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L’exécution des contrats de location financière requiert une vigilance particulière de la part des juridictions, notamment lorsque le bailleur sollicite l’application de clauses contractuelles potentiellement excessives. Le Tribunal judiciaire de Strasbourg, dans un jugement rendu le 20 juin 2025, illustre cette tension entre le respect de la force obligatoire du contrat et le pouvoir modérateur du juge à l’égard des pénalités conventionnelles.
En l’espèce, une société avait conclu le 9 décembre 2016 un contrat de location longue durée portant sur un matériel informatique professionnel pour une durée de trente-six mois, moyennant le versement de douze loyers trimestriels. La livraison du matériel fut confirmée le 12 décembre 2016. La locataire ayant cessé de régler les loyers à compter du quatrième trimestre 2019, le bailleur lui adressa une mise en demeure le 10 décembre 2019, demeurée infructueuse. Une lettre de résiliation fut ensuite notifiée le 16 janvier 2020, présentée le 2 février suivant mais retournée avec la mention « pli non réclamé ». Le bailleur assigna alors la locataire devant le Tribunal judiciaire de Strasbourg le 26 août 2024, sollicitant le paiement des loyers échus, de l’indemnité de résiliation majorée d’intérêts conventionnels ainsi que la restitution du matériel sous astreinte.
La locataire, assignée à personne morale, ne comparut pas. Le tribunal statua donc par jugement réputé contradictoire en application de l’article 473 du Code de procédure civile.
La question posée au tribunal était double. Il lui appartenait de déterminer si les conditions de la résiliation anticipée du contrat de location étaient réunies et si les clauses contractuelles relatives aux intérêts majorés et aux frais d’assurance devaient être appliquées telles que stipulées.
Le tribunal a fait partiellement droit aux demandes du bailleur. Il a condamné la locataire au paiement des loyers échus pour 607,04 euros et de l’indemnité de résiliation pour 758,79 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2020. Il a également ordonné la restitution du matériel. En revanche, il a rejeté la demande de majoration des intérêts de cinq points, qualifiant cette clause de « manifestement excessive », et a écarté les frais d’assurance faute de justification suffisante.
Cette décision met en lumière l’articulation entre la force obligatoire du contrat et le contrôle judiciaire des clauses pénales (I), tout en révélant les exigences probatoires pesant sur le bailleur professionnel (II).
I. L’articulation entre force obligatoire du contrat et modération judiciaire des clauses pénales
Le tribunal rappelle avec fermeté le principe de la force obligatoire des conventions tout en exerçant son pouvoir de modération à l’encontre d’une clause jugée excessive (A). Cette démarche s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à préserver l’équilibre contractuel face aux stipulations disproportionnées (B).
A. L’affirmation du principe de la force obligatoire tempérée par le contrôle du juge
Le tribunal fonde sa décision sur l’article 1103 du Code civil aux termes duquel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Cette référence classique à la force obligatoire du contrat justifie la condamnation de la locataire défaillante au paiement des loyers échus et de l’indemnité de résiliation. Le juge constate que les conditions générales du contrat prévoyaient expressément un droit de résiliation de plein droit en cas de non-paiement d’un loyer trimestriel, ainsi qu’une indemnité égale aux loyers à échoir majorés de dix pour cent. Ces stipulations ont été appliquées sans difficulté.
Néanmoins, le tribunal refuse d’appliquer la clause prévoyant une majoration des intérêts de cinq points. Il qualifie cette stipulation de « clause pénale se rajoutant à l’indemnité de résiliation » et la juge « manifestement excessive ». Cette formulation reprend les termes de l’article 1231-5 du Code civil qui autorise le juge à modérer une peine « manifestement excessive ». Le cumul d’une indemnité de résiliation déjà calculée sur les loyers à échoir majorés de dix pour cent avec une majoration des intérêts de cinq points créait une sanction patrimoniale disproportionnée au regard du préjudice réellement subi par le bailleur.
B. Une décision conforme à la jurisprudence protectrice de l’équilibre contractuel
La solution retenue s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle constante. La Cour de cassation a régulièrement censuré les clauses pénales cumulatives dont l’effet combiné excède la réparation du préjudice. Le tribunal de Strasbourg fait ici application de ce pouvoir modérateur en identifiant précisément le mécanisme d’empilement des pénalités. L’indemnité de résiliation, calculée sur l’intégralité des loyers restant dus majorés de dix pour cent, constitue déjà une sanction substantielle. Y ajouter une majoration des intérêts reviendrait à indemniser deux fois le même préjudice, celui de la perte des revenus locatifs.
Cette décision témoigne de la vigilance des juridictions du fond à l’égard des contrats d’adhésion imposés par les professionnels de la location financière. Le déséquilibre structurel entre les parties justifie un contrôle renforcé des clauses les plus sévères. Le juge ne remet pas en cause le principe de l’indemnité de résiliation, qui demeure légitime, mais refuse l’aggravation supplémentaire que constitue la majoration des intérêts.
La jurisprudence a également posé le principe selon lequel le juge doit apprécier le caractère excessif de la clause au regard de l’ensemble des pénalités contractuelles et non de chaque stipulation prise isolément. C’est précisément ce raisonnement global que le tribunal adopte ici en constatant que la majoration « se rajoutait » à l’indemnité de résiliation.
II. Les exigences probatoires pesant sur le bailleur professionnel
Le tribunal écarte la demande relative aux frais d’assurance faute de preuve suffisante (A), illustrant ainsi la rigueur exigée du professionnel qui entend se prévaloir de stipulations contractuelles accessoires (B).
A. Le rejet des frais d’assurance pour insuffisance de preuve
Le bailleur sollicitait le paiement de 96 euros au titre des frais d’assurance, inclus dans le solde réclamé. Le tribunal rejette cette prétention en relevant que ces frais « n’étant pas suffisamment justifiés par les conditions générales produites et en l’absence de preuve de la souscription d’une assurance auprès de la bailleresse, ou de justification du montant de ces frais ».
Cette motivation révèle une double carence probatoire. D’une part, les conditions générales ne permettaient pas de comprendre le mécanisme de facturation de ces frais. D’autre part, aucun document attestant de la souscription effective d’une assurance ni du calcul du montant réclamé n’était produit. Le tribunal applique ici rigoureusement l’article 1353 du Code civil en vertu duquel « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ».
Le défaut de comparution de la défenderesse ne dispensait pas le demandeur de rapporter la preuve de ses prétentions. L’article 472 du Code de procédure civile, expressément visé par le tribunal, précise que le juge ne fait droit à la demande que s’il l’estime « régulière, recevable et bien fondée ». L’absence de contestation ne saurait pallier l’insuffisance des justificatifs.
B. Une exigence de transparence renforcée dans les contrats de location financière
Cette solution s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel favorable à la transparence des frais accessoires dans les contrats de location financière. Les juridictions refusent de condamner les locataires au paiement de sommes dont le fondement contractuel ou le montant demeure obscur. Le bailleur professionnel, rédacteur du contrat, supporte une obligation de clarté et de justification accrue.
En l’espèce, la production des seules conditions générales ne suffisait pas à établir l’existence d’une obligation d’assurance, les modalités de sa tarification et la réalité de sa mise en œuvre. Le tribunal aurait pu être plus explicite sur la nature de cette insuffisance. S’agissait-il d’une assurance facultative ou obligatoire ? Était-elle souscrite directement par le bailleur ou proposée au locataire ? Ces questions demeurent sans réponse, ce qui justifie le rejet de la demande.
La portée de cette décision dépasse le cas d’espèce. Elle rappelle aux professionnels de la location financière que la multiplication des postes de facturation accessoires ne peut prospérer devant le juge qu’à la condition d’être étayée par des pièces précises. Le caractère souvent standardisé et opaque de ces contrats ne saurait dispenser le bailleur de son obligation de preuve.
Cette décision du Tribunal judiciaire de Strasbourg, bien que rendue dans un litige de faible montant, présente un intérêt doctrinal certain. Elle confirme que le juge conserve un rôle régulateur face aux excès des clauses contractuelles, même lorsque le défendeur fait défaut. Elle rappelle également que la qualité de professionnel du bailleur emporte des obligations probatoires renforcées, gage d’un équilibre minimal dans les rapports entre parties de force économique inégale.