- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’expertise judiciaire constitue un préalable essentiel au traitement de nombreux litiges techniques en matière de construction. Le Tribunal judiciaire de Thionville, statuant comme juge de la mise en état, par ordonnance du 16 juin 2025, illustre cette articulation entre la procédure d’expertise et l’instance au fond.
Une propriétaire avait confié à une société, selon devis du 25 janvier 2022, la construction d’un pont sur son immeuble situé en Moselle. Un différend étant survenu quant à l’exécution de ces travaux, le juge des référés avait ordonné une mesure d’expertise par ordonnance du 28 février 2023. Par acte de commissaire de justice du 22 janvier 2025, la maître d’ouvrage a assigné l’entreprise devant le Tribunal judiciaire de Thionville aux fins d’obtenir le remboursement de la somme de 7 400 euros, des dommages et intérêts à hauteur de 15 000 euros, la capitalisation des intérêts ainsi que diverses condamnations accessoires.
Par conclusions du 22 avril 2025, la société défenderesse a sollicité du juge de la mise en état qu’il sursoie à statuer jusqu’au dépôt du rapport d’expertise. La demanderesse, par conclusions du 24 avril 2025, s’en est remise à la décision du juge sur cet incident.
La question posée au juge de la mise en état était donc de déterminer si l’instance au fond devait être suspendue dans l’attente des conclusions de l’expert judiciaire.
Le Tribunal judiciaire de Thionville, statuant comme juge de la mise en état, a fait droit à la demande de sursis à statuer. Il relève que « l’expertise ordonnée par le juge des référés est toujours en cours » et en déduit qu’« il convient donc de surseoir à statuer jusqu’au dépôt du rapport d’expertise judiciaire ».
Cette décision permet d’examiner successivement le fondement juridique du sursis à statuer dans l’attente d’une expertise (I), puis la portée de cette mesure sur le déroulement de l’instance (II).
I. Le fondement du sursis à statuer dans l’attente de l’expertise judiciaire
Le juge de la mise en état dispose d’un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité du sursis (A), lequel trouve sa justification dans la nécessité d’un éclairage technique préalable (B).
A. Le pouvoir discrétionnaire du juge de la mise en état
Le juge de la mise en état vise l’article 378 du Code de procédure civile aux termes duquel « la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine ». Cette disposition confère au juge un pouvoir d’appréciation souverain quant à l’opportunité de suspendre l’instance.
La demande de sursis à statuer formulée par la défenderesse s’inscrit dans une stratégie procédurale classique. Lorsqu’une expertise judiciaire a été ordonnée en référé et que l’instance au fond est engagée avant le dépôt du rapport, le défendeur peut légitimement solliciter la suspension des débats. Le juge n’est cependant pas tenu de faire droit à cette demande. Il lui appartient d’évaluer si l’expertise en cours conditionne effectivement l’issue du litige.
En l’espèce, le juge de la mise en état a exercé ce pouvoir d’appréciation avec concision. Il constate simplement que l’expertise est toujours en cours et en tire la conséquence que le sursis s’impose. Cette motivation laconique témoigne du caractère évident de la solution dans les circonstances de l’espèce. Le litige porte sur des désordres de construction dont l’évaluation technique relève nécessairement de la compétence de l’expert.
B. La nécessité d’un éclairage technique préalable
Le sursis à statuer dans l’attente du rapport d’expertise répond à une exigence de bonne administration de la justice. Le juge du fond ne saurait se prononcer utilement sur la responsabilité du constructeur et sur l’évaluation du préjudice sans disposer des conclusions techniques de l’expert.
La demanderesse sollicitait le remboursement de sommes versées ainsi que des dommages et intérêts. Ces demandes supposent l’établissement de manquements contractuels de l’entreprise et la caractérisation d’un préjudice. L’expert judiciaire, désigné précisément pour éclairer le juge sur ces points techniques, n’avait pas encore rendu ses conclusions.
Statuer au fond avant le dépôt du rapport aurait exposé le juge à trancher sans disposer des éléments techniques indispensables. Le sursis permet ainsi d’éviter une décision prématurée qui pourrait être contredite par les conclusions expertales. Cette solution garantit que le débat au fond s’engagera sur des bases factuelles et techniques établies.
II. La portée du sursis à statuer sur le déroulement de l’instance
La suspension de l’instance produit des effets immédiats sur la procédure (A) tout en préservant les droits des parties pour la reprise ultérieure du litige (B).
A. Les effets suspensifs de la décision
L’ordonnance prononce un sursis à statuer sur « l’ensemble des demandes » jusqu’au dépôt du rapport d’expertise. Cette formulation emporte suspension intégrale de l’instance. Aucune demande ne pourra être examinée tant que l’expert n’aura pas remis ses conclusions.
Le juge de la mise en état réserve les dépens. Cette solution classique s’explique par le caractère interlocutoire de la décision. Le sort des dépens de l’incident sera tranché avec le jugement au fond, permettant ainsi une appréciation globale des frais de procédure.
L’ordonnance précise qu’elle est susceptible d’appel sur autorisation du premier président. Cette voie de recours, prévue par l’article 795 du Code de procédure civile, encadre strictement la contestation des décisions du juge de la mise en état. La partie qui entendrait contester le sursis devrait donc préalablement obtenir l’autorisation du premier président de la cour d’appel, ce qui limite les recours dilatoires.
B. La préservation des droits des parties
Le sursis à statuer ne constitue pas un dessaisissement du juge. L’instance demeure pendante et reprendra automatiquement son cours dès le dépôt du rapport d’expertise. Les parties conservent l’intégralité de leurs droits et pourront développer leurs moyens au fond une fois les conclusions de l’expert connues.
Cette suspension présente un intérêt pour les deux parties. La demanderesse pourra fonder ses prétentions sur les constatations techniques de l’expert, ce qui renforcera le cas échéant sa position. La défenderesse disposera également des éléments lui permettant de contester utilement les demandes ou d’en discuter le quantum.
Le rapport d’expertise constituera la pièce maîtresse du débat à venir. Les parties pourront le critiquer, solliciter des mesures complémentaires si nécessaire, et présenter leurs observations sur les conclusions de l’expert. La décision du juge de la mise en état préserve ainsi les conditions d’un débat contradictoire éclairé sur les aspects techniques du litige.