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Par ordonnance du 19 juin 2025, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Strasbourg a statué sur une requête préfectorale tendant à la deuxième prolongation d’une mesure de rétention administrative. Cette décision illustre les conditions dans lesquelles le maintien en rétention peut être prolongé au-delà de trente jours lorsque l’éloignement n’a pu être exécuté en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par les autorités consulaires étrangères.
Un ressortissant guinéen, né le 10 janvier 2001, faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français prise le 7 mars 2024 par le préfet de la Marne. Il a été placé en rétention administrative le 20 mai 2025, mesure notifiée le même jour à 16h40. Une première prolongation de vingt-six jours a été ordonnée le 24 mai 2025 par le juge des libertés et de la détention, décision confirmée en appel le 26 mai 2025 par le premier président de la cour d’appel de Colmar.
Le 17 juin 2025, la préfecture a saisi le juge d’une requête aux fins de prolongation de la rétention pour une durée de trente jours supplémentaires à compter du 18 juin 2025. L’administration faisait valoir que les autorités consulaires guinéennes avaient reconnu l’intéressé lors d’un rendez-vous le 5 juin 2025, qu’un vol était réservé pour le 24 juin 2025 à destination de Conakry, mais que le laissez-passer consulaire n’avait pas encore été délivré malgré les relances effectuées.
La personne retenue, assistée d’un avocat désigné d’office et entendue par visioconférence, contestait implicitement cette prolongation.
La question posée au juge des libertés et de la détention était de déterminer si les conditions légales de la deuxième prolongation de la rétention administrative étaient réunies, en particulier si le défaut de délivrance du laissez-passer consulaire constituait un motif suffisant au regard de l’article L. 742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Le juge a déclaré la requête recevable et a ordonné la prolongation de la rétention pour une durée de trente jours à compter du 18 juin 2025. Il a retenu que l’impossibilité d’exécuter l’éloignement résultait du défaut de délivrance des documents de voyage et qu’il demeurait raisonnable d’envisager une délivrance rapide du laissez-passer consulaire.
Cette ordonnance mérite examen tant au regard des conditions légales de la deuxième prolongation de la rétention administrative (I) que du contrôle exercé par le juge sur la perspective raisonnable d’éloignement (II).
I. Les conditions légales de la deuxième prolongation de la rétention
Le cadre juridique de la prolongation au-delà de trente jours est strictement encadré par le législateur (A). Son application en l’espèce témoigne d’une interprétation fidèle des exigences textuelles (B).
A. Un régime dérogatoire strictement encadré
L’article L. 742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, issu de la loi du 26 janvier 2024, définit limitativement les hypothèses permettant une deuxième prolongation de la rétention. Le juge rappelle que cette prolongation peut être ordonnée « en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public », lorsque l’impossibilité d’exécuter l’éloignement résulte du comportement de l’intéressé, ou encore « lorsque la décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé ».
Cette énumération limitative traduit la volonté du législateur de concilier l’effectivité des mesures d’éloignement avec le respect des libertés individuelles. La rétention administrative constitue une privation de liberté qui, bien que de nature administrative, demeure soumise au contrôle du juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution.
La durée maximale de soixante jours fixée par le texte manifeste un équilibre entre les impératifs d’ordre public et la protection contre les rétentions indéfinies. Le juge relève expressément que « la durée maximale de la rétention n’excède alors pas soixante jours », ce qui souligne le caractère exceptionnel de cette mesure.
B. Une application rigoureuse au cas d’espèce
En l’espèce, le juge constate que « malgré les diligences de l’administration entreprises concomitamment au placement en rétention et poursuivies depuis sans défaillance, la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève la personne retenue ». Cette formulation répond directement à l’exigence légale du 3° a) de l’article L. 742-4.
Le juge vérifie ainsi deux éléments cumulatifs. D’une part, l’administration a accompli les diligences nécessaires, ce qui exclut toute carence imputable à l’autorité préfectorale. D’autre part, l’obstacle à l’éloignement réside exclusivement dans le comportement d’une autorité tierce, en l’occurrence le consulat de Guinée.
Cette motivation rigoureuse s’inscrit dans la jurisprudence constante qui exige que le juge vérifie non seulement l’existence d’un motif légal de prolongation, mais également l’effectivité des démarches administratives. L’absence de diligence de la préfecture constituerait un obstacle à la prolongation, quand bien même le motif invoqué correspondrait formellement à l’une des hypothèses légales.
II. Le contrôle de la perspective raisonnable d’éloignement
Le juge ne se borne pas à vérifier l’existence d’un motif légal. Il apprécie également si l’éloignement demeure envisageable dans un délai compatible avec la durée de rétention restante (A). Cette appréciation prospective, bien que délicate, répond à une exigence constitutionnelle et conventionnelle (B).
A. Une appréciation prospective fondée sur des éléments concrets
L’ordonnance relève qu’« à l’issue du rendez-vous consulaire qui s’est tenu le 5 juin 2025, les autorités consulaires de Guinée ont reconnu » la personne retenue et qu’« un vol est réservé pour le 24 juin 2025 ». Ces éléments factuels permettent au juge d’évaluer concrètement les chances de réalisation de l’éloignement.
Le juge affirme qu’« aucun élément autre qu’hypothétique ne permettant actuellement de présumer une carence définitive des autorités étrangères saisies, il reste raisonnable d’envisager, à ce stade de la procédure, que la délivrance du laissez-passer consulaire faisant défaut pourra désormais intervenir rapidement ». Cette formulation révèle une méthode d’appréciation fondée sur l’absence d’obstacle définitif plutôt que sur la certitude de l’éloignement.
La réservation d’un vol pour le 24 juin 2025, soit cinq jours après l’ordonnance, confère à la prolongation une finalité immédiate. La reconnaissance de l’intéressé par les autorités consulaires guinéennes constitue l’étape préalable à la délivrance du laissez-passer, ce qui accrédite la perspective d’un éloignement effectif.
B. Une exigence constitutionnelle et conventionnelle
Le contrôle de la perspective raisonnable d’éloignement trouve son fondement dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci a jugé que la rétention ne peut être prolongée que si l’éloignement demeure une perspective raisonnable. Une rétention qui ne serait plus susceptible d’aboutir à l’exécution de la mesure d’éloignement deviendrait une privation arbitraire de liberté.
La Cour européenne des droits de l’homme impose également que la détention aux fins d’éloignement ne se prolonge pas au-delà d’un délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi. L’article 5 § 1 f) de la Convention européenne des droits de l’homme exige que les autorités agissent avec la diligence requise.
En l’espèce, la formulation retenue par le juge selon laquelle l’éloignement pourra intervenir « dans un délai compatible avec les contraintes matérielles d’organisation d’un départ effectif d’ici la fin de la période maximale de rétention » répond à cette double exigence. Le juge se projette jusqu’au terme de la durée maximale de soixante jours pour apprécier si l’éloignement demeure réalisable.
Cette décision illustre ainsi le rôle du juge des libertés et de la détention comme garant de l’équilibre entre l’effectivité des mesures d’éloignement et la protection de la liberté individuelle. Elle rappelle que la prolongation de la rétention administrative n’est pas un droit automatique de l’administration, mais une mesure exceptionnelle soumise à un contrôle juridictionnel effectif portant tant sur les conditions légales que sur la finalité de la mesure.