- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’ordonnance rendue le 18 juin 2025 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse illustre le mécanisme d’indemnisation au titre de la solidarité nationale prévu par l’article L.1142-1 II du code de la santé publique. Un patient, victime de complications post-opératoires à la suite d’interventions chirurgicales digestives pratiquées entre avril et septembre 2019, a sollicité la condamnation de l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux à lui verser une provision de 100.000 euros.
Les faits de l’espèce révèlent qu’entre le 22 avril 2019 et le 20 mai 2020, le demandeur a connu onze périodes d’hospitalisation consécutives à la mise en place d’une prothèse intra-péritonéale, laquelle a engendré une perforation colique puis une fistule de l’anastomose grêlique. Le rapport d’expertise du 15 mai 2023 a conclu que ces complications relevaient de l’aléa thérapeutique, sans faute imputable à l’établissement de santé ou à son personnel.
En première instance, le demandeur a saisi le tribunal judiciaire de Toulouse par actes des 13 et 27 août 2024, puis a formé un incident devant le juge de la mise en état le 20 novembre 2024 aux fins d’obtenir une provision. L’ONIAM, s’il ne contestait pas le principe de son obligation, soutenait que le montant réclamé était manifestement excessif au regard de ses référentiels d’indemnisation et proposait une provision limitée à 40.000 euros.
La question posée au juge de la mise en état était de déterminer dans quelle mesure il pouvait accorder une provision lorsque seul le quantum de l’obligation, et non son principe, faisait l’objet d’une contestation sérieuse.
Le juge de la mise en état a partiellement fait droit à la demande en condamnant l’ONIAM à verser une provision de 40.000 euros. Il a retenu que si le montant total sollicité était sérieusement contestable, l’obligation de l’ONIAM à hauteur d’au moins 40.000 euros ne l’était pas.
Cette décision invite à examiner successivement les conditions de mise en œuvre de la solidarité nationale en matière d’accidents médicaux (I), puis les pouvoirs du juge de la mise en état confronté à une contestation partielle de l’obligation (II).
I. La caractérisation des conditions de l’indemnisation au titre de la solidarité nationale
L’ordonnance procède à une application rigoureuse des critères légaux de l’accident médical non fautif (A), avant de constater le caractère anormal et grave des conséquences subies par la victime (B).
A. L’absence de faute comme condition préalable à l’intervention de l’ONIAM
Le régime d’indemnisation institué par l’article L.1142-1 II du code de la santé publique repose sur un postulat fondamental : la solidarité nationale n’intervient que lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé ne peut être engagée. Le juge rappelle que « les actes chirurgicaux réalisés dans le cadre de ces opérations l’ont été dans les règles de l’art et que les complications survenues relèvent de l’aléa thérapeutique, sans faute causale de l’établissement ou de son personnel ».
Cette subsidiarité du recours à la solidarité nationale traduit une conception équilibrée de la réparation des dommages médicaux. Le législateur n’a pas entendu substituer un système d’indemnisation automatique à celui de la responsabilité civile. L’ONIAM n’est pas un assureur universel du risque médical, mais l’instrument d’une prise en charge collective des seuls aléas thérapeutiques.
L’expertise judiciaire joue ici un rôle déterminant. Le rapport du docteur désigné par ordonnance de référé du 20 janvier 2022 établit sans ambiguïté que les complications survenues, bien qu’imputables aux actes de soin réalisés, ne procèdent d’aucun manquement aux règles de l’art médical. Cette conclusion technique, non contestée par les parties, lie le juge dans son appréciation du principe de l’obligation.
B. Le caractère anormal et grave des conséquences de l’accident médical
Le législateur a subordonné l’indemnisation au titre de la solidarité nationale à une double exigence d’anormalité et de gravité des conséquences de l’accident médical. L’ordonnance examine successivement ces deux critères avec une précision qui mérite d’être soulignée.
S’agissant du caractère anormal, le juge relève que « la perforation du côlon transverse constitue un risque concernant entre 1,5% et 3,5% des interventions » et que « le risque de fistule à environ 3% des interventions ». Ces taux statistiques, bien que correspondant à des complications inhérentes à ce type de chirurgie digestive, demeurent suffisamment faibles pour caractériser l’anormalité requise. La jurisprudence considère en effet qu’une complication, même connue et documentée, peut présenter un caractère anormal dès lors qu’elle ne survient que dans une minorité d’interventions.
S’agissant du caractère de gravité, l’article D.1142-1 du code de la santé publique fixe des seuils alternatifs. Le juge constate que le demandeur « a connu un arrêt total de ses activités professionnelles entre le 9 mai 2019 et le 20 mai 2020 » et a souffert d’un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à 50% sur une période continue de plus de six mois. Ces éléments satisfont incontestablement aux critères réglementaires.
L’articulation entre anormalité et gravité révèle la cohérence du dispositif légal. Le législateur n’a pas voulu indemniser toute complication médicale, fût-elle non fautive. Seules les conséquences statistiquement improbables et suffisamment lourdes justifient l’intervention de la collectivité.
II. L’office du juge de la mise en état face à la contestation du quantum de l’obligation
L’ordonnance illustre la difficulté pour le juge de la mise en état de délimiter ce qui relève de l’obligation non sérieusement contestable (A) et met en lumière les critères d’appréciation du montant provisionnel (B).
A. La distinction entre principe et quantum de l’obligation provisionnelle
L’article 789 du code de procédure civile confère au juge de la mise en état le pouvoir d’accorder une provision « lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». Cette formulation soulève une difficulté d’interprétation lorsque le débiteur conteste non pas l’existence même de sa dette, mais seulement son montant.
L’ordonnance apporte une réponse nuancée à cette question. Le juge distingue explicitement deux niveaux de contestation : d’une part, le principe de l’obligation d’indemnisation, qui « n’est pas sérieusement contestable, et il n’est pas contesté » ; d’autre part, le montant réclamé, dont il est « sérieusement contestable (…) que l’ONIAM puisse être tenu de la totalité de la somme sollicitée ».
Cette distinction permet de préserver l’utilité de la provision tout en respectant les droits du débiteur. Refuser toute provision au motif que le quantum est discuté reviendrait à priver le créancier d’un instrument procédural essentiel. À l’inverse, accorder l’intégralité de la somme réclamée méconnaîtrait le caractère sérieux des contestations soulevées.
Le juge adopte une position médiane en recherchant le seuil minimal en deçà duquel l’obligation ne peut être sérieusement contestée. Cette méthode, pragmatique, garantit au créancier une avance sur indemnisation tout en préservant l’examen au fond des postes de préjudice litigieux.
B. L’appréciation concrète des postes de préjudice contestés
L’ordonnance procède à un examen détaillé des contestations soulevées par l’ONIAM, ce qui permet d’identifier les postes de préjudice dont l’évaluation demeure incertaine. Cette analyse révèle le rôle structurant des référentiels d’indemnisation dans le contentieux de la réparation du dommage corporel.
Le juge relève que pour le déficit fonctionnel permanent, « le référentiel indicatif d’indemnisation de l’ONIAM 2023 prévoit une indemnisation à hauteur d’environ 30.000 euros, et le référentiel indicatif des cours d’appel 2020 une indemnisation à hauteur d’environ 45.000 euros », alors que le demandeur sollicite 90.956,55 euros. L’écart considérable entre ces évaluations justifie, selon le juge, qu’un débat au fond soit nécessaire.
La même analyse est appliquée aux souffrances endurées et au préjudice esthétique permanent. L’écart entre les sommes réclamées et les barèmes indicatifs constitue un indice du caractère sérieusement contestable de ces prétentions. Le juge souligne que ces référentiels, bien que purement indicatifs, « ont explicitement vocation à harmoniser les pratiques d’indemnisation entre les territoires ».
S’agissant de l’assistance par tierce personne permanente, la contestation porte sur l’évaluation des besoins quotidiens. L’expert a estimé une assistance d’une heure par jour, tandis que l’ONIAM propose trois heures hebdomadaires. Cette divergence d’appréciation relève du débat au fond et ne peut être tranchée au stade de la mise en état.
La fixation de la provision à 40.000 euros résulte d’un raisonnement a minima. Le juge constate que l’ONIAM lui-même « n’a pas contesté qu’il devra verser au moins une fraction des montants réclamés, et il ne prétend pas que cette fraction serait inférieure à 40.000 euros ». Cette admission implicite par le débiteur du seuil minimal de son obligation dispense le juge de procéder à une évaluation plus fine des différents postes de préjudice.