Tribunal judiciaire de Saint Etienne, le 17 juin 2025, n°25/00326

Le jugement rendu le 17 juin 2025 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Saint-Étienne illustre une hypothèse procédurale particulière, celle du désistement partiel du demandeur combiné à la persistance de la charge des dépens pesant sur la caution solidaire.

Une société civile immobilière avait donné à bail un immeuble à usage d’habitation à deux locataires le 11 septembre 2021, moyennant un loyer mensuel de 750 euros outre 35 euros de provision sur charges. Le même jour, un tiers s’était porté caution solidaire des preneurs pour le paiement des loyers et de l’indemnité d’occupation. Face à l’accumulation d’impayés, la bailleresse fit délivrer un commandement de payer aux locataires le 24 octobre 2024, puis à la caution le 31 octobre suivant, pour un arriéré de 3 468 euros. Elle saisit la CCAPEX puis assigna les locataires et la caution devant le Juge des contentieux de la protection aux fins de résiliation du bail, d’expulsion et de condamnation solidaire au paiement de la dette locative.

Lors de l’audience du 6 mai 2025, les locataires ne comparurent pas. La bailleresse se désista de l’ensemble de ses demandes, hormis celle relative aux dépens. La caution, bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale, contesta toute condamnation à son encontre, arguant notamment du dépôt d’un dossier d’aide juridictionnelle.

La question posée au juge était donc de savoir si, nonobstant le désistement du demandeur sur le fond, la caution solidaire pouvait être condamnée aux dépens de l’instance en vertu de son engagement contractuel.

Le tribunal répondit par l’affirmative. Après avoir constaté la régularité de la signification du commandement à la caution dans le délai de quinze jours prévu par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, il releva que l’acte de cautionnement garantissait expressément le paiement des frais de procédure. Le juge condamna donc in solidum les locataires et la caution aux entiers dépens de l’instance.

Cette décision invite à examiner successivement l’étendue de l’engagement de la caution aux frais de procédure (I), puis les effets du désistement partiel sur la charge des dépens (II).

I. L’engagement de la caution étendu aux frais de procédure

L’analyse de la solution retenue suppose d’envisager le fondement contractuel de l’extension de la garantie (A), avant d’examiner le respect des formalités protectrices imposées par la loi (B).

A. Le fondement contractuel de la garantie des dépens

Le cautionnement constitue une sûreté personnelle par laquelle la caution s’engage à satisfaire à l’obligation du débiteur principal si celui-ci n’y satisfait pas lui-même. L’article 2288 du Code civil dispose que cet engagement peut s’étendre à tout ou partie de la dette garantie. La liberté contractuelle permet ainsi aux parties de définir précisément le périmètre de la garantie.

En l’espèce, le tribunal relève que « par acte sous seing privé du 11 septembre 2021, Monsieur [K] [F] a déclaré se porter caution, solidairement avec Madame [L] [C] et Monsieur [I] [F], du paiement de la dette de loyers ainsi que des frais de procédure ». Cette stipulation contractuelle explicite fonde directement la condamnation de la caution aux dépens. Le juge ne procède à aucune interprétation extensive de l’engagement. Il se borne à constater que les frais de procédure entraient dans le champ de la garantie consentie.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. La Cour de cassation admet de longue date que l’étendue du cautionnement se détermine par référence à l’acte constitutif. Lorsque celui-ci vise expressément les frais de procédure, la caution ne saurait s’en exonérer en invoquant le caractère accessoire de ces frais par rapport à la dette principale de loyers.

B. Le respect des formalités protectrices de la caution

La loi du 6 juillet 1989 impose au bailleur, lorsque les obligations locatives sont garanties par un cautionnement, de signifier le commandement de payer à la caution dans un délai de quinze jours suivant sa signification au locataire. L’article 24 de cette loi précise qu’« à défaut, la caution ne peut être tenue au paiement des pénalités ou des intérêts de retard ».

Le tribunal vérifie scrupuleusement le respect de cette exigence. Il constate que « le commandement de payer les loyers a été signifié à la caution le 31 octobre 2024, soit 7 jours après la délivrance de ce même commandement aux locataires ». Le délai légal se trouve ainsi respecté, ce qui préserve l’intégralité des droits du créancier.

Cette formalité poursuit une finalité d’information. Elle permet à la caution d’être avertie de la défaillance du débiteur principal et d’envisager les mesures appropriées. Le non-respect de ce délai n’entraîne pas la nullité de la procédure mais restreint l’étendue de la condamnation de la caution. En l’espèce, la régularité de la signification écarte toute discussion sur ce point.

II. Les effets du désistement partiel sur la répartition des dépens

Le désistement du demandeur sur le fond n’emporte pas nécessairement extinction de toutes les demandes accessoires. Il convient d’analyser la spécificité du désistement partiel en matière de dépens (A), puis la portée de la condamnation in solidum prononcée (B).

A. La persistance de la demande de dépens malgré l’abandon du fond

Le désistement d’instance constitue un acte par lequel le demandeur renonce à poursuivre la procédure engagée. L’article 399 du Code de procédure civile prévoit que le désistement est parfait par l’acceptation du défendeur, à moins que celui-ci n’ait présenté aucune défense au fond ou fin de non-recevoir.

La particularité de l’espèce réside dans le caractère partiel du désistement. La bailleresse abandonne ses prétentions relatives à la résiliation du bail, à l’expulsion et au paiement de la dette locative. Elle maintient toutefois sa demande de condamnation aux dépens. Le tribunal fait droit à cette demande résiduelle.

Cette solution trouve son fondement dans l’article 696 du Code de procédure civile, aux termes duquel la partie perdante est condamnée aux dépens. Le désistement du demandeur ne le prive pas de la possibilité de solliciter le remboursement des frais engagés, dès lors que le comportement du défendeur a rendu nécessaire l’introduction de l’instance. La caution ayant été régulièrement attraite en la cause et son engagement couvrant les frais de procédure, elle demeure tenue de ces dépens.

B. La solidarité dans la charge des dépens

Le tribunal prononce une condamnation in solidum des locataires et de la caution aux dépens de l’instance. Cette formule emporte des conséquences pratiques significatives. Le créancier peut réclamer l’intégralité des dépens à n’importe lequel des codébiteurs, à charge pour celui qui paie d’exercer un recours contre les autres.

L’article 696 du Code de procédure civile, expressément visé par le jugement, confère au juge un pouvoir d’appréciation dans la répartition des dépens. En l’espèce, le choix de la solidarité s’explique par la nature même de l’engagement de caution. Celui-ci garantissait le paiement des frais de procédure solidairement avec les locataires. Le juge ne fait que donner effet à cette stipulation contractuelle.

La mention « sans préjudice des règles applicables en matière d’aide juridictionnelle » tempère les effets de la condamnation. La caution bénéficiant de l’aide juridictionnelle totale, les dépens pourraient être pris en charge par l’État sous réserve des dispositions de la loi du 10 juillet 1991. Cette précision préserve les droits de la caution sans remettre en cause le principe de sa condamnation.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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