Tribunal judiciaire de Toulouse, le 19 juin 2025, n°25/01491

L’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse en date du 19 juin 2025 illustre le contrôle juridictionnel exercé sur la prolongation de la rétention administrative des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire français.

Un ressortissant serbe, né en Italie, a été condamné le 4 février 2008 par le tribunal correctionnel d’Albertville à une interdiction définitive du territoire français, peine confirmée en appel par la cour d’appel de Chambéry le 21 mai 2008. Détenu à la maison d’arrêt de Draguignan, il a fait l’objet le 21 mai 2025, lors de sa levée d’écrou, d’un placement en rétention administrative par le préfet du Var. Une première prolongation de vingt-six jours a été ordonnée le 25 mai 2025 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Toulouse.

Par requête du 18 juin 2025, le préfet du Var a sollicité une deuxième prolongation de la rétention pour une durée de trente jours, fondée sur le défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat serbe. L’intéressé, absent à l’audience, était représenté par son conseil qui s’en est rapporté à la décision du juge, précisant que son client souhaitait être éloigné dans les meilleurs délais vers la Serbie.

La question posée au juge des libertés et de la détention était de déterminer si les conditions légales d’une deuxième prolongation de la rétention administrative étaient réunies, au regard des diligences accomplies par l’administration préfectorale et des perspectives raisonnables d’exécution de la mesure d’éloignement.

Le magistrat a ordonné la prolongation de la rétention pour une durée de trente jours. Il a relevé que l’administration justifiait de la saisine de l’autorité consulaire serbe, qu’un premier vol prévu le 5 juin 2025 avait été annulé par la compagnie aérienne et qu’un nouveau routing était programmé pour le 20 juin 2025. Il a considéré que « ces diligences apparaissent ainsi suffisantes dans le temps de rétention initiale » et que « l’éloignement apparaît raisonnablement pouvoir intervenir avant que soit épuisé l’ensemble de la durée légale maximale de la rétention administrative ».

Cette décision invite à examiner le cadre juridique de la deuxième prolongation de la rétention administrative (I) avant d’apprécier la portée du contrôle des diligences administratives exercé par le juge judiciaire (II).

I. Le cadre juridique de la deuxième prolongation de la rétention administrative

Le régime de la deuxième prolongation obéit à des conditions légales strictement encadrées par le code de l’entrée et du séjour des étrangers (A), dont l’application suppose une appréciation concrète de la situation de l’étranger retenu (B).

A. Les conditions légales de la deuxième prolongation

L’article L. 742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile énumère limitativement les cas dans lesquels le juge des libertés et de la détention peut être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de trente jours. Ces hypothèses concernent l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public, l’obstruction de l’étranger à son éloignement, ou encore les difficultés liées à l’obtention des documents de voyage ou à l’absence de moyens de transport.

En l’espèce, le préfet du Var a fondé sa demande sur le 3° a) de l’article L. 742-4, à savoir « le défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé ». Cette hypothèse vise les situations dans lesquelles l’éloignement n’a pu être réalisé dans le délai initial de rétention en raison de l’absence de réponse ou de la lenteur des autorités consulaires du pays de destination.

Le juge rappelle que cette prolongation ne peut excéder trente jours et que « la durée maximale de la rétention n’excède alors pas soixante jours ». Cette limitation temporelle traduit la volonté du législateur de concilier les impératifs de l’éloignement avec le respect de la liberté individuelle, dont le juge judiciaire est le gardien constitutionnel en vertu de l’article 66 de la Constitution.

B. L’appréciation concrète de la situation de l’étranger retenu

Le magistrat souligne qu’il lui « appartient d’apprécier concrètement au regard des données de chaque situation à la date où il statue, si la mesure de rétention et sa poursuite sont justifiées par des perspectives raisonnables de mise à exécution de la mesure d’éloignement ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière.

Le juge précise que ces perspectives raisonnables doivent pouvoir se réaliser « dans le délai maximal de rétention applicable à l’intéressé, soit 90 jours ». Il ajoute que « la démonstration par l’administration d’un éloignement à bref délai n’étant exigée que pour les troisième et quatrième prolongations de la rétention ». Cette distinction temporelle révèle une gradation dans l’intensité du contrôle juridictionnel selon l’avancement de la procédure de rétention.

L’ordonnance met en lumière le caractère évolutif des exigences pesant sur l’administration. Au stade de la deuxième prolongation, le juge n’exige pas la certitude d’un éloignement imminent mais seulement des perspectives raisonnables dans le délai légal maximal. Cette approche pragmatique tient compte des aléas inhérents aux procédures d’éloignement, notamment les difficultés de coordination avec les autorités consulaires étrangères.

II. La portée du contrôle des diligences administratives

Le contrôle juridictionnel porte sur le caractère suffisant des démarches entreprises par l’administration (A), tout en s’inscrivant dans une logique de proportionnalité entre privation de liberté et perspectives d’éloignement (B).

A. L’exigence de diligences suffisantes de l’administration

L’article L. 741-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers dispose qu’un « étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ » et que « l’administration exerce toute diligence à cet effet ». Ce principe de nécessité conditionne la légalité de la mesure privative de liberté.

En l’espèce, le juge relève que « le préfet du Var justifie de la saisine de l’autorité consulaire serbe aux fins de réadmission ». Il constate qu’un premier vol avait été organisé pour le 5 juin 2025 mais qu’il a été « annulé par la compagnie » et qu’un nouveau routing a été « sollicité dès le 4 juin 2025 » pour un départ programmé le 20 juin 2025. Le magistrat en conclut que « ces diligences apparaissent ainsi suffisantes dans le temps de rétention initiale ».

Cette appréciation favorable tient compte de la réactivité de l’administration qui a immédiatement sollicité un nouveau vol après l’annulation du premier. L’ordonnance suggère que le contrôle du juge porte moins sur le résultat obtenu que sur l’effectivité des démarches entreprises. L’administration ne saurait être tenue responsable des aléas indépendants de sa volonté, tels que l’annulation d’un vol par une compagnie aérienne.

B. La proportionnalité entre privation de liberté et perspectives d’éloignement

Le juge accorde la prolongation après avoir constaté que « l’éloignement apparaît raisonnablement pouvoir intervenir avant que soit épuisé l’ensemble de la durée légale maximale de la rétention administrative ». Cette formulation traduit une mise en balance entre la privation de liberté subie par l’étranger et les chances réelles d’exécution de la mesure d’éloignement.

La circonstance que l’intéressé lui-même, par l’intermédiaire de son conseil, ait indiqué souhaiter être éloigné « dans les plus brefs délais vers la Serbie » renforce la légitimité de la prolongation. L’absence d’opposition de l’étranger à son éloignement écarte l’hypothèse d’une obstruction volontaire et confirme que le retard dans l’exécution de la mesure résulte exclusivement de difficultés matérielles.

Cette décision s’inscrit dans la jurisprudence classique du juge des libertés et de la détention en matière de rétention administrative. Elle rappelle que le contrôle juridictionnel vise à garantir que la privation de liberté demeure proportionnée à l’objectif poursuivi, tout en préservant l’efficacité des mesures d’éloignement. La programmation effective d’un vol pour le lendemain de l’audience constituait un élément déterminant justifiant la prolongation sollicitée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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