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Le contentieux des baux d’habitation constitue un domaine où s’affrontent deux impératifs parfois contradictoires : la protection du droit de propriété du bailleur et la préservation du droit au logement du locataire. Le jugement rendu par le Tribunal de proximité de Saint Benoit le 16 juin 2025 illustre cette tension en matière de clause résolutoire et de délais de paiement.
Un bailleur social avait consenti un bail d’habitation le 18 décembre 2018 portant sur un local situé à la Réunion, moyennant un loyer mensuel de 550,71 euros charges comprises. Le locataire ayant cessé de régler ses échéances, le bailleur lui a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 12 septembre 2023 pour une somme de 2567,78 euros. Ce commandement étant demeuré infructueux, le bailleur a assigné le locataire par acte du 7 février 2025 devant le Juge des contentieux de la protection aux fins de voir constater la résiliation du bail, ordonner l’expulsion et obtenir condamnation au paiement de l’arriéré locatif actualisé à 4493,06 euros.
Le locataire a comparu à l’audience du 14 avril 2025 et sollicité l’octroi de délais de paiement ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire, exposant avoir repris le paiement du loyer courant et proposant de régler 50 euros mensuels en sus pour apurer sa dette. Le bailleur ne s’est pas opposé à cette demande.
La question posée au juge était celle de savoir si le locataire défaillant pouvait bénéficier de délais de paiement suspensifs des effets de la clause résolutoire acquise, alors que sa dette locative s’élevait à plus de huit mois de loyer.
Le juge a fait droit à la demande du locataire. Après avoir constaté que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire étaient réunies depuis le 13 novembre 2023, il a accordé des délais de paiement sur trente-six mensualités et suspendu les effets de la clause résolutoire pendant cette période. Le jugement précise que si l’échéancier est intégralement respecté, « la clause résolutoire sera réputée n’avoir jamais joué ».
Cette décision appelle un examen du mécanisme de la clause résolutoire dans le bail d’habitation (I), puis une analyse du pouvoir modérateur du juge en matière de délais de paiement suspensifs (II).
I. Le constat de l’acquisition de la clause résolutoire
L’étude du régime légal de la clause résolutoire (A) précède celle de la vérification des conditions procédurales de sa mise en œuvre (B).
A. Le régime légal de la clause résolutoire dans le bail d’habitation
L’article 24 I de la loi du 6 juillet 1989 dispose que « tout contrat de bail d’habitation contient une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ». Cette clause ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux, délai ramené de deux mois à six semaines par la loi du 27 juillet 2023.
Le juge prend soin de préciser l’articulation temporelle des textes applicables. Le bail ayant été conclu le 18 décembre 2018, la clause résolutoire qu’il contenait prévoyait un délai de deux mois conformément au droit alors en vigueur. Le commandement de payer ayant été délivré le 12 septembre 2023, soit avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle le 29 juillet 2023, le délai applicable demeurait celui de deux mois stipulé au contrat.
Cette analyse révèle la volonté du législateur de protéger les situations contractuelles en cours. Les dispositions nouvelles réduisant le délai à six semaines « ne peuvent avoir pour effet de modifier les délais figurant dans les clauses contractuelles des baux en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi ». Le juge fait ici application du principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle.
Le commandement étant demeuré infructueux pendant plus de deux mois, le juge constate que « les conditions d’acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail se sont trouvées réunies à la date du 13 novembre 2023 ». La résiliation est acquise de plein droit, le juge ne disposant d’aucun pouvoir d’appréciation sur ce point.
B. Les conditions procédurales de recevabilité de l’action
Le législateur a subordonné la recevabilité de l’action en résiliation à des formalités préalables destinées à favoriser la prévention des expulsions. Le juge vérifie scrupuleusement le respect de ces exigences.
La saisine de la Commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives doit intervenir « deux mois au moins avant la délivrance de l’assignation » selon l’article 24 II de la loi du 6 juillet 1989. Le bailleur avait saisi cette commission le 19 septembre 2023, soit plus de seize mois avant l’assignation du 7 février 2025. Cette condition est amplement satisfaite.
L’article 24 III impose par ailleurs que l’assignation soit notifiée à la préfecture « au moins six semaines avant l’audience ». Le bailleur y a procédé le 10 février 2025, l’audience étant fixée au 14 avril 2025. Le délai de plus de deux mois respecte largement l’exigence légale.
Ces formalités traduisent la volonté du législateur d’associer les pouvoirs publics au traitement des situations d’impayés locatifs. La commission de coordination a vocation à proposer des solutions de maintien dans les lieux ou de relogement. La notification préfectorale permet l’information des services sociaux. Le juge, en constatant le respect de ces formalités, valide une procédure conforme aux objectifs de prévention assignés par la loi.
II. Le pouvoir modérateur du juge en matière de délais de paiement
Les conditions d’octroi des délais suspensifs (A) conduisent à examiner les modalités de leur mise en œuvre et leurs effets (B).
A. Les conditions légales d’octroi des délais suspensifs
L’article 24 V de la loi du 6 juillet 1989 confère au juge le pouvoir d’accorder des délais de paiement « dans la limite de trois années » au locataire « en situation de régler sa dette locative ». L’article 24 VII précise que les effets de la clause résolutoire peuvent être suspendus pendant ces délais « à la condition que le locataire ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ».
Le juge procède à une double vérification. Il constate que le locataire « a repris le versement intégral du loyer courant avant l’audience, ce qu’a confirmé la SEMAC en produisant un décompte actualisé ». Cette condition préalable est donc remplie.
Il apprécie ensuite la capacité du locataire à apurer sa dette. Celui-ci expose « sa situation financière » et propose « de procéder à des versements de 600 euros chaque mois, soit 50 euros en plus du montant du loyer courant ». Le juge relève ses « difficultés financières » mais conclut néanmoins qu’il « apparaît en situation de régler sa dette locative ».
Cette appréciation favorable mérite attention. Le locataire invoque des charges importantes liées au décès de sa mère et à la prise en charge de son frère, outre ses six enfants. Ces circonstances auraient pu conduire à refuser les délais faute de solvabilité suffisante. Le juge fait le choix inverse, privilégiant le maintien dans les lieux d’un locataire qui manifeste sa bonne volonté en ayant repris le paiement courant.
B. Les modalités et effets des délais accordés
Le juge accorde un échéancier sur trente-six mois comportant trente-cinq mensualités de 125 euros minimum en sus du loyer courant, puis un dernier versement égal au solde. Ces modalités diffèrent de la proposition du locataire qui envisageait seulement 50 euros mensuels supplémentaires. Le juge use ainsi de son pouvoir d’appréciation pour fixer un échéancier réaliste permettant l’apurement effectif de la dette.
L’effet suspensif attaché aux délais produit des conséquences importantes. La clause résolutoire, bien qu’acquise depuis le 13 novembre 2023, voit ses effets paralysés pendant la durée de l’échéancier. Si celui-ci est « entièrement respecté, la clause résolutoire sera réputée n’avoir jamais joué ». Cette fiction juridique permet la continuation du bail comme si aucun impayé n’était survenu.
Le jugement organise également les conséquences d’un éventuel défaut de respect des délais. La clause résolutoire « reprendra ses effets » quinze jours après une mise en demeure restée sans effet. L’expulsion pourra alors être ordonnée avec le concours de la force publique. Une indemnité d’occupation sera due à compter du 13 novembre 2023, date de la résiliation initialement acquise.
Ce dispositif réalise un équilibre entre les intérêts en présence. Le locataire conserve la possibilité de régulariser sa situation et de maintenir son bail. Le bailleur dispose d’un titre exécutoire lui permettant de recouvrer sa créance et, en cas de défaillance, de procéder à l’expulsion sans nouvelle procédure. Le juge des contentieux de la protection remplit ainsi pleinement son office de régulation des relations locatives.