Tribunal judiciaire de Saint Etienne, le 17 juin 2025, n°25/00207

Le présent jugement, rendu par le Tribunal judiciaire de Saint-Étienne le 17 juin 2025, illustre le contentieux récurrent des impayés locatifs et met en lumière une question d’application temporelle de la loi. Une société civile immobilière avait consenti un bail d’habitation en 2014, le loyer mensuel s’élevant à 595 euros outre charges. La locataire, devenue seule occupante après un avenant de 2020, a accumulé un arriéré substantiel. Le bailleur lui a fait délivrer un commandement de payer le 25 avril 2024 pour la somme de 8 492,44 euros, demeuré infructueux.

Par assignation du 7 janvier 2025, la société bailleresse a saisi le Juge des contentieux de la protection aux fins de voir prononcer la résiliation du bail, ordonner l’expulsion et condamner la locataire au paiement de l’arriéré actualisé. La défenderesse, régulièrement convoquée, n’a pas comparu. Le diagnostic social et financier n’a pu être réalisé en raison de son absence aux rendez-vous proposés.

Le juge, faisant application de l’article 472 du code de procédure civile, a statué sur le fond. Il a d’abord requalifié la demande de « prononcer » la résiliation en demande de « constater » cette résiliation, eu égard à l’existence d’une clause résolutoire contractuelle. Il a ensuite examiné le délai applicable pour l’acquisition de ladite clause. Le bail de 2014 stipulait un délai de deux mois après commandement infructueux, conformément à l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction alors en vigueur. La loi du 27 juillet 2023 a réduit ce délai à six semaines. Le commandement de payer visait cette nouvelle disposition.

La question de droit posée au tribunal était donc la suivante : le délai légal de six semaines issu de la loi du 27 juillet 2023 s’applique-t-il immédiatement aux baux conclus antérieurement, ou ces contrats demeurent-ils régis par les stipulations des parties encadrées par la loi en vigueur au jour de leur conclusion ?

Le juge a retenu que la loi nouvelle ne comportant pas de disposition dérogeant à l’article 2 du code civil, elle ne s’applique pas immédiatement aux contrats en cours. Il a donc fait application du délai contractuel de deux mois et constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 26 juin 2024. Il a ordonné l’expulsion et condamné la locataire au paiement de 10 245,82 euros outre indemnité d’occupation.

Cette décision présente un double intérêt. D’une part, elle précise l’office du juge face à une demande imparfaitement qualifiée. D’autre part, elle tranche la question de l’application dans le temps de la loi du 27 juillet 2023 aux clauses résolutoires des baux antérieurs.

I. L’office du juge dans la qualification de la demande

A. La requalification de la résiliation judiciaire en constat d’acquisition de la clause résolutoire

Le juge a procédé à une requalification de la demande sur le fondement de l’article 12 du code de procédure civile. Le bailleur sollicitait que soit « prononcée » la résiliation du bail. Le tribunal a relevé que le contrat comportait une clause résolutoire et que le commandement de payer s’en prévalait expressément. Il en a déduit qu’il convenait de « constater » la résiliation plutôt que de la prononcer.

Cette distinction n’est pas purement sémantique. Le prononcé d’une résiliation judiciaire relève du pouvoir souverain du juge, qui apprécie la gravité du manquement. Le constat de l’acquisition d’une clause résolutoire procède d’une logique différente : le juge vérifie que les conditions contractuelles et légales sont réunies, puis tire les conséquences d’une résiliation opérée de plein droit.

Le tribunal énonce ainsi que « eu égard au principe de la force obligatoire du contrat, il apparaît nécessaire de requalifier la demande ». Cette formulation souligne que le juge ne fait pas œuvre créatrice. Il se borne à constater un effet juridique que les parties ont prévu et qui s’est produit par le jeu de leur volonté contractuelle, sous réserve du respect des exigences légales.

Cette requalification témoigne du rôle actif du juge dans l’exacte qualification des faits et actes litigieux. Elle participe d’une bonne administration de la justice. Elle évite également toute ambiguïté sur la date de résiliation, laquelle rétroagit au jour de l’acquisition de la clause.

B. Les implications pratiques de cette distinction

La différence entre résiliation judiciaire et acquisition de la clause résolutoire emporte des conséquences significatives. Lorsque le juge prononce la résiliation, celle-ci prend effet au jour de la décision ou à la date qu’il fixe. Lorsqu’il constate l’acquisition de la clause, la résiliation est réputée acquise à l’expiration du délai imparti au locataire pour régulariser sa situation.

En l’espèce, le tribunal a fixé la date de résiliation au 26 juin 2024, soit deux mois après le commandement du 25 avril 2024. Cette date antérieure de près d’un an au jugement conditionne le point de départ de l’indemnité d’occupation. Elle détermine également la qualification juridique de l’occupation des lieux : la locataire était occupante sans droit ni titre depuis cette date.

La requalification opérée par le juge présente donc un intérêt pour le bailleur. Elle lui permet d’obtenir une indemnité d’occupation sur une période plus longue. Elle clarifie également la situation juridique de l’occupant, ce qui peut avoir des incidences en cas de procédures parallèles.

Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence constante. Le juge doit appliquer la règle de droit aux faits qui lui sont soumis, quand bien même les parties auraient mal qualifié leur demande. Cette exigence est particulièrement importante en matière de bail d’habitation, où les règles impératives de la loi du 6 juillet 1989 encadrent strictement les prérogatives des parties.

II. L’application dans le temps de la loi du 27 juillet 2023

A. Le maintien du délai contractuel de deux mois

La loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite a modifié l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989. Elle a réduit de deux mois à six semaines le délai au terme duquel la clause résolutoire produit effet après un commandement de payer infructueux. Cette modification avait pour objectif d’accélérer les procédures d’expulsion.

Le tribunal a été confronté à une difficulté : le bail de 2014 stipulait un délai de deux mois, conformément à la loi alors en vigueur. Le commandement de payer délivré en 2024 visait le nouveau délai légal de six semaines. Quel délai appliquer ?

Le juge a tranché en faveur du délai contractuel de deux mois. Il motive cette solution par deux arguments. D’une part, le « principe d’équité tenant à la force obligatoire du contrat » commande de respecter les stipulations des parties. D’autre part, la loi du 27 juillet 2023 « ne comprend pas de disposition dérogeant à l’article 2 du code civil, selon lequel la loi ne dispose que pour l’avenir ».

Cette motivation appelle quelques observations. Le délai de deux mois prévu au bail reproduisait le délai légal impératif en vigueur en 2014. Les parties n’avaient pas manifesté une volonté particulière de fixer ce délai. Elles avaient simplement repris les termes de la loi. On pourrait donc soutenir que la modification du délai légal devrait s’appliquer immédiatement, s’agissant d’une règle d’ordre public.

B. La portée de la solution retenue

Le tribunal énonce que l’article 10 de la loi du 27 juillet 2023 « ne s’applique pas immédiatement aux contrats en cours, qui demeurent régis par les stipulations des parties, telles qu’encadrées par la loi en vigueur au jour de la conclusion du bail ». Il ajoute que la loi nouvelle « ne peut avoir pour effet d’entraîner leur réfaction ».

Cette position se fonde sur le principe de non-rétroactivité de la loi. Elle privilégie la stabilité des conventions et la prévisibilité du droit pour les parties. Le locataire qui a conclu un bail en 2014 pouvait légitimement compter sur un délai de deux mois pour régulariser sa situation en cas de commandement de payer.

La solution retenue présente toutefois une limite. Le délai de six semaines voulu par le législateur de 2023 visait précisément à accélérer les procédures. Ne pas l’appliquer aux baux anciens crée une dualité de régimes selon la date de conclusion du contrat. Des locataires ayant accumulé des impayés identiques bénéficieront de délais différents pour régulariser leur situation.

Cette décision, rendue en premier ressort, pourrait être soumise à l’examen de la cour d’appel. La Cour de cassation n’a pas encore, à notre connaissance, tranché cette question d’application temporelle. La portée de ce jugement demeure donc incertaine. Il constitue néanmoins une illustration des difficultés d’articulation entre loi ancienne et loi nouvelle en matière de baux d’habitation, dans un contexte où le législateur intervient fréquemment pour modifier l’équilibre des droits entre bailleurs et locataires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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