10 septembre 2020 portant sur un appartement situé à Saint-Paul. Le loyer mensuel s’élevait à 598 euros, charges comprises. Des impayés sont apparus, conduisant le bailleur à obtenir un premier jugement le 14 juin 2022 constatant la résiliation du bail et ordonnant l’expulsion. Ce jugement n’a jamais été signifié au locataire. Les impayés se sont accumulés et le bailleur a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 22 avril 2024 pour une somme de 23 748,34 euros. Ce commandement étant demeuré infructueux, une nouvelle assignation a été délivrée le 6 décembre 2024.

En première instance, le jugement du 14 juin 2022 avait constaté la résiliation du bail et condamné le locataire au paiement des sommes dues. Ce jugement n’ayant pas été signifié dans les six mois de sa date, le bailleur a introduit une nouvelle instance par assignation du 6 décembre 2024. Le locataire, bien que régulièrement cité, n’a comparu à aucune audience mais a adressé plusieurs courriers au greffe contestant la dette et invoquant l’autorité de la chose jugée.

Le bailleur soutenait que le défaut de signification du premier jugement rendait celui-ci non avenu et justifiait une nouvelle action. Il sollicitait le constat de la résiliation du bail, l’expulsion du locataire et sa condamnation au paiement des loyers impayés ainsi que des indemnités d’occupation. Le locataire opposait dans ses courriers l’autorité de la chose jugée attachée au jugement de 2022 et contestait le montant de la dette réclamée.

La question posée au juge était la suivante : un bailleur peut-il introduire une nouvelle action en résiliation de bail et en expulsion lorsqu’un précédent jugement réputé contradictoire, statuant sur les mêmes demandes, n’a pas été signifié dans le délai de six mois prévu par l’article 478 du code de procédure civile ?

Le tribunal a jugé l’action recevable au motif que le jugement du 14 juin 2022, réputé contradictoire, était devenu non avenu faute de signification dans les six mois. Le juge a constaté la résiliation du bail à compter du 23 juin 2024 par l’effet de la clause résolutoire, ordonné l’expulsion et condamné le locataire au paiement de 25 019,68 euros au titre des loyers arriérés ainsi qu’aux indemnités d’occupation postérieures.

I. La caducité du jugement non signifié, fondement procédural de la recevabilité de l’action

Cette première partie examine les conditions d’application de l’article 478 du code de procédure civile (A), avant d’analyser les conséquences de la caducité sur l’autorité de la chose jugée (B).

A. L’application rigoureuse de l’article 478 du code de procédure civile

Le tribunal rappelle que « le jugement rendu par défaut ou le jugement réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel est non avenu s’il n’a pas été notifié dans les six mois de sa date ». Cette règle procédurale vise à garantir l’effectivité des décisions de justice. Un jugement qui n’est pas porté à la connaissance du défendeur dans un délai raisonnable perd toute existence juridique.

La sanction du caractère non avenu présente une originalité par rapport aux autres causes d’extinction des jugements. Elle ne suppose aucune initiative du défendeur, contrairement à l’opposition. Elle opère de plein droit par le seul écoulement du temps. Le juge relève que la notification par le greffe ne suffit pas à satisfaire cette exigence. Seule la signification par voie d’huissier permet de faire courir les délais d’exécution et de recours.

Le choix du législateur de subordonner le maintien du jugement à sa signification traduit une conception de la procédure civile fondée sur le contradictoire effectif. Le défendeur non comparant conserve ainsi une forme de protection contre des décisions rendues à son insu et demeurées inexécutées.

Cette règle présente une portée pratique considérable en matière de bail d’habitation. Les procédures d’expulsion impliquent la délivrance d’un commandement de quitter les lieux, lequel suppose la signification préalable du jugement. Le bailleur négligent qui omet cette formalité ne peut se prévaloir de la décision obtenue.

B. L’anéantissement de l’autorité de la chose jugée

Le locataire invoquait l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du 14 juin 2022. Le tribunal écarte cette fin de non-recevoir en relevant que le jugement « n’a cependant pas été signifié par la SCI au défendeur ». La conséquence s’impose : un jugement non avenu ne peut produire aucun effet juridique, y compris l’autorité de la chose jugée.

Le juge ajoute une observation factuelle pertinente : le locataire « n’a ni été expulsé ni été contraint de payer des sommes au titre des loyers ». Cette situation concrète confirme l’absence d’exécution du premier jugement. L’autorité de la chose jugée suppose l’existence d’une décision valable. Un jugement anéanti rétroactivement ne saurait faire obstacle à une nouvelle demande portant sur le même objet.

La solution s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Le jugement non avenu est réputé n’avoir jamais existé. Les conditions de l’article 1355 du code civil relatives à l’autorité de la chose jugée ne peuvent être remplies en l’absence de décision subsistante.

Cette analyse conduit à une situation paradoxale pour le locataire. Celui-ci a bénéficié pendant plusieurs années de l’inaction du bailleur, lequel n’a pas fait exécuter le jugement obtenu. Mais cette période lui est devenue défavorable puisque les impayés se sont accumulés, portant la dette de 8 214 euros en 2022 à plus de 32 000 euros en 2025.

Le constat de la caducité du premier jugement ayant permis au tribunal de déclarer l’action recevable, il convenait ensuite de statuer sur le fond des demandes relatives à la résiliation du bail.

II. La mise en oeuvre de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation

L’examen du mécanisme de la clause résolutoire (A) précède l’analyse des condamnations pécuniaires prononcées (B).

A. Les conditions d’acquisition de la clause résolutoire

Le tribunal applique l’article 24 I de la loi du 6 juillet 1989 disposant que la clause résolutoire « ne produit effet que deux mois après un commandement de payer demeuré infructueux ». Le bail du 10 septembre 2020 contenait une telle clause. Le commandement de payer du 22 avril 2024 visait expressément cette stipulation et accordait un délai de deux mois pour régulariser la dette.

La signification de ce commandement a été effectuée par remise à l’étude du commissaire de justice. Cette modalité de signification, prévue par l’article 656 du code de procédure civile, est régulière lorsque le destinataire est absent de son domicile. Le juge a exigé en cours de délibéré la production des modalités de remise de l’acte, manifestant ainsi son attention au respect du formalisme protecteur du locataire.

Le commandement étant demeuré sans effet pendant plus de deux mois, le tribunal constate que « les conditions d’acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail sont réunies à la date du 23 juin 2024 ». Cette date correspond à l’expiration du délai de deux mois augmenté des délais de signification.

La clause résolutoire en matière de bail d’habitation présente un régime protecteur du locataire. L’article 24 de la loi de 1989 impose la saisine préalable de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions. Le bailleur justifie avoir accompli cette formalité le 7 mai 2024. La notification au préfet a également été effectuée dans les délais requis.

B. La liquidation des créances locatives

Le juge distingue trois postes de créances. Les loyers et charges impayés arrêtés à la date de résiliation s’élèvent à 25 019,68 euros. Les indemnités d’occupation courent à compter du 24 juin 2024, date à laquelle le locataire est devenu occupant sans droit ni titre. La taxe d’enlèvement des ordures ménagères pour 2024 représente 298,88 euros.

Le tribunal refuse d’accorder les intérêts à compter du commandement de payer, les fixant « à compter de la présente décision ». Cette solution limite l’aggravation de la dette du locataire. Elle peut surprendre dans la mesure où le commandement de payer vaut mise en demeure au sens de l’article 1344 du code civil.

L’indemnité d’occupation est fixée au montant du loyer et des charges. Cette solution correspond à la jurisprudence constante qui évalue l’indemnité à la valeur locative du bien occupé sans droit. Le juge précise que cette indemnité subira les révisions prévues au bail, maintenant ainsi le mécanisme d’indexation malgré la résiliation du contrat.

Le tribunal rejette la demande au titre des frais irrépétibles au motif que le bailleur « n’a pas fait signifier le premier jugement rendu le 14 juin 2022 ». Cette sanction pécuniaire indirecte rappelle au bailleur sa négligence procédurale. Celui-ci aurait pu obtenir l’expulsion dès 2022 et limiter ainsi l’accumulation des impayés.

La décision illustre les difficultés pratiques du contentieux locatif. Le locataire n’a formé aucune demande de délai de paiement. Le juge relève qu’une telle demande aurait été vouée à l’échec, le nouvel article 24 de la loi de 1989 exigeant que le locataire ait repris le paiement avant l’audience. Cette condition restrictive réduit considérablement les possibilités d’aménagement de la dette locative.

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Hassan KOHEN
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