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Le droit au logement, érigé en objectif à valeur constitutionnelle, se heurte parfois aux impératifs du droit des contrats. La décision rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nantes le 18 juin 2025 illustre cette tension permanente entre protection du locataire défaillant et garantie des droits du bailleur.
En l’espèce, un contrat de bail portant sur un logement à usage d’habitation avait été conclu le 7 juillet 2023, moyennant un loyer mensuel de 890 euros outre 130 euros de provision sur charges. La locataire ayant cessé de régler les loyers à compter de mai 2024, la bailleresse lui a fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire le 23 juillet 2024, pour une somme de 3 312,23 euros. Ce commandement étant demeuré infructueux, la bailleresse a assigné la locataire devant le juge des contentieux de la protection le 13 décembre 2024, après notification à la préfecture le jour même.
En première instance, la bailleresse sollicitait le constat de l’acquisition de la clause résolutoire, l’expulsion de la locataire et sa condamnation au paiement des arriérés locatifs. La locataire, citée à étude, n’a pas comparu et n’a pu être jointe par les services sociaux.
La question posée au juge était celle de savoir si les conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire insérée au contrat de bail étaient réunies et, dans l’affirmative, quelles conséquences en tirer quant à l’occupation des lieux et aux condamnations pécuniaires.
Le juge des contentieux de la protection constate l’acquisition de la clause résolutoire à la date du 23 septembre 2024, ordonne l’expulsion de la locataire et la condamne au paiement de la somme de 11 081,93 euros au titre des arriérés, outre une indemnité d’occupation mensuelle.
Cette décision mérite attention tant au regard du mécanisme de la clause résolutoire en matière de bail d’habitation (I) que des conséquences tirées de son acquisition sur le plan indemnitaire (II).
I. Le jeu de la clause résolutoire en matière locative
Le juge procède méthodiquement à la vérification des conditions de recevabilité de l’action (A) avant d’examiner le fond du mécanisme résolutoire (B).
A. Le contrôle rigoureux des conditions procédurales
L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, modifié par la loi du 27 juillet 2023, impose que « l’assignation aux fins de constat de la résiliation si elle est motivée par une dette locative doit être notifiée au représentant de l’Etat dans le département au moins six semaines avant la date de l’audience à peine d’irrecevabilité de la demande ». Cette exigence traduit la volonté du législateur d’associer les services de l’État à la prévention des expulsions.
Le juge relève que la bailleresse « justifie avoir notifié une copie de l’assignation à la préfecture par la voie électronique le 13 décembre 2024, soit plus de six semaines avant l’audience du 19 mars 2025 ». Ce contrôle, opéré d’office puisque l’irrecevabilité est encourue de plein droit, illustre le formalisme protecteur instauré par le législateur.
Le diagnostic social et financier prévu par le même texte n’a pu être réalisé, les services sociaux n’ayant « pu nouer aucun contact avec la locataire ». Cette circonstance, sans paralyser l’action, prive la locataire d’une protection supplémentaire que le législateur avait entendu lui ménager.
B. L’articulation des délais légaux et conventionnels
Le mécanisme de la clause résolutoire pour impayés suppose un commandement demeuré infructueux pendant un certain délai. La loi du 27 juillet 2023 a réduit ce délai de deux mois à six semaines. Le juge relève toutefois que « si le bail en cours au jour de la délivrance du commandement prévoit, selon les dispositions anciennes de cet article, un délai de deux mois pour régulariser la dette, ce délai continue à régir les relations entre les parties ».
Cette solution procède du principe de survie de la loi ancienne pour les contrats en cours. Le bail ayant été conclu le 7 juillet 2023, avant l’entrée en vigueur de la réforme, la clause résolutoire qu’il contenait prévoyait le délai de deux mois. Le juge applique donc ce délai conventionnel, constatant que « ce commandement est demeuré infructueux pendant plus de deux mois » et que « ce défaut de régularisation fonde la bailleresse à se prévaloir de la résiliation du bail à la date du 23 septembre 2024 ».
La clause résolutoire opère ainsi de plein droit, le juge ne disposant d’aucun pouvoir modérateur dès lors que ses conditions sont réunies. Son office se borne à un constat, comme l’indique le dispositif du jugement qui « constate » la résiliation plutôt qu’il ne la prononce.
II. Les conséquences patrimoniales de la résiliation
L’acquisition de la clause résolutoire emporte des effets tant sur l’occupation des lieux (A) que sur les créances du bailleur (B).
A. L’expulsion et ses modalités
La résiliation du bail prive la locataire de tout titre à occuper les lieux. Le juge en tire la conséquence logique : « la locataire n’a plus aucun droit ni titre pour occuper l’immeuble litigieux ». L’expulsion est ordonnée, « au besoin avec le concours de la force publique et l’assistance d’un serrurier ».
Le jugement prévoit un délai de deux mois après la signification du commandement de quitter les lieux avant toute mesure d’exécution forcée. Ce délai, prévu par l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution, constitue le minimum incompressible. Le juge n’accorde pas de délai supplémentaire, la locataire n’ayant formulé aucune demande en ce sens faute de comparution.
Le dispositif rappelle également la possibilité de saisir la commission de médiation du droit au logement opposable. Cette mention, imposée par l’article L. 441-2-3 du code de la construction et de l’habitation, témoigne de la préoccupation du législateur d’offrir une issue aux personnes menacées d’expulsion, même lorsque celle-ci procède de leur propre défaillance.
B. La détermination des créances indemnitaires
Le juge condamne la locataire au paiement de 11 081,93 euros au titre des arriérés locatifs. Cette somme résulte toutefois d’un retranchement opéré par le juge, qui déduit « 90 euros réclamés au titre de frais de banque impayé non prévus par le contrat de bail ». Ce contrôle des sommes réclamées illustre le pouvoir du juge de vérifier le bien-fondé de la créance, même en l’absence de contestation de la partie adverse.
Pour l’avenir, le juge alloue une indemnité d’occupation « égale au montant du loyer indexé et augmenté des charges qui auraient été dus en cas de non résiliation du bail ». Cette formulation classique traduit la nature de l’indemnité d’occupation, qui vise à réparer le préjudice subi par le bailleur du fait de l’occupation sans titre. Le fondement retenu est l’article 1240 du code civil : « en occupant sans droit ni titre les lieux loués, la locataire cause au bailleur un préjudice ».
Le juge prévoit enfin l’indexation annuelle de cette indemnité sur l’indice de référence des loyers. Cette précision, destinée à préserver la valeur réelle de la créance du bailleur, anticipe une occupation prolongée des lieux. Elle traduit le réalisme du juge face aux difficultés pratiques de mise en œuvre des mesures d’expulsion.