Tribunal judiciaire de Strasbourg, le 13 juin 2025, n°25/00968

Le droit au maintien dans les lieux du locataire social constitue une protection fondamentale que le bailleur ne saurait contourner par une application irrégulière du supplément de loyer de solidarité. Le Tribunal judiciaire de Strasbourg, dans un jugement du 13 juin 2025, rappelle avec fermeté les exigences formelles auxquelles les organismes HLM demeurent assujettis.

En l’espèce, un office public de l’habitat avait donné en location un logement par acte du 2 aout 2010 moyennant un loyer de 462,15 euros mensuels. Par courrier du 20 juin 2024, le bailleur a notifié un congé pour impayés à hauteur de 8 449,41 euros, somme incluant un supplément de loyer de solidarité de 1 770,12 euros mensuels, des pénalités et des frais de dossier. Le bailleur a assigné la locataire aux fins de voir constater la régularité du congé, prononcer la déchéance du droit au maintien dans les lieux et, subsidiairement, la résiliation judiciaire du bail.

En première instance, le bailleur sollicitait la condamnation de la locataire au paiement de 24 663,90 euros et son expulsion. L’office soutenait que l’accumulation des impayés démontrait la mauvaise foi de la locataire, justifiant sa déchéance du droit au maintien dans les lieux. La locataire, régulièrement citée, ne comparaissait pas.

La question posée au tribunal était la suivante : le bailleur social peut-il se prévaloir d’impayés fondés sur un supplément de loyer de solidarité dont la procédure de mise en demeure préalable n’a pas été régulièrement justifiée ?

Le tribunal déboute l’office de l’intégralité de ses demandes. Il relève que le bailleur ne verse aux débats aucun des courriers recommandés de mise en demeure prévus par l’article L.441-9 du code de la construction et de l’habitation. Après déduction des sommes indument réclamées, le compte de la locataire apparait créditeur de 433,81 euros. Aucun impayé ne pouvant être retenu, le congé ne saurait produire effet et la demande de résiliation judiciaire doit être également rejetée.

Cette décision présente un double intérêt. Elle éclaire d’abord le formalisme rigoureux encadrant le supplément de loyer de solidarité (I). Elle illustre ensuite les conséquences de l’irrégularité procédurale sur l’ensemble des demandes du bailleur (II).

I. Le formalisme impératif du supplément de loyer de solidarité

L’exigence d’une mise en demeure préalable constitue la pierre angulaire du dispositif (A), tandis que la charge de la preuve de l’accomplissement de ces formalités incombe exclusivement au bailleur (B).

A. L’exigence d’une mise en demeure préalable à toute liquidation provisoire

L’article L.441-9 du code de la construction et de l’habitation organise un mécanisme en deux temps. Le bailleur doit d’abord demander annuellement au locataire les éléments permettant de calculer un éventuel dépassement du plafond de ressources. A défaut de réponse dans le mois, le bailleur adresse une mise en demeure. Ce n’est qu’après quinze jours d’infructuosité que la liquidation provisoire du supplément de loyer devient possible.

Le tribunal souligne que cette mise en demeure doit comporter « la reproduction du présent article ». Cette exigence n’est pas une simple formalité administrative mais une garantie substantielle pour le locataire. Elle lui permet de comprendre les conséquences de son inaction et de régulariser sa situation dans le délai imparti.

En l’espèce, l’office produisait des attestations internes mentionnant l’envoi de formulaires et de relances. Il versait également des courriers types non datés et dépourvus de destinataire. Le tribunal juge ces éléments insuffisants. Les « attestations et le courrier type de relance (…) ne prouvent aucunement que les mises en demeure ont bien été faites par le bailleur ». L’exigence légale suppose la production des courriers effectivement adressés au locataire.

B. Une charge probatoire incombant intégralement au bailleur

Le bailleur qui entend se prévaloir d’un supplément de loyer de solidarité doit établir qu’il a respecté chaque étape de la procédure. Cette charge probatoire ne saurait être allégée par des considérations pratiques tenant à l’organisation interne de l’organisme ou aux moyens de communication modernes.

Le tribunal écarte expressément l’argument selon lequel le locataire pourrait accéder en ligne à son compte locataire et au montant de sa dette. Cette possibilité technique ne dispense pas le bailleur de justifier de l’accomplissement des formalités légales. Le juge relève qu’ « aucun élément n’étant par ailleurs versé aux débats sur ce point précisé oralement à l’audience par le bailleur ».

La rigueur probatoire exigée trouve sa justification dans la nature même du supplément de loyer de solidarité. Ce mécanisme permet au bailleur de percevoir des sommes considérables, en l’espèce 1 770,12 euros mensuels. La protection du locataire impose que l’application de ce surloyer soit subordonnée au strict respect des formalités prévues par la loi. Le tribunal note également l’absence des accusés de réception des courriers informant la locataire de l’application du supplément. Cette carence parachève la démonstration de l’irrégularité procédurale.

II. Les conséquences de l’irrégularité sur les demandes du bailleur

L’irrégularité affectant le supplément de loyer emporte des conséquences déterminantes tant sur la validité du congé (A) que sur la demande subsidiaire de résiliation judiciaire (B).

A. L’anéantissement du congé fondé sur des impayés inexistants

Le congé avait été notifié au visa de l’article 4 de la loi du 1er septembre 1948, applicable aux logements HLM en vertu de l’article L.442-6 du code de la construction et de l’habitation. Ce texte réserve le bénéfice du maintien dans les lieux aux occupants de bonne foi qui exécutent leurs obligations.

Le tribunal procède à un recalcul de la dette locative en écartant le supplément de loyer de solidarité, les pénalités et les frais de dossier. Il apparait alors que « au 21 juin 2024 le compte (…) était créditeur de 433,81 euros ». La locataire avait versé 4 594,91 euros alors que les loyers et charges exigibles s’élevaient à 4 161,10 euros sur la période considérée.

Le congé pour impayés supposait l’existence d’une dette locative. En l’absence de tout impayé, le fondement même du congé disparait. Le tribunal en tire la conséquence logique : il déboute le bailleur de sa demande de constat du congé et de prononcé de la déchéance du droit au maintien dans les lieux. L’occupante conserve son statut de locataire de bonne foi.

B. Le rejet consécutif de la demande de résiliation judiciaire

Le bailleur avait formé une demande subsidiaire de résiliation judiciaire du bail sur le fondement des articles 1224 et 1228 du code civil. Le tribunal rappelle qu’il lui appartient d’apprécier souverainement si les manquements imputés présentent une gravité suffisante pour justifier la résiliation.

En appliquant le même raisonnement que pour le congé, le tribunal actualise les comptes jusqu’à l’échéance de février 2025. Les loyers et charges exigibles s’élèvent à 5 239,80 euros tandis que la locataire a versé 5 365,02 euros. Le solde demeure créditeur. Le tribunal constate qu’ « il n’y a donc aucun impayé locatif, la locataire présentant un solde créditeur ».

Cette décision illustre l’importance du contrôle juridictionnel sur les pratiques des bailleurs sociaux. Elle rappelle que la technicité du contentieux locatif ne saurait dispenser le demandeur de justifier rigoureusement de ses prétentions. L’office supporte en outre les entiers dépens, sanction procédurale d’une action mal fondée. Les bailleurs sociaux devront veiller à constituer des dossiers documentés avant toute action contentieuse, sous peine de voir leurs demandes rejetées et leurs locataires maintenus dans les lieux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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