Tribunal judiciaire de Strasbourg, le 13 juin 2025, n°25/01312

Le défaut de paiement des loyers constitue une cause classique de résiliation du bail et de déchéance du droit au maintien dans les lieux pour les locataires relevant de la loi du 1er septembre 1948. Le jugement rendu le 13 juin 2025 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Strasbourg illustre l’articulation entre les règles du droit commun du bail et le régime protecteur institué par cette loi pour les logements du parc social.

En l’espèce, un office public de l’habitat avait consenti par acte sous-seing privé du 1er mars 2023 un bail d’habitation moyennant un loyer mensuel de 666,45 euros charges comprises. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a notifié un congé le 17 mai 2024 pour défaut de paiement, visant expressément l’article 4 de la loi du 1er septembre 1948. Ce courrier recommandé n’ayant pas été réclamé, il a été signifié par commissaire de justice le 1er juillet 2024. La locataire n’ayant pas régularisé sa situation, le bailleur l’a assignée le 13 janvier 2025 aux fins de voir constater la régularité du congé, prononcer la déchéance du droit au maintien dans les lieux, ordonner l’expulsion et obtenir le paiement de l’arriéré locatif. Le bailleur soutenait que la mauvaise foi de la locataire résultait de l’inexécution de son obligation essentielle de paiement. La locataire, régulièrement citée à étude, n’a pas comparu et ne s’est pas rendue aux rendez-vous fixés pour l’établissement du diagnostic social et financier.

La question posée au juge était de déterminer si le manquement à l’obligation de payer les loyers caractérisait la mauvaise foi de l’occupante au sens de la loi du 1er septembre 1948, justifiant la déchéance de son droit au maintien dans les lieux.

Le juge des contentieux de la protection a constaté la résiliation du bail au 31 août 2024, prononcé la déchéance du droit au maintien dans les lieux et ordonné l’expulsion. Il a condamné la locataire au paiement de la somme de 5 138,63 euros au titre de l’arriéré locatif ainsi qu’à une indemnité d’occupation mensuelle jusqu’à libération des lieux.

Cette décision mérite examen tant du point de vue de la caractérisation de la mauvaise foi fondant la déchéance du droit au maintien dans les lieux (I) que des conséquences attachées à cette déchéance (II).

I. La caractérisation de la mauvaise foi justifiant la déchéance du droit au maintien dans les lieux

Le juge rappelle le mécanisme particulier du congé délivré au visa de la loi du 1er septembre 1948 (A), avant d’apprécier le comportement de la locataire au regard du critère de bonne foi (B).

A. Le régime spécifique du congé dans le cadre de la loi du 1er septembre 1948

Le jugement précise la nature juridique particulière du congé délivré dans le cadre des baux soumis à la loi du 1er septembre 1948. Comme le relève le juge, « le congé délivré au visa de l’article 4 de la loi du 1er septembre 1948 n’est pas un congé ordinaire en ce qu’il a pour particularité de mettre fin aux rapports contractuels découlant d’un contrat de bail pour leur substituer des rapports légaux résultant du droit au maintien dans les lieux prévu en faveur des locataires de bonne foi qui exécutent leurs obligations ». Cette distinction est fondamentale. Le congé ordinaire met fin au bail et oblige le locataire à quitter les lieux. Le congé délivré sur le fondement de la loi de 1948 opère une substitution : les relations contractuelles cessent mais le locataire de bonne foi conserve un droit au maintien dans les lieux d’origine légale.

L’article 4 de la loi du 1er septembre 1948 pose une présomption de bonne foi au profit des locataires qui « exécutent leurs obligations ». Cette présomption est toutefois réfragable. Le bailleur peut la renverser en démontrant que l’occupant manque à ses obligations, notamment celle de payer le loyer. Le congé doit reproduire les dispositions légales relatives au maintien dans les lieux et préciser qu’il « ne comporte pas en lui-même obligation d’avoir à quitter effectivement les lieux ». En l’espèce, le bailleur avait satisfait aux exigences formelles en joignant au congé l’article 4 de la loi. Le juge constate que « la locataire, non comparante, ne conteste pas la régularité de cet acte de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce point ». Cette solution procédurale découle de l’absence de comparution de la défenderesse.

B. L’appréciation souveraine de la mauvaise foi par le juge du fond

Le juge rappelle le cadre d’appréciation de la mauvaise foi en énonçant que « la bonne foi suppose le paiement régulier du loyer, obligation première et essentielle du locataire conformément à l’article 1728 du code civil, repris par l’article 7 a) de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 ». La référence à ces deux textes souligne la convergence entre le droit commun du bail et le droit spécial des baux d’habitation. Le paiement du loyer constitue l’obligation cardinale du preneur.

Le jugement précise qu’« il appartient au juge de rechercher si le manquement à cette obligation est suffisamment grave pour caractériser la mauvaise foi de l’occupant et justifier la déchéance de son droit au maintien dans les lieux ». Cette formulation traduit le pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond. La mauvaise foi ne résulte pas automatiquement de tout impayé. Le juge doit évaluer la gravité du manquement. En l’espèce, le tribunal retient que « compte tenu de ce montant et de l’ancienneté de la dette locative, le manquement à l’obligation de payer les loyers et charges aux termes convenus est suffisamment grave pour retenir la mauvaise foi ». L’arriéré s’élevait à 3 291,79 euros à la date de l’assignation, représentant environ cinq mois de loyer. Cette appréciation s’effectue au jour de la demande, conformément au principe posé par le jugement.

II. Les conséquences de la déchéance du droit au maintien dans les lieux

La déchéance emporte l’expulsion de l’occupant (A) et sa condamnation au paiement des sommes dues (B).

A. L’expulsion ordonnée dans le respect du cadre légal

Le prononcé de la déchéance du droit au maintien dans les lieux entraîne nécessairement l’obligation de quitter le logement. Le juge ordonne l’expulsion « avec le concours de la force publique et l’assistance d’un serrurier si nécessaire, faute de délaissement volontaire des lieux au plus tard deux mois après la signification du commandement d’avoir à libérer les locaux ». Cette formulation reprend les termes de l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution qui accorde un délai incompressible de deux mois à compter du commandement de quitter les lieux.

Le jugement précise également le sort des meubles en renvoyant aux articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d’exécution. Ces dispositions organisent l’enlèvement et la conservation des biens du locataire expulsé. Le juge ordonne enfin la transmission de la décision au préfet, conformément aux exigences de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 qui impose l’information de l’autorité préfectorale en matière d’expulsion locative. Cette transmission permet au préfet d’exercer son pouvoir d’octroyer le concours de la force publique et de mettre en œuvre les dispositifs d’accompagnement social. La CCAPEX avait d’ailleurs été saisie dès le 24 mai 2024, sans que la locataire ne se présente aux rendez-vous fixés.

B. La condamnation au paiement de l’arriéré et de l’indemnité d’occupation

Le tribunal condamne la locataire au paiement de 5 138,63 euros au titre de l’arriéré locatif actualisé au 17 mars 2025. Les intérêts au taux légal courent à compter du jugement et non de l’assignation. Le juge justifie ce point de départ par « l’évolution des sommes dues depuis l’assignation ». La dette ayant augmenté entre l’assignation et le jugement, le tribunal fait courir les intérêts sur le montant actualisé à compter de la décision.

Le refus d’accorder des délais de paiement est motivé par « le montant conséquent de la dette, l’absence d’information sur la situation financière de la locataire non comparante et qui ne s’est pas présentée aux divers rendez-vous fixés en vue de l’établissement du diagnostic social et financier ». Cette motivation révèle l’importance du diagnostic social prévu par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989. L’absence de coopération du locataire prive le juge des éléments nécessaires à l’octroi de délais. La condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation complète le dispositif. Cette indemnité, équivalente au loyer et aux charges qui auraient été dus, court à compter de la résiliation jusqu’à la libération effective des lieux. Elle sanctionne l’occupation sans titre tout en assurant au bailleur une compensation pour la privation de jouissance de son bien.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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