Tribunal judiciaire de Toulon, le 13 juin 2025, n°25/02800

Le tribunal judiciaire de Toulon, juge des contentieux de la protection, a rendu le 13 juin 2025 une décision relative à la suspension d’une mesure d’expulsion dans le cadre d’une procédure de surendettement. Une personne physique, déclarée recevable au bénéfice de cette procédure le 9 avril 2025, avait déposé une requête aux fins de suspension de son expulsion locative. Elle exposait se trouver dans une situation précaire, être dans l’attente d’une mutation vers un logement plus adapté à ses ressources et solliciter l’allocation aux adultes handicapés auprès de la maison départementale des personnes handicapées.

Le juge était saisi d’une demande de suspension de mesure d’expulsion formée par la débitrice elle-même en application des articles L.722-6 et suivants du code de la consommation. La requête avait été reçue le 7 mai 2025. Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 26 mai 2025 par lettre recommandée avec accusé de réception. La débitrice n’a pas comparu mais a adressé un courrier au tribunal. Le bailleur social n’a pas davantage comparu. Le juge a statué par jugement réputé contradictoire.

La question posée au tribunal était de déterminer si la situation personnelle et financière de la débitrice justifiait le prononcé d’une suspension provisoire de la mesure d’expulsion dont elle faisait l’objet, conformément aux exigences posées par le code de la consommation.

Le juge des contentieux de la protection rejette la demande de suspension. Il relève que si la condition de forme tenant à la recevabilité préalable de la procédure de surendettement est satisfaite, la condition de fond fait défaut. La débitrice n’a pas versé de pièces probantes permettant d’apprécier sa situation. Le tribunal souligne également son absence à l’audience.

Cette décision illustre les exigences probatoires pesant sur le débiteur sollicitant la suspension d’une expulsion en matière de surendettement (I), tout en soulevant la question de l’articulation entre protection du logement et effectivité du droit au juge (II).

I. Les conditions de la suspension d’expulsion en matière de surendettement

Le jugement rappelle le cadre légal applicable à la suspension des mesures d’expulsion dans le contexte du surendettement (A), avant d’appliquer strictement l’exigence probatoire au cas d’espèce (B).

A. Le rappel du double conditionnement légal

Le tribunal judiciaire de Toulon expose avec netteté le régime juridique applicable. Les articles L.722-6 et suivants du code de la consommation organisent la possibilité pour le juge des contentieux de la protection de suspendre les mesures d’expulsion visant un débiteur en procédure de surendettement. Le juge rappelle que cette suspension suppose la réunion de deux conditions distinctes.

La première condition est de forme. Elle tient à l’antériorité de la décision de recevabilité prononcée par la commission de surendettement. Le texte prévoit en effet que la demande ne peut intervenir qu’après cette déclaration. La seconde condition est de fond. Le juge doit constater que « la situation du débiteur l’exige ». Cette formulation laisse au magistrat un pouvoir d’appréciation souverain quant à l’opportunité de la mesure sollicitée.

Le tribunal précise également les bornes temporelles de cette suspension provisoire. Elle court « jusqu’à l’approbation du plan conventionnel de redressement », ou jusqu’à l’intervention des mesures prévues aux articles L.733-1, L.733-4 et L.741-1, voire jusqu’au jugement de rétablissement personnel. Le législateur a ainsi voulu protéger le débiteur pendant la phase d’élaboration des mesures destinées à traiter son endettement.

B. L’application rigoureuse de l’exigence probatoire

En l’espèce, le juge constate que la condition formelle est remplie. La décision de recevabilité est intervenue le 9 avril 2025, antérieurement au dépôt de la requête le 7 mai suivant. Le débat se concentre donc sur la condition de fond.

Le tribunal relève que la débitrice « ne justifie pas, en versant des pièces probantes, de sa situation personnelle et financière ». Cette formulation mérite attention. Le juge n’affirme pas que la situation de la requérante ne justifierait pas la suspension. Il constate simplement l’absence de démonstration. L’exigence probatoire pèse sur le demandeur conformément à l’article 9 du code de procédure civile.

La décision souligne par ailleurs l’absence de comparution de la débitrice à l’audience. Ce constat vient renforcer le défaut de preuve. Le juge ne dispose d’aucun élément lui permettant d’exercer son pouvoir d’appréciation. Faute de matière, il ne peut que rejeter la demande.

II. Les enjeux de l’accès effectif à la protection du logement

Le jugement met en lumière les difficultés pratiques rencontrées par les débiteurs vulnérables (A) et interroge les limites du formalisme procédural face à l’urgence sociale (B).

A. La vulnérabilité du débiteur face à l’exigence procédurale

La situation décrite par la débitrice dans son courrier révèle une précarité manifeste. Elle indique percevoir des ressources « à peine supérieures au RSA », occuper un logement devenu trop onéreux et attendre une décision de la maison départementale des personnes handicapées. Ces éléments suggèrent une situation économique et personnelle difficile.

Toutefois, le simple exposé de ces circonstances dans un courrier ne suffit pas à constituer une preuve au sens procédural. Le juge ne peut se fonder sur des allégations non étayées. Cette exigence, juridiquement fondée, place le débiteur en situation de grande fragilité dans une position délicate. La constitution d’un dossier probant suppose des démarches, des pièces à rassembler, parfois une assistance juridique.

La décision ne comporte aucune indication sur un éventuel accompagnement de la débitrice par un travailleur social ou un conseil. L’absence de comparution peut résulter de multiples facteurs tenant à la précarité elle-même. Le juge statue sur le fondement des éléments dont il dispose, mais la protection effective du débiteur suppose un accès réel à la procédure.

B. L’articulation entre urgence sociale et rigueur procédurale

Le dispositif des articles L.722-6 et suivants du code de la consommation vise précisément à protéger le logement du débiteur surendetté pendant le traitement de sa situation. Cette protection constitue un élément essentiel de la procédure de surendettement. La perte du logement compromet gravement les chances de redressement du débiteur.

La décision commentée applique strictement les règles probatoires sans aménagement particulier. Cette rigueur peut se justifier par la nécessité de préserver l’égalité des parties et d’éviter des suspensions injustifiées. Le bailleur social, créancier titulaire d’un titre exécutoire, dispose d’un droit à l’exécution qu’il ne peut voir paralysé sans motif démontré.

Néanmoins, cette solution interroge la portée effective de la protection légale. Un débiteur en grande difficulté, potentiellement isolé socialement, peut se trouver dans l’incapacité matérielle de satisfaire aux exigences procédurales. La question de l’office du juge face à de telles situations reste posée. Le texte permet au juge de prononcer la suspension « si la situation du débiteur l’exige », mais encore faut-il que cette situation soit portée à sa connaissance de manière probante. La décision du tribunal judiciaire de Toulon illustre cette tension entre protection sociale et rigueur juridique, sans que le droit positif offre de solution pleinement satisfaisante lorsque le débiteur ne parvient pas à documenter sa demande.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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