Tribunal judiciaire de Valence, le 19 juin 2025, n°23/01646

La garantie décennale protège le maître de l’ouvrage contre les désordres compromettant la solidité de la construction ou la rendant impropre à sa destination. L’assurance dommages-ouvrage, obligation légale depuis la loi du 4 janvier 1978, permet une indemnisation rapide en dehors de toute recherche de responsabilité. La question de l’étendue de cette garantie, notamment pour les dommages immatériels consécutifs, demeure une source de contentieux récurrent.

Le tribunal judiciaire de Valence, par un jugement du 19 juin 2025, apporte des précisions sur l’articulation entre garantie obligatoire et garantie complémentaire facultative dans le cadre de l’assurance dommages-ouvrage.

Une société civile immobilière a fait édifier un ensemble immobilier résidentiel à Montélimar, avec une déclaration d’ouverture de chantier déposée le 19 mai 2008. Le promoteur a souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès d’un assureur. Un particulier a acquis une maison d’habitation par dation en paiement. La réception des travaux est intervenue le 30 octobre 2009, avec des réserves sans lien avec le litige ultérieur.

Le 21 octobre 2016, le propriétaire a déclaré un sinistre relatif à des infiltrations d’eau affectant les murs du hall d’entrée, la buanderie et le garage. L’assureur a refusé de prendre en charge le sinistre. Une expertise judiciaire a été ordonnée par le juge des référés le 7 février 2018. L’expert a déposé son rapport définitif le 12 décembre 2021, constatant des infiltrations provenant d’un défaut d’exécution de la toiture, compromettant la destination de l’ouvrage en raison de développements fongiques présentant un risque sanitaire et de risques de chute d’éléments du plafond.

Le propriétaire a assigné l’assureur dommages-ouvrage devant le tribunal judiciaire de Valence. Il demandait la condamnation de l’assureur au paiement de 10 500 euros pour la reprise de la toiture, 15 000 euros pour le préjudice de jouissance et 5 000 euros pour le préjudice moral. L’assureur contestait sa garantie pour les préjudices de jouissance et moral, arguant que la garantie complémentaire ne couvrait que les préjudices pécuniaires.

La question posée au tribunal était de déterminer si le préjudice de jouissance résultant de l’impossibilité d’utiliser normalement une partie de l’habitation constituait un dommage immatériel garanti au sens de la police d’assurance dommages-ouvrage.

Le tribunal a condamné l’assureur à payer 10 505 euros au titre des dommages matériels et 14 000 euros au titre des dommages immatériels, après déduction de la franchise contractuelle. Il a débouté le propriétaire de sa demande au titre du préjudice moral.

Le jugement présente un intérêt à double titre. Il confirme la mise en oeuvre classique de la garantie dommages-ouvrage pour les désordres décennaux (I). Il précise également les contours de la garantie complémentaire facultative couvrant les dommages immatériels (II).

I. La mise en oeuvre de la garantie dommages-ouvrage pour les désordres décennaux

Le tribunal procède à une application rigoureuse des conditions de la garantie décennale (A), avant de caractériser l’obligation de garantie de l’assureur dommages-ouvrage (B).

A. L’application des conditions de la garantie décennale

Le tribunal rappelle le fondement légal de l’assurance dommages-ouvrage en visant l’article L. 242-1 du Code des assurances. Cette disposition impose à « toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de construction » de souscrire cette assurance avant l’ouverture du chantier. La garantie couvre « le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1 ».

Le tribunal vérifie méthodiquement les conditions d’application. Les désordres doivent être de nature décennale, c’est-à-dire compromettre la solidité de l’ouvrage ou le rendre impropre à sa destination. L’expert judiciaire a constaté que « les désordres compromettent la destination de l’ouvrage car les développements fongiques présentent un risque sanitaire » et que « le plafond du garage chute par morceaux ». Il a précisé qu’un « risque de chute d’éléments sur les personnes existe ».

Les désordres doivent également être apparus après la réception et ne pas avoir été réservés. Le jugement relève que « les désordres décrits par M. [M] n’étaient pas apparents pour des profanes lors de la réception, n’ont fait l’objet d’aucune réserve et rendent l’ouvrage impropre à sa destination ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation relative au caractère non apparent des désordres, apprécié selon les connaissances d’un maître d’ouvrage profane.

L’origine des désordres a été identifiée par l’expert comme résultant d’un « défaut d’exécution » lié au mauvais positionnement de l’écran sous toiture et au sous-dimensionnement de la noue. Cette qualification permet d’imputer la responsabilité aux constructeurs au sens de l’article 1792-1 du Code civil.

B. L’obligation de garantie de l’assureur dommages-ouvrage

Le tribunal caractérise l’obligation de l’assureur en rappelant qu’il « est tenu, en sa qualité d’assureur dommages-ouvrage et en application des dispositions de l’article L.242-1 du Code des assurances (…) de garantir, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de nature décennale ».

Cette formulation souligne la spécificité de l’assurance dommages-ouvrage. Il s’agit d’une assurance de choses et non de responsabilité. L’assuré n’a pas à démontrer la faute d’un constructeur pour obtenir l’indemnisation. Le mécanisme vise à accélérer la réparation des dommages, l’assureur disposant ensuite d’un recours subrogatoire contre les responsables et leurs assureurs.

Le tribunal condamne l’assureur au paiement de 10 505 euros, correspondant au montant des travaux de reprise évalués par l’expert. Il note l’absence de contestation de l’assureur sur cette évaluation, les travaux ayant été « décrits de façon précise et détaillée en page 51 » du rapport d’expertise. Cette acceptation tacite du quantum par l’assureur simplifie la tâche du juge, qui n’a pas à trancher de difficulté relative à l’évaluation du préjudice matériel.

La garantie dommages-ouvrage ayant vocation à couvrir les dommages matériels de nature décennale, se pose la question de l’indemnisation des préjudices immatériels consécutifs.

II. L’étendue de la garantie complémentaire facultative pour les dommages immatériels

Le tribunal distingue le préjudice de jouissance, couvert par la garantie complémentaire (A), du préjudice moral, exclu de cette garantie (B).

A. L’admission du préjudice de jouissance comme dommage immatériel garanti

La police d’assurance prévoyait, en complément de la garantie obligatoire, « une garantie complémentaire couvrant les dommages immatériels subis par le propriétaire de la construction, résultant directement d’un dommage matériel garanti ». Ces dommages étaient définis comme « tout préjudice pécuniaire résultant de la privation d’un droit, de l’interruption d’un service rendu par un immeuble, à l’exclusion de tout préjudice dérivant d’un accident corporel ».

Le tribunal analyse le préjudice de jouissance au regard de cette définition contractuelle. Il retient que « le préjudice de jouissance ainsi décrit, consistant en l’impossibilité d’utiliser, dans des conditions normales de sécurité et de confort, le garage de la maison, correspond à une privation partielle de l’exercice du droit de propriété, laquelle se résout en dommages et intérêts ». Cette qualification permet de rattacher le trouble de jouissance à la notion de « privation d’un droit » visée par le contrat.

Cette analyse s’inscrit dans une conception large du préjudice pécuniaire. La privation de jouissance d’un bien immobilier, même sans perte financière directement quantifiable, peut être évaluée par référence à une valeur locative. L’expert avait proposé un calcul précis : « valeur locative de 1 500 €/mois pour une maison de 140 m², comprenant un garage de 49 m² ; préjudice de jouissance évalué à 1 500 x 49/140 = 525 € x 50 % (coefficient de réduction tenant compte de la nature de la pièce affectée) = 262,50 €/mois, somme arrondie à 250 €/mois x 60 mois = 15 000 € ».

Le tribunal applique la franchise contractuelle de 1 000 euros prévue aux conditions particulières. Il rappelle à juste titre que « si la franchise contractuelle ne peut pas être opposée au tiers lésé en matière d’assurance obligatoire, elle peut être invoquée par l’assureur pour les dommages immatériels couverts par la garantie complémentaire ». Cette distinction résulte de l’article L. 112-6 du Code des assurances et de la jurisprudence de la Cour de cassation.

B. L’exclusion du préjudice moral de la garantie complémentaire

Le tribunal rejette la demande d’indemnisation du préjudice moral formulée à hauteur de 5 000 euros. Il juge que « le préjudice moral dont M. [F] sollicite l’indemnisation ne constitue pas un préjudice pécuniaire résultant de la privation d’un droit, au sens des dispositions contractuelles ».

Cette solution se justifie par l’interprétation stricte des clauses contractuelles définissant l’étendue de la garantie. Le préjudice moral, par nature extrapatrimonial, ne répond pas à la définition du dommage immatériel retenue par la police, laquelle vise expressément un « préjudice pécuniaire ». La distinction entre préjudice patrimonial et extrapatrimonial, classique en droit de la responsabilité civile, trouve ici une application concrète en matière d’assurance.

Le tribunal ajoute qu’« en tout état de cause, le préjudice invoqué par le demandeur, en lien avec la complexité, les contraintes et la longueur de la procédure, est pris en compte lors de l’application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ». Cette précision permet de ne pas laisser le préjudice moral entièrement sans compensation, tout en respectant les limites de la garantie d’assurance.

La condamnation de l’assureur au paiement de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles témoigne de la prise en considération des difficultés subies par le propriétaire. Ce montant, significatif, excède la simple compensation des frais d’avocat et intègre une dimension indemnitaire du préjudice moral lié aux aléas procéduraux.

Ce jugement illustre la complémentarité entre garantie obligatoire et garantie facultative dans le régime de l’assurance dommages-ouvrage. Il rappelle que l’étendue de la garantie complémentaire dépend des stipulations contractuelles, interprétées strictement s’agissant des exclusions. La portée de cette décision demeure limitée aux circonstances de l’espèce et aux clauses de la police concernée, chaque contrat pouvant prévoir des définitions différentes du dommage immatériel garanti.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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