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La reconnaissance des maladies psychiques au titre des risques professionnels constitue un enjeu majeur du droit de la sécurité sociale contemporain. Le tribunal judiciaire de Tours, pôle social, a rendu le 16 juin 2025 une décision qui illustre les difficultés procédurales inhérentes à cette reconnaissance lorsque la pathologie ne figure dans aucun tableau de maladies professionnelles.
Une salariée a établi le 25 avril 2023 une déclaration de maladie professionnelle. Le certificat médical initial du 21 février 2023 mentionnait un « syndrome anxio dépressif à la suite de cette mauvaise expérience professionnelle ». Le médecin conseil de la caisse primaire a estimé l’incapacité prévisible égale ou supérieure à 25 %, ce qui a conduit à la transmission du dossier au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Le 17 novembre 2023, ce comité n’a pas retenu l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre la pathologie et l’activité professionnelle. La caisse a notifié un refus de prise en charge le 20 novembre 2023. La commission de recours amiable a rejeté la contestation le 18 juin 2024.
La requérante a saisi le pôle social du tribunal judiciaire le 12 août 2024. Elle sollicitait à titre principal la prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle et la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. À titre subsidiaire, elle demandait la désignation d’un second comité régional. La caisse sollicitait également cette seconde saisine en application de l’article R 142-17-2 du code de la sécurité sociale.
Le tribunal devait déterminer si la procédure de reconnaissance d’une maladie psychique hors tableau autorisait le recours à une expertise judiciaire classique. Il devait également apprécier la recevabilité d’une demande de faute inexcusable en l’absence de l’employeur.
Le tribunal a constaté que l’employeur n’était pas partie à l’instance et a dit n’y avoir lieu à statuer sur la faute inexcusable. Il a rejeté la demande d’expertise au motif que « la reconnaissance des maladies hors tableau ne se faisant pas par expertise ». Il a ordonné avant dire droit la saisine d’un second comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Le régime dérogatoire des maladies hors tableau impose une procédure spécifique excluant l’expertise judiciaire classique (I). La demande de faute inexcusable se heurte par ailleurs à des obstacles procéduraux tenant à l’absence de l’employeur et au caractère préalable de la reconnaissance du caractère professionnel (II).
I. L’exclusivité du comité régional dans la reconnaissance des maladies hors tableau
Le tribunal rappelle le cadre légal applicable aux maladies professionnelles en distinguant trois hypothèses issues de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale (A). Il en déduit l’impossibilité de recourir à une expertise judiciaire pour établir le lien de causalité (B).
A. La tripartition légale des modes de reconnaissance
Le tribunal expose avec précision les trois régimes applicables. Le premier concerne les maladies désignées dans un tableau et contractées dans les conditions qu’il prévoit : la victime bénéficie alors d’une présomption d’imputabilité. Le deuxième vise les maladies inscrites au tableau mais pour lesquelles une condition n’est pas remplie : la reconnaissance suppose de démontrer que la maladie est « directement causée par le travail habituel ». Le troisième régime s’applique aux maladies hors tableau : il faut établir qu’elles sont « essentiellement et directement » causées par le travail et qu’elles entraînent une incapacité d’au moins 25 %.
Le jugement précise que « les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle, dans les conditions prévues aux septième et avant-dernier alinéas du présent article ». Cette mention explicite du syndrome anxio-dépressif dans le champ des maladies potentiellement professionnelles traduit l’évolution législative issue de la loi du 17 août 2015. Le législateur a ainsi consacré la possibilité de qualifier de professionnelles des affections psychiques, rompant avec une conception exclusivement somatique de la maladie professionnelle.
L’exigence d’un taux d’incapacité de 25 % constitue un filtre restrictif. Ce seuil élevé limite considérablement le nombre de reconnaissances possibles. En l’espèce, le médecin conseil avait estimé ce seuil atteint, ouvrant la voie à la saisine du comité régional.
B. L’incompatibilité de l’expertise judiciaire avec la procédure spéciale
Le tribunal rejette la demande d’expertise en affirmant que « la reconnaissance des maladies hors tableau ne se faisant pas par expertise ». Cette formulation lapidaire mérite explication. L’article L. 461-1 impose le recueil de l’avis d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. L’avis de ce comité « s’impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l’article L. 315-1 ».
Le législateur a institué un mécanisme sui generis qui échappe aux règles ordinaires de la preuve judiciaire. Le comité régional n’est pas un expert au sens du code de procédure civile. Sa composition pluridisciplinaire, associant médecins et ingénieurs conseil, lui confère une compétence technique que le juge ne saurait suppléer par la désignation d’un sapiteur.
L’article R 142-17-2 du code de la sécurité sociale organise la phase juridictionnelle du contentieux. Lorsque le tribunal est saisi d’un recours contre une décision de refus fondée sur l’avis négatif d’un premier comité, il doit recueillir l’avis d’un second comité relevant d’une autre région. Cette dualité d’avis permet de confronter deux analyses indépendantes sans recourir à l’expertise classique.
La solution retenue par le tribunal de Tours s’inscrit dans une jurisprudence constante. Elle préserve la cohérence du système en évitant qu’un expert judiciaire ne puisse contredire un avis rendu par un organisme légalement investi d’une compétence exclusive.
II. Les obstacles à la reconnaissance de la faute inexcusable
Le tribunal relève l’absence de l’employeur dans l’instance (A). Il rappelle également que la reconnaissance du caractère professionnel constitue un préalable nécessaire à toute action en faute inexcusable (B).
A. L’irrecevabilité tenant au défaut de mise en cause de l’employeur
Le tribunal « constate que l’employeur de Madame [E] n’est pas partie à l’instance » et dit « n’y avoir lieu à statuer en l’état sur une éventuelle faute inexcusable ». La requérante n’avait sollicité la convocation que de la caisse primaire. Cette carence procédurale empêche toute discussion sur la responsabilité de l’employeur.
L’action en faute inexcusable suppose nécessairement la mise en cause de l’employeur. Ce dernier est le débiteur principal de l’obligation de sécurité dont la violation caractérise la faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale. La caisse n’est que le gestionnaire du risque. Elle dispose d’une action récursoire contre l’employeur mais ne saurait être condamnée en ses lieu et place.
Le tribunal adopte une position orthodoxe en refusant de statuer sur une demande formée contre une partie absente. Le principe du contradictoire impose que le défendeur à l’action soit régulièrement appelé en la cause. La salariée devra renouveler sa demande en veillant à attraire son ancien employeur devant la juridiction.
B. Le caractère préalable de la reconnaissance du caractère professionnel
Le tribunal énonce clairement que « la reconnaissance du caractère professionnel de cette maladie est un préalable à l’engagement éventuel d’une action à l’encontre de son employeur pour faute inexcusable ». Cette affirmation traduit une règle de bon sens juridique.
La faute inexcusable n’est susceptible de prospérer que si l’affection dont souffre le salarié est qualifiée de maladie professionnelle. À défaut de cette qualification, l’employeur ne saurait être tenu au titre de la législation sur les risques professionnels. La salariée conserverait éventuellement une action de droit commun, mais elle perdrait le bénéfice de la majoration de rente et de l’indemnisation complémentaire prévues par le code de la sécurité sociale.
Le sursis à statuer ordonné par le tribunal répond à cette logique de priorité. La saisine du second comité régional permettra de trancher la question du lien de causalité. Si l’avis est favorable, la reconnaissance du caractère professionnel ouvrira la voie à une action en faute inexcusable. Si l’avis est défavorable, la salariée pourra contester cette appréciation mais ne disposera d’aucune base légale pour rechercher la faute inexcusable.
La décision du tribunal judiciaire de Tours illustre la rigueur procédurale applicable à la reconnaissance des maladies psychiques professionnelles. Elle rappelle que le comité régional demeure l’instance technique incontournable pour établir le lien de causalité exigé par la loi.