Tribunal judiciaire de Strasbourg, le 16 juin 2025, n°24/02087

Le divorce pour altération définitive du lien conjugal illustre la volonté du législateur de permettre la dissolution du mariage lorsque la vie commune a cessé depuis un temps suffisant. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Strasbourg le 16 juin 2025 en offre une application caractéristique.

En l’espèce, deux personnes se sont mariées le 24 mai 2013 à Madagascar. L’époux a saisi le juge aux affaires familiales d’une demande en divorce fondée sur l’altération définitive du lien conjugal. L’affaire présentait une dimension internationale, les époux résidant dans des ressorts distincts, l’un à La Réunion et l’autre en Alsace.

Le tribunal de première instance a été saisi par requête. L’époux demandeur bénéficiait de l’aide juridictionnelle totale. Les débats se sont tenus en chambre du conseil le 5 mai 2025.

L’époux demandeur sollicitait le prononcé du divorce pour altération définitive du lien conjugal. Il demandait également qu’il soit dit n’y avoir lieu à liquidation et partage des intérêts patrimoniaux. L’épouse défenderesse, représentée par avocat, ne s’opposait pas au principe du divorce.

La question posée au tribunal était de déterminer si les conditions du divorce pour altération définitive du lien conjugal étaient réunies et quelles conséquences en tirer sur le plan patrimonial.

Le Tribunal judiciaire de Strasbourg a prononcé le divorce pour altération définitive du lien conjugal. Il a retenu sa compétence internationale et fait application de la loi française. Il a fixé la date des effets du divorce entre les parties relativement aux biens au 3 octobre 2023. Le tribunal a débouté l’époux de sa demande tendant à dire qu’il n’y avait pas lieu à liquidation et partage.

Le prononcé du divorce pour altération définitive du lien conjugal appelle une analyse des conditions de ce cas de divorce (I), tandis que les conséquences patrimoniales de la dissolution méritent un examen particulier (II).

I. Les conditions du divorce pour altération définitive du lien conjugal

Le prononcé du divorce suppose la vérification de la compétence juridictionnelle (A) avant l’examen des conditions de fond propres à ce cas de divorce (B).

A. La détermination préalable de la compétence internationale

Le tribunal a expressément statué sur sa compétence au plan international. Cette précaution s’imposait compte tenu des éléments d’extranéité que présentait l’affaire. Le mariage avait été célébré à Madagascar. Les époux résidaient sur le territoire français mais dans des ressorts géographiquement éloignés.

L’article 3 du Règlement Bruxelles II ter offre plusieurs critères de compétence en matière de divorce. La résidence habituelle des époux sur le territoire français permettait au tribunal de retenir sa compétence. Le juge a également fait application de la loi française, conformément aux règles de conflit de lois applicables.

Cette dimension internationale du litige explique les mentions particulières du dispositif relatives à la publicité de la décision. Le tribunal a ordonné la conservation d’un extrait au répertoire civil annexé au service central d’état civil du ministère des affaires étrangères. Cette formalité garantit l’opposabilité du divorce dans les relations avec l’État étranger où le mariage fut célébré.

B. La caractérisation de l’altération définitive du lien conjugal

Le divorce pour altération définitive du lien conjugal est prévu par l’article 237 du Code civil. Ce texte dispose que le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque le lien conjugal est définitivement altéré. L’article 238 précise que l’altération définitive résulte de la cessation de la communauté de vie entre les époux, lorsqu’ils vivent séparés depuis un an lors de la demande en divorce.

La loi du 23 mars 2019 a réduit ce délai de deux ans à un an. Cette réforme visait à simplifier et accélérer les procédures de divorce. Le tribunal a prononcé le divorce sur ce fondement sans que les motifs de la décision ne soient reproduits. La date des effets patrimoniaux fixée au 3 octobre 2023 laisse toutefois entrevoir que la séparation remontait au moins à cette époque.

Le divorce pour altération définitive du lien conjugal présente l’avantage de ne pas impliquer de recherche des torts. Il suffit de constater objectivement la cessation de la vie commune pendant la durée requise. Ce cas de divorce répond à une conception dépassionnée de la rupture du lien matrimonial.

II. Les conséquences patrimoniales du divorce

Le jugement règle la question de la date des effets patrimoniaux (A) et tranche le différend relatif à la nécessité d’une liquidation (B).

A. La fixation de la date des effets patrimoniaux entre époux

Le tribunal a « constaté » que la date des effets du divorce entre les parties relativement aux biens était fixée au 3 octobre 2023. L’emploi du verbe constater suggère que cette date résultait d’un accord entre les parties ou d’éléments objectifs non contestés.

L’article 262-1 du Code civil prévoit que le jugement de divorce prend effet dans les rapports entre époux, en ce qui concerne leurs biens, à la date de l’ordonnance de non-conciliation ou, à défaut, à la date de la demande en divorce. Le juge peut toutefois fixer les effets à une date antérieure correspondant à la cessation effective de la cohabitation et de la collaboration.

La date du 3 octobre 2023 correspond vraisemblablement au moment où les époux ont cessé de collaborer économiquement. Cette fixation revêt une importance pratique considérable. Elle détermine la composition des masses à partager et arrête l’accroissement de la communauté ou de l’indivision.

B. Le rejet de la demande relative à l’absence de liquidation

L’époux demandeur sollicitait qu’il soit dit n’y avoir lieu à liquidation et partage des intérêts patrimoniaux. Le tribunal l’a débouté de cette demande. Cette solution appelle plusieurs observations.

Le juge du divorce n’est pas le juge de la liquidation. Sa compétence se limite à prononcer le divorce et à en régler les conséquences immédiates. L’article 267 du Code civil lui permet d’ordonner la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux, voire de statuer sur certaines demandes, mais il ne peut préjuger de l’absence de tout intérêt à liquider.

La demande de l’époux tendait probablement à faire constater l’absence de biens communs ou indivis. Le tribunal a refusé de se prononcer en ce sens. Cette position se justifie par la nature du contrôle opéré. Affirmer l’absence de liquidation nécessiterait un examen approfondi du patrimoine des époux, lequel relève du notaire liquidateur ou du juge de la liquidation.

Le tribunal a par ailleurs relevé que des propositions avaient été effectuées quant au règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux. Cette mention, conforme à l’article 252-3 du Code de procédure civile, laisse entendre que les époux avaient envisagé les modalités de leur séparation patrimoniale. Le constat de ces propositions ne dispense pas pour autant d’une liquidation effective si des biens existent.

La renonciation réciproque à toute prestation compensatoire complète le tableau patrimonial. Les époux ont estimé que le divorce ne créait pas de disparité dans leurs conditions de vie respectives justifiant une compensation. Cette renonciation, constatée par le tribunal, éteint définitivement ce chef de demande.

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Hassan KOHEN
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