Tribunal judiciaire de Val de Briey, le 19 juin 2025, n°23/00604

Le contentieux relatif à la vente de véhicules de loisirs constitue un terrain d’application privilégié des règles protectrices du consommateur. Le tribunal judiciaire de Val de Briey, par un jugement du 19 juin 2025, apporte une contribution significative à la définition des contours de l’obligation de délivrance conforme et de ses conséquences indemnitaires.

En l’espèce, deux particuliers avaient acquis le 24 septembre 2016 un camping-car neuf auprès d’un concessionnaire pour un prix de 61 618,66 euros, le véhicule ayant été fabriqué par une société tierce. Dès les premières utilisations, les acquéreurs ont signalé de multiples dysfonctionnements : éléments manquants, défauts de réglage, problèmes d’étanchéité de la douche et de la porte d’entrée. Malgré plusieurs interventions du vendeur dans le cadre des garanties légale et commerciale, les désordres ont persisté. Une expertise amiable organisée en décembre 2018 a constaté l’existence de défauts esthétiques et fonctionnels. De nouvelles infiltrations ont été signalées en décembre 2019, puis en 2020. Une expertise judiciaire ordonnée en référé a finalement permis, lors d’interventions réalisées en 2022, de remédier définitivement aux anomalies. Les acquéreurs ont alors assigné le vendeur et le fabricant aux fins d’indemnisation de leurs préjudices.

Le vendeur soutenait avoir respecté ses obligations en répondant aux sollicitations des acquéreurs et en assurant sa garantie. Il faisait valoir que les dysfonctionnements de camping-cars neufs ne sont pas rares après les premiers trajets et que le véhicule livré correspondait au véhicule commandé. Le fabricant, pour sa part, invoquait l’absence de vice rédhibitoire et de non-conformité contractuelle, ainsi qu’une clause excluant tout dédommagement lors de la mise en œuvre de la garantie.

La question posée au tribunal était double : d’une part, le vendeur et le fabricant avaient-ils manqué à leur obligation de délivrance conforme malgré les réparations effectuées dans le cadre de la garantie ? D’autre part, les acquéreurs pouvaient-ils prétendre à une indemnisation complémentaire nonobstant les stipulations contractuelles excluant tout dédommagement ?

Le tribunal a jugé que le camping-car n’était pas conforme aux spécifications du contrat, les dysfonctionnements constatés dès septembre 2017 ayant nécessité cinq années avant d’être définitivement résolus. Il a condamné solidairement le vendeur et le fabricant à indemniser les acquéreurs de leurs frais de déplacement à hauteur de 2 742 euros, du coût du test d’humidité pour 113 euros et de leur préjudice moral pour 1 000 euros chacun. Le fabricant a été condamné à garantir intégralement le vendeur de ces condamnations.

Cette décision mérite attention en ce qu’elle précise les conditions de mise en œuvre de l’obligation de délivrance conforme malgré l’exécution de la garantie (I), puis délimite l’étendue de l’indemnisation due aux acquéreurs lésés (II).

I. La caractérisation du manquement à l’obligation de délivrance conforme nonobstant l’exécution de la garantie

Le tribunal retient une conception extensive de la non-conformité qui ne s’efface pas par la seule mise en œuvre des garanties (A), tout en distinguant cette notion du vice caché (B).

A. L’autonomie de la non-conformité par rapport à l’exécution des garanties

Le tribunal rappelle les termes de l’article 1604 du code civil selon lequel « la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur ». Il en déduit que « le vendeur doit délivrer une chose conforme aux spécifications du contrat, conformité qui s’apprécie quantitativement et qualitativement par rapport à la chose commandée et en fonction de l’aptitude de la chose vendue à remplir l’usage auquel on la destine ».

L’originalité du raisonnement tient à ce que le tribunal considère le manquement constitué alors même que le vendeur a constamment répondu aux sollicitations des acquéreurs. La juridiction relève que « si le vendeur et le fabricant ont respecté leurs obligations de garantie, il convient de relever que le camping-car acquis en 2017 n’a été mis en conformité qu’en 2022, ce qui a occasionné […] un préjudice non réparé par cette mise en conformité ».

Cette analyse dissocie l’exécution de la garantie de la satisfaction de l’obligation de délivrance conforme. Le respect formel des engagements de garantie ne purge pas le manquement initial lorsque la mise en conformité effective intervient avec un retard significatif. Le tribunal rejette par ailleurs l’argument du vendeur selon lequel les retours en concession pour ajustements seraient inhérents à ce type de véhicule, observant qu’il « n’est nullement spécifié au contrat que des retours en concession seront nécessaires pour rendre le véhicule conforme à l’utilisation attendue ».

B. La distinction opérée entre non-conformité et impropriété à destination

Le tribunal prend soin de préciser le périmètre de la non-conformité retenue. Les deux experts avaient conclu que « les désordres ne sont pas de nature à rendre le véhicule impropre à l’usage auquel il est destiné ». La juridiction interprète ces conclusions comme excluant « tout vice caché, et non le fait que le véhicule ne répondait pas à l’usage conforme auquel il devait répondre ».

Cette distinction revêt une importance pratique considérable. Le vice caché suppose, aux termes de l’article 1641 du code civil, un défaut rendant la chose impropre à l’usage auquel on la destine ou diminuant tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise. La non-conformité, elle, peut résulter de défauts moindres dès lors que la chose livrée ne correspond pas aux spécifications contractuelles ou aux qualités légitimement attendues.

Le tribunal caractérise ainsi la non-conformité par référence aux articles L217-4 et L217-5 du code de la consommation, dans leur version applicable, qui définissent le bien conforme comme celui « propre à l’usage habituellement attendu d’un bien semblable » et présentant « les qualités qu’un acheteur peut légitimement attendre ». Les dysfonctionnements relevés, consistant notamment en des « parois de douche » s’ouvrant pendant le roulage ou des « éléments meublants » émettant « des bruits stridents », suffisent à caractériser le défaut de conformité sans qu’il soit nécessaire d’établir une impropriété à destination.

II. La délimitation de l’indemnisation consécutive au manquement

Le tribunal écarte la clause limitative de responsabilité invoquée par les professionnels (A) et procède à une appréciation circonstanciée des différents chefs de préjudice (B).

A. L’inefficacité de la clause excluant tout dédommagement

Le vendeur et le fabricant opposaient aux demandeurs une clause du certificat de garantie constructeur stipulant que « les frais de transport aller-retour ou autres frais engendrés directement ou indirectement pour cela ne feront l’objet d’aucun dédommagement ». Le tribunal procède à une interprétation neutralisante de cette stipulation.

La juridiction rappelle d’abord l’article L212-1 du code de la consommation prohibant les clauses créant « au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ». Elle énonce ensuite que « la garantie de conformité ne prive pas l’acheteur du droit d’exercer toute action de nature contractuelle qui lui est reconnue par la loi », en application de l’article 1231-1 du code civil.

Le tribunal retient une lecture restrictive de la clause litigieuse : « elle doit être comprise comme excluant tout dédommagement à l’occasion de la mise en conformité immédiate de la chose vendue, ce qui n’est pas le cas d’espèce ». L’interprétation sauve ainsi la clause d’une qualification de clause abusive, mais en limite la portée aux hypothèses de mise en conformité diligente. Le délai de cinq années écoulé entre l’achat et la résolution définitive des désordres exclut le jeu de cette stipulation.

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence favorable aux consommateurs qui refuse de priver d’effet utile les actions indemnitaires lorsque l’exécution des garanties s’avère anormalement longue.

B. L’appréciation différenciée des postes de préjudice

Le tribunal opère un tri rigoureux entre les demandes indemnitaires. Il accueille la réclamation relative aux frais de déplacement, calculés sur la base d’un kilométrage non contesté et d’un barème forfaitaire moyen de 0,626 euro, soit 2 742 euros pour 4 380 kilomètres parcourus.

La juridiction admet également le remboursement du test de contrôle d’humidité (113 euros) dont la nécessité avait été « préconisée dans le rapport d’expertise amiable contradictoire ». En revanche, elle rejette les demandes relatives à la facture d’entretien, qualifiée de « dépenses d’entretien sans lien avec les défauts de conformité », au remplacement de l’afficheur dont la nécessité ne résultait d’aucun rapport d’expertise, et à la facture d’hébergement faute de lien établi avec l’immobilisation du véhicule.

L’analyse du préjudice moral retient particulièrement l’attention. Le tribunal réfute la conception restrictive des défendeurs selon laquelle ce préjudice « se limite […] à une atteinte à l’honneur ou l’affection ». Il affirme que cette catégorie « recouvre tous les préjudices non matériels, des souffrances psychologiques aux troubles dans la vie quotidienne ». La juridiction caractérise le dommage par référence au fait que le véhicule « n’a, durant ces années, pas rempli son office d’objet de loisir à destination d’une famille qui a eu à composer avec des désagréments nombreux lors de ses déplacements ».

L’indemnisation de 1 000 euros allouée à chacun des acquéreurs traduit une appréciation modérée mais effective de ce chef de préjudice, distinct du trouble de jouissance stricto sensu puisque les demandeurs n’ont pas été privés de l’usage du véhicule. Le tribunal condamne enfin le fabricant à garantir intégralement le vendeur, sur le fondement de l’article L217-31 du code de la consommation autorisant l’action récursive, les défauts étant « imputables au fabricant et non à son concessionnaire ».

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture