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Par un jugement du tribunal judiciaire de Saint-Étienne du 16 juin 2025, statuant en contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale, le juge a écarté la récupération, sur la succession d’une personne handicapée décédée en 2022, des frais d’hébergement pris en charge par l’aide sociale. L’instance opposait un département à une héritière invoquant la prise en charge effective et constante de la défunte, au soutien d’une fin de non-recevoir au recours sur succession.
Les faits tiennent à un placement en établissement depuis 2013, avec prise en charge au titre de l’aide sociale à l’hébergement. Après un premier état de créance élevé, le département a, à l’issue d’un recours administratif préalable, limité sa prétention à l’actif net successoral. L’héritière a saisi la juridiction du fond pour s’en exonérer au regard de son engagement personnel et régulier auprès de la défunte.
Au débat, le département a soutenu que l’implication alléguée ne dépassait pas l’entraide familiale spontanée, insuffisante selon lui pour neutraliser le recours. La juridiction a refusé la jonction puis a tranché le fond, retenant la qualification protectrice. La question de droit portait sur la portée de l’exception liée à la « prise en charge effective et constante » au sens du code de l’action sociale et des familles, telle qu’éclairée par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Le tribunal rappelle d’abord le principe structurant du contentieux: « La législation relative à l’aide sociale pose le principe de subsidiarité de la solidarité nationale, et fait donc prévaloir la solidarité familiale sur l’aide fournie par la collectivité, par le biais du recours à l’obligation alimentaire, d’une part, en tenant compte des créances alimentaires lors de l’admission à l’aide sociale, d’autre part, en organisant des recours contre les débiteurs alimentaires du bénéficiaire de l’aide sociale. » Puis il vise l’article L. 132-8 du code, selon lequel: « Des recours sont exercés, selon le cas, par l’Etat ou le département : 1°) contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire; ». Enfin, il s’aligne sur la définition prétorienne: « La cour de Cassation définit la prise en charge effective et constante comme un engagement régulier et personnel de l’héritier auprès de la personne handicapée placée en établissement tant d’ordre matériel qu’affectif et moral ». Reprenant ces critères, il retient l’existence d’un engagement durable et personnel et déboute le département de ses demandes, sans annuler pour autant la décision administrative en cause.
I. Le cadre juridique et la qualification opérée
A. Subsidiarité de l’aide sociale et exception d’irrecouvrabilité
Le mécanisme de l’aide sociale à l’hébergement repose sur une avance récupérable, expression de la subsidiarité qui appelle, en principe, la contribution familiale avant la solidarité nationale. Le texte fondateur permet un recours sur succession, mais celui-ci n’a rien d’automatique et se heurte à des exceptions construites par la loi et précisées par la jurisprudence. La juridiction redit l’économie d’ensemble en soulignant le balancement entre récupération et protection, à partir de l’article L. 132-8 et de la logique de « prévalence de la solidarité familiale » rappelée in extenso par le jugement.
L’exception dite de prise en charge effective et constante neutralise la récupération lorsque l’héritier démontre un engagement dépassant la simple assistance ponctuelle. La décision commentée articule nettement la finalité protectrice de l’exception et sa place dans la cohérence du système, sans fragiliser l’objectif de bonne gestion des deniers publics. Elle en déduit que la récupération ne peut prospérer si la charge a été assumée, dans la durée, par un proche répondant aux critères jurisprudentiels.
B. Délimitation jurisprudentielle et méthode d’appréciation retenue
La définition jurisprudentielle citée par le juge fait autorité et englobe des dimensions matérielles, affectives et morales, toutes exigées dans un cadre « régulier et personnel ». En ce sens, l’arrêté rappelle utilement que l’hébergement au domicile n’est pas une condition, pourvu que l’investissement soit constant et organisé. Le raisonnement accorde une place déterminante aux attestations croisées, incluant des professionnels en contact régulier avec la personne vulnérable, ce qui crédibilise l’appréciation concrète du faisceau d’indices.
La juridiction distingue l’entraide affective ordinaire de l’engagement structuré et durable, en notant avec mesure: « Il peut certes être admis que la solidarité familiale et l’attachement fraternel naturel ont pu participer au moins pour partie à cet engagement régulier et personnel, mais cette explication ne peut avoir pour effet de remettre en cause le constat, largement étayé et du reste non contesté ». Elle adopte enfin une solution adaptée aux pouvoirs du juge judiciaire, en déboutant le département sans excéder sa compétence par l’annulation de l’acte administratif.
II. Appréciation et portée de la solution
A. Conformité au droit positif et précisions utiles apportées
La solution est conforme à la jurisprudence de la haute juridiction, dont la définition, reprise mot pour mot, irrigue la motivation. Elle clarifie que la constance n’est pas synonyme de présence quotidienne, mais d’un accompagnement régulier, coordonné et personnel, apprécié globalement. Ce faisant, la décision réaffirme la place des dimensions immatérielles, affective et morale, au même titre que l’aide matérielle objectivable, ce qui évite une réduction mécaniste du critère.
L’arrêté conforte aussi la charge de la preuve pesant sur l’héritier, mais montre qu’elle peut être satisfaite par des témoignages circonstanciés, des traces d’organisation familiale et des confirmations professionnelles. L’approche est équilibrée: elle écarte l’assimilation à une assistance spontanée lorsque le dossier révèle un investissement suivi, reconnu et structurant pour la vie de la personne vulnérable.
B. Conséquences pratiques pour l’action publique et perspectives contentieuses
Pour les départements, la décision invite à une instruction approfondie et individualisée des dossiers de récupération, fondée sur des critères explicites d’intensité, de régularité et de personnalisation. Elle conduit à valoriser les éléments extrinsèques fiables, en particulier les attestations de professionnels et les écrits retraçant l’organisation des prises en charge, afin de sécuriser l’analyse.
La portée contentieuse est réelle, mais maîtrisée. En consolidant un standard probatoire lisible, la solution réduit l’aléa en évitant la subjectivisation excessive de l’entraide familiale. Elle incite à formaliser des grilles d’évaluation internes, compatibles avec la définition prétorienne, pour prévenir les litiges et ajuster les décisions de récupération. Enfin, elle rappelle que l’équilibre du dispositif repose sur une appréciation concrète, respectueuse des efforts constants des proches tout en préservant la finalité de l’aide sociale.