Tribunal judiciaire de Saint Denis, le 16 juin 2025, n°25/00078

La mise en oeuvre de la déchéance du terme dans les contrats de crédit à la consommation constitue un mécanisme fréquemment mis en application par les établissements prêteurs confrontés à la défaillance de leurs cocontractants. Le jugement rendu par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal de proximité de Saint-Benoît le 16 juin 2025 illustre les tensions pouvant exister entre les prérogatives du créancier et la protection du débiteur surendetté.

En l’espèce, un établissement de crédit avait consenti, le 8 décembre 2021, à deux emprunteurs solidaires un prêt personnel de regroupement de crédits d’un montant de 61.500 euros, remboursable en 144 mensualités au taux annuel fixe de 3,48%. Face au non-paiement de plusieurs échéances, le prêteur a prononcé la déchéance du terme le 10 septembre 2024 puis a assigné les emprunteurs devant le juge des contentieux de la protection aux fins d’obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 63.138,73 euros. Les défendeurs, qui comparaissaient en personne, ont reconnu la dette mais ont fait valoir qu’ils bénéficiaient depuis le 2 avril 2024 de mesures imposées dans le cadre d’une procédure de surendettement.

La question posée au juge était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si l’existence d’une procédure de surendettement en cours faisait obstacle au prononcé d’une condamnation en paiement. Il convenait ensuite de fixer le quantum de la créance du prêteur, notamment s’agissant de l’indemnité contractuelle.

Le juge des contentieux de la protection a condamné solidairement les emprunteurs au paiement de la somme de 58.825,50 euros, tout en réduisant d’office la clause pénale à 100 euros et en rappelant que la procédure de surendettement prévaut sur la présente décision tant que les mesures imposées sont respectées.

Cette décision mérite analyse tant au regard des conditions de mise en oeuvre de la déchéance du terme malgré le surendettement (I) que de l’office du juge dans la détermination des sommes dues (II).

I. La déchéance du terme confrontée à la procédure de surendettement

Le jugement commenté illustre l’articulation entre le droit du prêteur d’obtenir un titre exécutoire et la protection accordée au débiteur surendetté (A), tout en précisant les effets limités de la procédure de surendettement sur l’action en paiement (B).

A. Le maintien du droit d’agir du créancier

Le juge rappelle les fondements textuels de l’action en paiement. Il vise les articles 1103 et 1104 du Code civil relatifs à la force obligatoire des contrats, puis l’article 1353 du même code gouvernant la charge de la preuve. S’agissant de la déchéance du terme, la motivation s’appuie sur les articles 1224 et 1225 du Code civil, combinés avec l’article L. 312-39 du Code de la consommation qui autorise le prêteur, « en cas de défaillance de l’emprunteur », à « exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés ».

La référence à l’article L. 722-2 du Code de la consommation revêt une importance particulière. Ce texte prévoit que la recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement « emporte suspension et interdiction des procédures d’exécution diligentées à l’encontre des biens du débiteur ». Le juge précise cependant que cette suspension « n’empêche toutefois pas les créanciers d’engager les procédures légales aux fins d’obtenir un titre exécutoire établissant leurs créances ». Cette distinction entre l’action en justice et l’exécution forcée permet au créancier de faire constater judiciairement sa créance sans attendre l’issue de la procédure de surendettement.

B. La primauté des mesures de surendettement sur le titre exécutoire

Le jugement contient une formule qui mérite attention. Le juge indique que « malgré l’existence d’une procédure de surendettement en cours qui prévaut sur la présente décision autant que les mesures imposées par la commission de surendettement sont respectées par les débiteurs », les emprunteurs demeurent redevables des sommes réclamées. Cette rédaction établit une hiérarchie claire entre le titre exécutoire obtenu et les mesures de traitement du surendettement.

Le créancier obtient ainsi un titre mais ne peut en poursuivre l’exécution que dans les limites fixées par le plan de surendettement. Cette solution préserve les droits de chaque partie. Le prêteur dispose d’un titre exécutoire qui fixe définitivement le montant de sa créance et interrompt la prescription. Les débiteurs conservent le bénéfice des mesures imposées dès lors qu’ils les respectent. Cette articulation entre droit des procédures civiles d’exécution et droit du surendettement traduit un équilibre entre protection du crédit et protection du consommateur défaillant.

II. L’office du juge dans la liquidation de la créance

Le juge des contentieux de la protection exerce un contrôle sur les sommes réclamées par le prêteur, tant au regard de la structure de la créance (A) que de la modération de la clause pénale (B).

A. La vérification de la composition de la créance

Le jugement procède à un examen détaillé des différentes composantes de la créance. Le prêteur réclamait initialement 63.138,73 euros. Le juge ramène cette somme à 58.825,50 euros après ventilation. Il distingue les échéances échues impayées incluant l’assurance pour 7.667,52 euros, le capital restant dû pour 50.711,85 euros, l’assurance courue arrêtée pour 151,08 euros, les intérêts courus pour 195,05 euros et la clause pénale réduite à 100 euros.

Cette ventilation n’est pas qu’une opération comptable. Elle répond à l’exigence posée par l’article L. 312-38 du Code de la consommation selon lequel « aucune indemnité ni aucun frais autres que ceux mentionnés aux articles L. 312-39 et L. 312-40 ne peuvent être mis à la charge de l’emprunteur en cas de défaillance ». Le juge en déduit que « la capitalisation des intérêts est exclue », rejetant ainsi implicitement la demande d’anatocisme formée par le prêteur dans son assignation. Cette solution conforme à la lettre du texte protège l’emprunteur contre une augmentation mécanique de sa dette.

Le juge distingue également le régime des intérêts selon la nature des sommes. Les intérêts contractuels au taux de 3,48% s’appliquent au capital restant dû et à la part en capital des échéances impayées. En revanche, l’assurance courue et les intérêts courus sont déclarés « non productifs d’intérêts ». Seule la clause pénale réduite porte intérêts au taux légal.

B. La réduction d’office de la clause pénale

Le prêteur sollicitait l’application de l’indemnité prévue à l’article L. 312-39 du Code de la consommation, fixée par décret à 8% du capital restant dû. Sur un capital de 50.711,85 euros, cette indemnité aurait représenté plus de 4.000 euros. Le juge la réduit d’office à 100 euros, soit une diminution de près de 97%.

Cette réduction massive trouve son fondement dans l’article 1231-5 du Code civil, expressément visé dans la motivation. Ce texte autorise le juge à « réduire d’office le montant de la clause pénale si elle est manifestement excessive ». Le juge indique que cette réduction peut intervenir « en tenant compte de l’exécution partielle de l’emprunteur ou du taux des intérêts contractuels appliqué ». En l’espèce, les emprunteurs avaient remboursé leur prêt pendant plusieurs années avant la défaillance et respectaient les mesures de surendettement. Le taux contractuel de 3,48%, relativement modéré pour un crédit à la consommation, constituait déjà une rémunération du risque pris par le prêteur.

Cette décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle favorable à la modération des clauses pénales en matière de crédit à la consommation. Elle traduit la volonté du juge de ne pas aggraver la situation de débiteurs déjà en difficulté financière, sans pour autant priver le créancier de toute indemnisation de son préjudice. Le montant symbolique de 100 euros sanctionne l’inexécution contractuelle tout en préservant les chances de redressement des débiteurs dans le cadre de la procédure de surendettement.

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Hassan KOHEN
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