Tribunal judiciaire de Tours, le 18 juin 2025, n°24/03412

Le contentieux locatif constitue une source abondante de décisions juridictionnelles, révélatrices des tensions entre le droit au logement et la protection des intérêts patrimoniaux du bailleur. Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Tours, par un jugement réputé contradictoire du 18 juin 2025, offre une illustration de la conciliation opérée par le législateur entre ces impératifs antagonistes.

En l’espèce, un office public de l’habitat avait consenti, par acte sous seing privé du 3 mars 2020, un bail d’habitation portant sur un logement situé en Indre-et-Loire. Face à des loyers demeurés impayés, le bailleur a fait délivrer aux locataires, le 14 novembre 2023, un commandement de payer visant la clause résolutoire pour une somme de 892,44 euros. La commission départementale de coordination des actions de prévention des expulsions locatives avait été saisie le 2 novembre 2023. Par assignation du 3 juin 2024, le bailleur sollicitait le constat de l’acquisition de la clause résolutoire, l’expulsion des locataires et leur condamnation au paiement de la dette locative.

Devant le juge des contentieux de la protection, le bailleur a actualisé sa créance et indiqué que les défendeurs avaient repris le paiement du loyer courant. Un accord était intervenu sur un échéancier d’apurement. Les locataires, régulièrement assignés à personne, n’ont pas comparu.

Le juge était confronté à plusieurs questions. La demande en résiliation était-elle recevable au regard des formalités prescrites par la loi du 6 juillet 1989 ? La clause résolutoire était-elle acquise ? Des délais de paiement suspensifs pouvaient-ils être accordés aux locataires défaillants ?

Le tribunal a déclaré l’action recevable, constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 15 janvier 2024, condamné solidairement les locataires au paiement de 586,34 euros et autorisé un échelonnement sur quinze mensualités avec suspension des effets de la clause résolutoire pendant la durée de l’échéancier.

Cette décision illustre le régime protecteur instauré par le législateur en matière de bail d’habitation. Elle met en lumière tant les conditions strictes de recevabilité de l’action en résiliation (I) que le mécanisme de suspension des effets de la clause résolutoire par l’octroi de délais de paiement (II).

I. Le contrôle rigoureux de la recevabilité de l’action en résiliation

Le juge procède à une vérification méthodique du respect des formalités préalables à l’action (A) avant d’examiner les conditions d’acquisition de la clause résolutoire (B).

A. Les formalités préalables imposées au bailleur personne morale

Le législateur a progressivement renforcé les conditions de recevabilité de l’action en résiliation du bail d’habitation pour impayés de loyers. L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 soumet les bailleurs personnes morales à des exigences procédurales particulières, destinées à favoriser la prévention des expulsions.

Le tribunal relève que « l’assignation a été délivrée le 03 juin 2024, soit plus de deux mois après la saisine de la CCAPEX, laquelle a été notifiée par voie électronique à la préfecture […] plus de six semaines avant la date d’audience ». La double exigence posée par les paragraphes II et III de l’article 24 se trouve ainsi satisfaite. Le bailleur doit attendre l’expiration d’un délai de deux mois suivant la saisine de la commission de coordination avant de délivrer son assignation. Cette saisine avait été effectuée le 2 novembre 2023, de sorte que l’assignation du 3 juin 2024 respectait ce délai.

La notification au préfet, requise au moins six semaines avant l’audience, répond à une finalité distincte. Elle permet aux services de l’État d’être informés des procédures d’expulsion en cours et de mettre en œuvre, le cas échéant, les dispositifs d’accompagnement social. Le juge vérifie d’office le respect de ces formalités, leur méconnaissance étant sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande.

Cette décision confirme que le contrôle de recevabilité constitue un préalable nécessaire à tout examen au fond. Le bailleur social, soumis à des obligations renforcées, doit démontrer qu’il a respecté les étapes procédurales destinées à permettre une intervention préventive des pouvoirs publics.

B. L’appréciation des conditions d’acquisition de la clause résolutoire

Une fois la recevabilité acquise, le juge examine si la clause résolutoire a produit ses effets. L’article 24 I de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que cette clause « ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux ».

Le tribunal constate que « le bail litigieux comprend une clause résolutoire de plein droit en son article 6-1 ». Le commandement de payer du 14 novembre 2023 visait cette clause pour une somme de 892,44 euros. Le juge observe qu’un « règlement partiel de 420 euros » a été effectué le 13 janvier 2024, sans pour autant solder la dette. Il en déduit que « les conditions d’acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail étaient réunies à la date du 15 janvier 2024 ».

Cette appréciation mérite attention. Le paiement partiel intervenu dans le délai de six semaines n’empêche pas l’acquisition de la clause résolutoire dès lors qu’une partie de la dette subsiste. La jurisprudence constante impose en effet un apurement intégral pour paralyser les effets de la clause. Le caractère infructueux du commandement s’apprécie au regard de la persistance, même partielle, de l’impayé à l’expiration du délai légal.

Le calcul du délai obéit aux règles de computation prévues par l’article 642 du code de procédure civile. Le commandement ayant été signifié le 14 novembre 2023, le délai de six semaines expirait le 26 décembre 2023. Le tribunal retient toutefois la date du 15 janvier 2024, correspondant à l’expiration du délai contractuel de deux mois stipulé dans le bail. Cette référence au délai conventionnel, plus favorable au locataire que le délai légal de six semaines, traduit une application littérale des stipulations contractuelles.

II. L’aménagement judiciaire des effets de la clause résolutoire

Le constat de l’acquisition de la clause résolutoire n’emporte pas nécessairement l’expulsion immédiate du locataire. Le juge dispose d’un pouvoir de suspension conditionnée (A), dont la mise en œuvre obéit à un régime précis (B).

A. Les conditions d’octroi des délais de paiement suspensifs

L’article 24 V de la loi du 6 juillet 1989 permet au juge d’accorder des délais de paiement « dans la limite de trois années », sous réserve que le locataire soit en situation de régler sa dette et qu’il ait « repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ». L’article 24 VII précise que les effets de la clause résolutoire peuvent être suspendus pendant le cours de ces délais.

Le tribunal relève que les locataires « perçoivent des ressources mensuelles d’un montant total de 1 278 euros et déclarent des charges fixes mensuelles d’un montant de 353 euros, outre le loyer ». Le loyer résiduel, d’un montant de 245,79 euros, est « régulièrement acquitté depuis le mois de septembre 2024 ». Ces éléments établissent la capacité des débiteurs à honorer un échéancier raisonnable.

La reprise du paiement intégral du loyer courant avant l’audience constitue une condition sine qua non de l’octroi des délais suspensifs. Cette exigence traduit la volonté du législateur de réserver ce bénéfice aux locataires manifestant une réelle volonté d’apurement. En l’espèce, cette condition était remplie depuis plusieurs mois, ce qui témoignait d’un redressement durable de la situation des occupants.

Le juge prend également en compte « l’accord des parties » sur les modalités d’apurement. Cet élément révèle une dimension conciliatoire du contentieux locatif. Le bailleur social, conscient des difficultés de relogement et du coût d’une procédure d’expulsion, avait intérêt à privilégier une solution négociée permettant le maintien dans les lieux moyennant un apurement progressif.

B. Le régime de la suspension et ses conséquences

Le dispositif du jugement organise avec précision les modalités de l’échéancier et les conséquences de son inexécution. Les locataires sont autorisés à s’acquitter de leur dette « en 14 mensualités de quarante euros chacune et une quinzième mensualité qui soldera la dette ». Chaque versement doit intervenir « avant le dix de chaque mois ».

Le tribunal énonce que « si les délais accordés sont entièrement respectés, la clause résolutoire sera réputée n’avoir jamais été acquise ». Cette fiction juridique, expressément prévue par l’article 24 VII, restaure rétroactivement le bail dans sa plénitude. Les locataires retrouvent alors la qualité de titulaires d’un bail en cours, sans solution de continuité.

A contrario, « toute mensualité […] restée impayée quinze jours après sa date d’exigibilité » entraîne plusieurs conséquences automatiques. La clause résolutoire « retrouve son plein effet », le solde de la dette devient « immédiatement exigible » et le bailleur peut faire procéder à l’expulsion après délivrance d’un commandement de quitter les lieux. Les locataires seront alors redevables d’une « indemnité mensuelle d’occupation provisionnelle ».

Ce mécanisme d’épée de Damoclès présente une double vertu. Il incite le débiteur à respecter scrupuleusement l’échéancier sous peine de perdre instantanément le bénéfice des délais. Il sécurise également le bailleur, qui dispose d’un titre exécutoire permettant une expulsion rapide en cas de défaillance, sans avoir à réintroduire une nouvelle instance.

La décision rejette la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile « afin de favoriser le règlement de l’impayé locatif ». Cette motivation révèle le souci d’équité du juge, qui évite d’alourdir la charge financière de locataires déjà fragilisés. L’économie générale de la décision témoigne ainsi d’un équilibre entre la reconnaissance des droits du bailleur créancier et la préservation des chances de maintien dans le logement des occupants de bonne foi.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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