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Le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Toulouse, par ordonnance du 19 juin 2025, s’est prononcé sur la recevabilité d’une action en responsabilité civile engagée à la suite d’un litige portant sur l’existence d’une servitude. Cette décision illustre l’application du régime de la prescription extinctive aux actions en réparation fondées sur la contestation d’un droit réel.
Les faits de l’espèce peuvent être résumés ainsi. Deux particuliers, ayant acquis un bien immobilier, ont découvert que la servitude dont ils pensaient bénéficier sur le fonds voisin était contestée. Un contentieux s’est engagé devant les juridictions civiles. Par un arrêt du 28 novembre 2023, la cour d’appel a définitivement établi l’absence de servitude sur le fonds voisin. Cette décision a été signifiée et a acquis force de chose jugée le 18 février 2024, à l’expiration du délai de pourvoi.
S’estimant victimes d’un manquement imputable à plusieurs professionnels intervenant lors de l’acquisition, les demandeurs ont assigné le 28 mars 2024 une société ainsi que deux notaires et une autre société venant aux droits d’un tiers. Ils sollicitaient la réparation du préjudice résultant de l’absence de servitude sur leur fonds.
Devant le juge de la mise en état, les défendeurs ont soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action. Ils soutenaient que le délai quinquennal de l’article 2224 du code civil avait commencé à courir bien avant l’arrêt de la cour d’appel. Les demandeurs répliquaient que seul le caractère irrévocable de la décision établissant l’absence de servitude avait pu constituer le point de départ de la prescription.
La question posée au juge de la mise en état était donc la suivante : à quelle date le délai de prescription de l’action en responsabilité civile, tendant à l’indemnisation du préjudice né de la reconnaissance d’un droit au profit d’un tiers, commence-t-il à courir ?
Le juge de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription. Il a retenu que « lorsque l’action principale en responsabilité tend à l’indemnisation du préjudice subi par le demandeur, né de la reconnaissance d’un droit contesté au profit d’un tiers, seule la décision juridictionnelle devenue irrévocable établissant ce droit met l’intéressé en mesure d’exercer l’action en réparation du préjudice qui en résulte ». L’assignation ayant été délivrée le 28 mars 2024, soit moins de cinq ans après le 18 février 2024, l’action n’était pas prescrite.
Cette ordonnance invite à examiner le point de départ de la prescription en matière de responsabilité civile lié à une décision juridictionnelle (I), puis à apprécier la portée de cette solution au regard de la jurisprudence récente de la Cour de cassation (II).
I. Le point de départ de la prescription subordonné à l’irrévocabilité de la décision établissant le droit
A. L’application de la règle de connaissance effective du dommage
L’article 2224 du code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Cette formulation consacre un point de départ glissant, fondé sur la connaissance effective ou présumée des éléments constitutifs de l’action.
En matière de responsabilité civile, la jurisprudence exige traditionnellement que le demandeur ait eu connaissance du dommage, du fait générateur, de l’auteur et du lien de causalité. Cette exigence cumulative vise à garantir que le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où la victime est réellement en mesure d’agir.
L’ordonnance commentée rappelle cette règle en citant expressément l’arrêt de la chambre mixte du 19 juillet 2024. Elle en tire la conséquence que les demandeurs ne pouvaient connaître leur dommage avant que l’absence de servitude ne soit définitivement établie par une décision juridictionnelle.
B. Le caractère irrévocable de la décision comme condition de la connaissance du préjudice
Le juge de la mise en état retient que « seule la décision juridictionnelle devenue irrévocable établissant ce droit met l’intéressé en mesure d’exercer l’action en réparation du préjudice qui en résulte ». Cette formule mérite attention. Elle signifie que tant qu’une voie de recours ordinaire demeure ouverte, le préjudice n’est pas définitivement constitué.
En l’espèce, l’arrêt de la cour d’appel du 28 novembre 2023 n’a acquis force de chose jugée que le 18 février 2024, après l’expiration du délai de pourvoi en cassation. C’est donc cette date qui constitue le point de départ de la prescription. L’assignation du 28 mars 2024 intervient ainsi dans le délai quinquennal.
Cette solution protège le demandeur contre le risque de voir son action prescrite alors même que le litige principal n’est pas tranché. Elle évite également qu’il soit contraint d’engager une action en responsabilité à titre conservatoire, avant même de connaître l’issue du contentieux relatif au droit contesté.
II. La portée de la solution au regard de l’évolution jurisprudentielle
A. La consécration d’une règle protectrice des victimes de manquements professionnels
L’ordonnance s’inscrit dans le prolongement direct de l’arrêt rendu par la chambre mixte de la Cour de cassation le 19 juillet 2024. Cette décision, rendue en formation solennelle, a tranché une question longtemps débattue. Elle affirme que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité ne peut être fixé avant que la décision établissant le droit du tiers ne soit devenue irrévocable.
Cette règle trouve une justification pratique évidente. Le préjudice invoqué par les demandeurs résulte précisément de l’absence de servitude. Or, tant que cette absence n’est pas définitivement établie, le dommage demeure incertain. Faire courir la prescription avant cette date reviendrait à imposer au demandeur d’agir sur le fondement d’un préjudice hypothétique.
La solution retenue par le juge de la mise en état de Toulouse constitue ainsi une application fidèle de la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle témoigne de la réception rapide de cette règle par les juridictions du fond.
B. Les conséquences sur la stratégie procédurale des parties
La règle dégagée par la chambre mixte et appliquée en l’espèce modifie l’équilibre des stratégies contentieuses. Les demandeurs peuvent désormais attendre l’issue définitive du litige principal avant d’engager leur action en responsabilité. Ils ne sont plus contraints d’agir de manière préventive, au risque de multiplier les instances.
Pour les défendeurs, cette solution implique une incertitude prolongée. Le professionnel mis en cause ne peut opposer la prescription tant que la décision établissant le droit n’est pas devenue irrévocable. Le délai de prescription peut ainsi demeurer suspendu pendant plusieurs années, le temps que les voies de recours soient épuisées.
L’ordonnance commentée en fournit une illustration. Les faits générateurs du préjudice allégué remontent à l’acquisition du bien immobilier, intervenue plusieurs années avant l’assignation. Pourtant, l’action n’est pas prescrite, la prescription n’ayant commencé à courir qu’en février 2024. Cette solution, protectrice des victimes, impose aux professionnels une vigilance accrue dans la conservation des éléments de preuve relatifs aux opérations anciennes.