Tribunal judiciaire de Tours, le 16 juin 2025, n°25/00007

Le contentieux de la reconnaissance des maladies professionnelles oppose fréquemment les employeurs aux caisses primaires d’assurance maladie sur le terrain du respect des garanties procédurales. Le jugement rendu par le pôle social du Tribunal judiciaire de Tours le 16 juin 2025 illustre cette tension récurrente entre les exigences du contradictoire et l’efficacité de l’instruction administrative.

Une salariée a établi le 29 février 2024 une déclaration de maladie professionnelle pour un syndrome du canal carpien gauche, accompagnée d’un certificat médical initial du 13 février 2024. La caisse primaire a diligenté une instruction en adressant des questionnaires à la salariée et à l’employeur. Le 1er juillet 2024, elle a notifié à la société employeuse la prise en charge de cette affection au titre de la législation professionnelle. L’employeur a exercé un recours devant la commission de recours amiable, laquelle a rejeté sa contestation par décision du 19 novembre 2024.

La société a saisi le pôle social du Tribunal judiciaire de Tours le 26 décembre 2024. Elle soulevait trois moyens. Elle soutenait d’abord que le colloque médico-administratif avait été signé par le médecin conseil le 5 mars 2024, soit avant le début de l’instruction fixé au 6 mars 2024. Elle reprochait ensuite à la caisse de ne pas lui avoir laissé de délai de consultation passive des pièces ni de l’avoir informée de la date de clôture de ce délai. Elle contestait enfin la date de première constatation médicale retenue au 18 septembre 2023, estimant qu’aucun élément du dossier ne permettait de la justifier.

La caisse répliquait que l’avis du médecin conseil, limité à la partie médicale de la fiche, était établi avant le début de l’instruction car il portait sur la recevabilité médicale du dossier, préalable à l’instruction administrative. Elle ajoutait que l’employeur avait été régulièrement informé des différentes dates de l’instruction et mis en mesure de présenter ses observations. Elle indiquait enfin que la date de première constatation médicale correspondait à celle mentionnée sur le certificat médical initial.

La question posée au tribunal était double. Il s’agissait de déterminer si la caisse avait respecté le principe du contradictoire lors de l’instruction de la maladie professionnelle, puis si les conditions du tableau n° 57 C relatives au délai de prise en charge étaient réunies.

Le tribunal a rejeté l’ensemble des moyens de l’employeur. Il a jugé que le colloque médico-administratif constituait un « document préparatoire » à la prise de décision et non une décision de prise en charge. Il a retenu que l’employeur avait été informé des différentes phases de l’instruction et qu’aucune disposition n’imposait une durée minimale de la phase de consultation passive. Il a enfin validé la date de première constatation médicale fixée par le médecin conseil.

Cette décision invite à examiner le rôle du colloque médico-administratif dans le respect du contradictoire (I), avant d’analyser les modalités de détermination de la date de première constatation médicale (II).

I. La qualification du colloque médico-administratif au regard du principe du contradictoire

Le tribunal précise la nature juridique du colloque médico-administratif (A), avant d’en tirer les conséquences sur les obligations d’information de la caisse (B).

A. La nature préparatoire du colloque médico-administratif

L’employeur fondait son premier moyen sur une chronologie qu’il estimait irrégulière. Le médecin conseil avait rempli la fiche colloque médico-administratif le 5 mars 2024. Le courrier informant l’employeur de l’ouverture de l’instruction était daté du 8 mars 2024. L’employeur en déduisait que la décision de prise en charge avait été arrêtée avant même qu’il soit mis en mesure de présenter ses observations.

Le tribunal écarte cette argumentation en se fondant sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Il rappelle que « la concertation médico-administrative est un document de liaison entre le service du contrôle médical et les services administratifs de la caisse ». Il cite expressément deux arrêts de la deuxième chambre civile. Le premier, du 28 mai 2015, qualifie ce document de document de liaison. Le second, du 29 novembre 2012, le qualifie de « document préparatoire » à la prise de décision par la caisse.

Le tribunal détaille ensuite le contenu de ce document. La première rubrique, intitulée « informations apportées par le médecin conseil », mentionne le libellé du syndrome, la réalisation des examens prévus par le tableau, le respect des conditions médicales réglementaires, l’accord du médecin conseil sur le diagnostic et la date de première constatation médicale. Le médecin conseil avait rempli cette rubrique le 5 mars 2024 en donnant son accord sur le diagnostic et en fixant la date de première constatation au 18 septembre 2023.

Le tribunal en conclut qu’« à ce stade, le médecin conseil a seulement vérifié que la pathologie invoquée était caractérisée et fixé la date de première constatation de la maladie ». Cette analyse distingue clairement la vérification médicale préalable de la décision administrative de prise en charge. La première rubrique du colloque « vise donc à informer l’employeur sur la désignation de la maladie, le tableau concerné et la date de la première constatation de la maladie ». Elle « ne constitue en revanche pas une décision de prise en charge ».

Cette qualification emporte des conséquences importantes. Le médecin conseil intervient en amont de l’instruction pour vérifier la recevabilité médicale du dossier. Son avis conditionne l’ouverture même de l’instruction administrative. Il serait donc paradoxal d’exiger que l’employeur soit informé avant cet examen préalable, puisque l’instruction n’est pas encore ouverte.

B. L’information suffisante de l’employeur sur les phases de l’instruction

L’employeur soulevait un second grief tiré du non-respect du principe du contradictoire. Il reprochait à la caisse de ne pas l’avoir informé de la date de clôture de la période de consultation passive et de ne pas lui avoir laissé un délai suffisant pour consulter le dossier après la période d’observations.

Le tribunal examine les dispositions de l’article R. 461-9 du Code de la sécurité sociale. Ce texte prévoit qu’à l’issue des investigations, la caisse met le dossier à disposition de la victime et de l’employeur. Ces derniers « disposent d’un délai de dix jours francs pour le consulter et faire connaître leurs observations ». Le texte ajoute qu’« au terme de ce délai, la victime ou ses représentants et l’employeur peuvent consulter le dossier sans formuler d’observations ».

Le tribunal constate que la caisse a transmis un courrier à l’employeur l’informant de l’ouverture de l’instruction. Ce courrier mentionnait la possibilité de consulter les pièces et de formuler des observations du 17 juin 2024 au 28 juin 2024. Il précisait que la décision serait rendue au plus tard le 5 juillet 2024. Le tribunal en déduit que l’employeur « a donc été parfaitement informé des différentes phases de l’instruction : une phase active du 17 juin 2024 au 28 juin 2024, où elle peut formuler des observations et une phase passive à compter du 28 juin 2024 ».

Le tribunal ajoute une précision importante. Il relève qu’« aucune disposition ne prévoit une durée minimale de la phase de consultation passive, cette période ne permettant pas aux parties d’enrichir le dossier ». Cette motivation distingue les deux phases de la consultation. La phase active permet de formuler des observations qui seront annexées au dossier. La phase passive permet seulement de prendre connaissance des pièces sans pouvoir les compléter.

Cette distinction justifie l’absence d’exigence textuelle quant à la durée de la phase passive. Dès lors que l’employeur a pu formuler ses observations pendant la phase active, le principe du contradictoire est respecté. La phase passive n’ajoute rien à ses droits de la défense.

II. La détermination de la date de première constatation médicale

Le tribunal rappelle les règles gouvernant la fixation de cette date (A), avant de valider la méthode retenue par le médecin conseil (B).

A. Le régime juridique de la date de première constatation médicale

L’employeur contestait la date de première constatation médicale retenue par le médecin conseil. Il soutenait que la salariée avait cessé d’être exposée aux risques le 31 août 2023 et que le tableau n° 57 C prévoyait un délai de prise en charge de trente jours. La salariée aurait donc dû faire constater médicalement sa maladie avant le 30 septembre 2023. L’employeur estimait qu’aucun élément du dossier ne permettait de justifier la date du 18 septembre 2023 retenue par le médecin conseil.

Le tribunal rappelle d’abord le mécanisme de la présomption d’origine professionnelle prévu par l’article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale. Est présumée d’origine professionnelle « toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau ». Les tableaux précisent notamment « le délai dans lequel la maladie doit être constatée après la cessation de l’exposition du salarié au risque identifié pour être prise en charge ».

Le tribunal cite ensuite le tableau n° 57 C applicable au syndrome du canal carpien. Le délai de prise en charge est de trente jours. La liste limitative des travaux mentionne « les travaux comportant de façon habituelle soit des mouvements répétés ou prolongés d’extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main ».

Le tribunal énonce alors la règle applicable à la détermination de la date de première constatation médicale. Il résulte « de la combinaison des articles L 461-1 et L 461-2 et D 461-1 du Code de la sécurité sociale que la date de la première constatation médicale est celle à laquelle les premières manifestations de la maladie ont été constatées par un médecin avant même que le diagnostic ne soit établi et qu’elle est fixée par le médecin conseil ».

Cette définition appelle deux observations. La date de première constatation médicale ne coïncide pas nécessairement avec celle du diagnostic définitif. Il suffit que les premières manifestations de la maladie aient été constatées par un médecin. Le médecin conseil dispose d’un pouvoir exclusif pour fixer cette date.

B. La validation de la méthode du médecin conseil

Le tribunal précise ensuite le régime de la preuve de la date de première constatation médicale. Il énonce que « la pièce caractérisant la première constatation médicale d’une maladie professionnelle dont la date est antérieure à celle du certificat médical initial, n’est pas soumise aux mêmes exigences de forme que celui-ci ». Cette pièce « n’est pas au nombre des documents constituant le dossier qui doit être mis à disposition de la victime ou de ses ayants-droits ou de l’employeur en application de l’article R. 441-14 ».

Le tribunal en tire une conséquence importante pour la charge de la preuve. La date de première constatation médicale retenue par le médecin conseil « peut correspondre à une date indiquée dans une pièce non communiquée à l’employeur car couverte par le secret médical ». Il suffit que « la concertation médico administrative mentionne avec la nature de l’événement ayant permis de la retenir ».

En l’espèce, le médecin conseil avait fixé la date de première constatation au 18 septembre 2023 « en se référant expressément aux mentions du certificat médical initial ». Le tribunal relève que l’employeur avait lui-même transmis à la caisse une étude de poste de la salariée et son temps de travail en 2023. Ces documents « font expressément référence à une date de première constatation de la maladie au 18 septembre 2023 ». Le tribunal ajoute que la salariée « était en congés après le 31 août 2023, dernier jour travaillé à mi-temps thérapeutique ».

Le tribunal en conclut qu’« aucun élément ne permet de remettre en cause la date de première constatation de la maladie professionnelle figurant sur le certificat médical initial, soit le 18 septembre 2023, retenue par le médecin conseil ». Cette motivation renverse la charge de la preuve. Il appartient à l’employeur qui conteste la date retenue par le médecin conseil de démontrer qu’elle serait erronée. En l’absence d’éléments contraires, la date fixée par le médecin conseil s’impose.

Cette solution s’inscrit dans la logique de la présomption d’origine professionnelle. Lorsque les conditions du tableau sont réunies, la maladie est présumée professionnelle sans que la victime ait à prouver le lien de causalité. L’employeur qui entend renverser cette présomption doit apporter des éléments positifs démontrant que l’affection a une cause totalement étrangère au travail. La simple contestation de la date de première constatation médicale ne suffit pas lorsque cette date est corroborée par les propres documents de l’employeur.

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Hassan KOHEN
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