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L’article 145 du Code de procédure civile permet à tout intéressé de solliciter, avant tout procès, une mesure d’instruction destinée à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Cette disposition constitue un instrument probatoire essentiel dans le contentieux de la construction, où les désordres affectant un immeuble nécessitent fréquemment une expertise technique pour en déterminer l’origine et l’étendue.
En l’espèce, deux propriétaires indivis d’un ensemble immobilier comprenant une cave et deux appartements ont constaté l’apparition de fissures dans leur bien à la suite de travaux réalisés par les propriétaires d’un local commercial situé au rez-de-chaussée. Ces travaux, consistant en une intervention sur un mur de refend pour réunir deux lots, ont été confiés à une société de maçonnerie qui les a sous-traités. La situation a conduit le maire de la commune concernée à prendre un arrêté de mise en sécurité de l’immeuble. Un bureau d’études mandaté par la ville a diagnostiqué une reprise en sous-œuvre sous-dimensionnée et préconisé des travaux de renforcement. Ces travaux ont été exécutés et une visite de contrôle a confirmé leur conformité aux préconisations techniques.
Les demandeurs, rejoints par un intervenant volontaire propriétaire d’un appartement situé au deuxième étage, ont saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Etienne aux fins de voir désigner un expert judiciaire. Les défendeurs, comprenant les maîtres d’ouvrage, l’entreprise de maçonnerie, le sous-traitant, leurs assureurs respectifs, le syndicat des copropriétaires et le syndic, ont conclu au rejet de cette demande en faisant valoir que les travaux correctifs avaient été réalisés et que les désordres n’existaient plus.
Par ordonnance du 19 juin 2025, le juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Etienne a débouté les demandeurs de leur demande d’expertise, considérant que les photographies produites, non datées et non localisées, ne permettaient pas de vérifier la date d’apparition des fissures alléguées et que les requérants ne justifiaient pas d’un motif légitime à la désignation d’un expert.
La question posée au juge des référés était de déterminer si des propriétaires d’appartements situés dans un immeuble ayant fait l’objet de travaux correctifs à la suite de désordres structurels justifiaient d’un motif légitime au sens de l’article 145 du Code de procédure civile pour obtenir la désignation d’un expert judiciaire.
Le juge des référés a répondu par la négative en estimant que les demandeurs ne rapportaient pas la preuve de l’existence actuelle de désordres, les seules déclarations des parties étant insuffisantes en l’absence d’éléments probants.
Cette décision invite à examiner successivement le cadre juridique de l’expertise préventive et son application en matière de désordres immobiliers (I), avant d’analyser l’exigence probatoire pesant sur le demandeur à l’expertise (II).
I. Le régime de l’expertise préventive appliqué aux désordres immobiliers
L’ordonnance commentée rappelle les conditions de mise en œuvre de l’article 145 du Code de procédure civile (A), avant d’en faire une application stricte au contentieux des travaux immobiliers (B).
A. L’autonomie de l’expertise in futurum par rapport aux conditions du référé ordinaire
Le juge des référés rappelle que « lorsqu’il statue en référé sur le fondement de ce texte, le juge n’est pas soumis aux conditions imposées par l’article 835 du code de procédure civile ». Cette formulation reprend une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l’expertise préventive obéit à un régime autonome.
Cette autonomie se manifeste d’abord par l’absence d’exigence d’urgence. Le demandeur à l’expertise in futurum n’a pas à démontrer que sa situation requiert une intervention immédiate du juge. Il lui suffit d’établir qu’un procès futur est envisageable et que la mesure sollicitée présente une utilité probatoire.
L’ordonnance précise également que « l’existence de contestations sérieuses ne constitue pas un obstacle à la mise en œuvre de la mesure sollicitée ». Cette affirmation revêt une importance particulière dans le contentieux de la construction où les responsabilités sont souvent disputées. Le juge de l’article 145 n’a pas à trancher le fond du litige ni à se prononcer sur le bien-fondé des prétentions des parties.
La décision ajoute enfin que « l’application de cet article n’impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d’être ultérieurement engagé ». Le juge des référés ne préjuge pas de l’issue du litige au fond lorsqu’il ordonne ou refuse une expertise. Cette neutralité constitue un élément fondamental du régime de l’article 145.
B. L’exigence maintenue d’un motif légitime dans le contentieux immobilier
Si le régime de l’article 145 se distingue par sa souplesse procédurale, il n’en demeure pas moins subordonné à la démonstration d’un motif légitime. L’ordonnance commentée illustre cette exigence en la rattachant à la preuve de l’existence même des désordres allégués.
Le juge relève que le bureau d’études mandaté par la commune a effectué une visite de contrôle le 15 janvier 2025 et « a pu constater que le confortement avait été réalisé conformément à ses plans et avait permis de renforcer la reprise en sous œuvre qui était sous dimensionnée ». Cette constatation technique établit que les travaux correctifs préconisés ont été exécutés.
Le contentieux des désordres immobiliers présente la particularité de mêler des considérations techniques complexes et des enjeux patrimoniaux importants. La demande d’expertise apparaît souvent comme une étape préalable indispensable à l’engagement d’une action en responsabilité. La jurisprudence admet traditionnellement avec une certaine faveur ces demandes, dès lors qu’elles permettent d’éclairer utilement le juge du fond sur l’origine et l’étendue des désordres.
Toutefois, le motif légitime suppose que le demandeur établisse l’existence d’un fait susceptible de fonder une action en justice. En l’espèce, le juge considère que cette condition n’est pas remplie, les travaux correctifs ayant été réalisés et aucun élément ne permettant d’établir la persistance ou l’aggravation des désordres.
II. La charge de la preuve du motif légitime et ses implications pratiques
L’ordonnance met en lumière l’insuffisance des éléments probatoires produits par les demandeurs (A), ce qui conduit à s’interroger sur les exigences pesant sur le requérant à l’expertise (B).
A. L’insuffisance des éléments de preuve soumis au juge
Le juge des référés constate que « les demandeurs produisent des photographies non datées et non localisées ne permettant pas de vérifier la date d’apparition des fissures ». Cette observation factuelle constitue le fondement essentiel du rejet de la demande d’expertise.
L’ordonnance retient que « en l’absence de tout élément sur l’existence de désordres qui ne sauraient résulter que de leurs seules déclarations », les demandeurs ne justifient pas d’un intérêt légitime. Cette formulation établit clairement que les simples allégations des parties sont insuffisantes pour caractériser le motif légitime requis par l’article 145.
La circonstance que des désordres aient existé par le passé et aient conduit à un arrêté de mise en sécurité ne suffit pas à établir leur persistance actuelle. Le juge prend acte de ce que les travaux préconisés par le bureau d’études ont été exécutés et validés lors d’une visite de contrôle. Dans ce contexte, il appartient aux demandeurs de démontrer que de nouveaux désordres sont apparus ou que les désordres initiaux persistent malgré les travaux correctifs.
Les photographies produites, dépourvues de date et de localisation précise, ne permettent pas cette démonstration. Le juge ne peut vérifier si les fissures représentées sont antérieures ou postérieures aux travaux de confortement, ni même si elles affectent les parties privatives des demandeurs ou d’autres parties de l’immeuble.
B. Les implications pour le demandeur à l’expertise préventive
Cette décision rappelle que le caractère libéral du régime de l’article 145 ne dispense pas le demandeur de tout effort probatoire. S’il n’a pas à démontrer le bien-fondé de son action future ni l’urgence de sa situation, il doit néanmoins établir l’existence du fait qu’il entend faire constater par l’expert.
En matière de désordres immobiliers, cette exigence suppose une documentation minimale des dommages allégués. Des photographies précisément datées et localisées, un constat d’huissier ou un rapport technique préliminaire peuvent utilement étayer la demande d’expertise.
La solution retenue par le juge des référés de Saint-Etienne s’inscrit dans une application rigoureuse de la notion de motif légitime. Elle sanctionne l’insuffisance de la preuve rapportée par les demandeurs, sans remettre en cause le principe selon lequel l’expertise in futurum constitue un instrument privilégié du contentieux de la construction.
Cette ordonnance présente un intérêt pratique certain pour les praticiens du droit de la construction. Elle rappelle que la demande d’expertise préventive, si elle demeure accessible dans des conditions procédurales souples, suppose néanmoins que le demandeur apporte des éléments tangibles à l’appui de ses allégations. Les seules déclarations des parties, fussent-elles circonstanciées, ne sauraient pallier l’absence de preuves matérielles de l’existence des désordres dont il est demandé qu’un expert judiciaire constate l’origine et l’étendue.