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Le carrelage, élément du quotidien dont la banalité dissimule parfois des enjeux juridiques considérables, suscite un contentieux récurrent en matière de construction. La qualification du désordre affectant un revêtement de sol conditionne le régime de responsabilité applicable et, partant, les possibilités d’indemnisation du maître de l’ouvrage. Le tribunal judiciaire de Valenciennes, par un jugement du 19 juin 2025, apporte une contribution significative à cette problématique.
En l’espèce, des propriétaires d’un appartement avaient confié en 2013 à une société de promotion immobilière des travaux de réunion de deux logements, comprenant notamment la dépose d’un parquet existant et la fourniture et pose d’un nouveau carrelage dans la cuisine. Une facture de 47 650 euros avait été émise le 3 avril 2014. En début d’année 2020, les propriétaires ont constaté des désordres affectant le carrelage, consistant en un décollement et un désaffleure de certains carreaux. Le sinistre a été déclaré auprès de l’assureur en responsabilité civile décennale de l’entreprise. Une expertise amiable a été diligentée, révélant que les carreaux se déformaient sous le poids des usagers et qu’un désaffleure quasi-total affectait trois carreaux au droit de l’évier. L’expert a estimé le coût de réfection à 8 500 euros et identifié une malfaçon de réalisation, due soit à une insuffisance d’encollage, soit à une pose sur un support insuffisamment sec. L’assureur a refusé sa garantie au motif que l’activité de revêtements de sols durs ne figurait pas parmi les métiers déclarés par l’assuré.
Les propriétaires ont assigné la société de travaux et son président devant le tribunal judiciaire, sollicitant la mise en œuvre de la garantie décennale et la condamnation in solidum des défendeurs à réparer leur préjudice. La société ayant été placée en liquidation judiciaire, le liquidateur a été attrait à la cause mais n’a pas constitué avocat. Le président de la société a contesté l’application de la garantie décennale, soutenant que les désordres relevaient exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun.
La question posée au tribunal était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si les désordres affectant un carrelage collé relèvent de la garantie décennale des articles 1792 et suivants du code civil. Il convenait ensuite d’établir si le défaut d’assurance décennale pour l’activité de pose de carrelage engage la responsabilité personnelle du dirigeant de l’entreprise.
Le tribunal judiciaire de Valenciennes a débouté les propriétaires de l’ensemble de leurs demandes. Il a jugé que les désordres affectant un carrelage collé, élément dissociable non destiné à fonctionner, relèvent exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun et non de la garantie décennale. Il a considéré que la responsabilité personnelle du dirigeant ne pouvait être engagée dès lors que le sinistre ne relevait pas de l’assurance obligatoire des constructeurs.
Cette décision invite à examiner successivement la qualification du carrelage au regard du régime de la garantie décennale (I), puis les conséquences de cette qualification sur la responsabilité du dirigeant pour défaut d’assurance (II).
I. L’exclusion du carrelage collé du champ de la garantie décennale
Le tribunal procède à une analyse rigoureuse de la nature du désordre (A) avant d’en tirer les conséquences quant au régime de responsabilité applicable (B).
A. La qualification d’élément dissociable non destiné à fonctionner
Le tribunal rappelle le cadre légal applicable en visant les articles 1792 et 1792-2 du code civil. La garantie décennale couvre les dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination. Elle s’étend aux éléments d’équipement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert.
Le tribunal constate que « les désordres affectent le carrelage collé qui constitue un élément dissociable non destiné à fonctionner ». Cette qualification repose sur un double critère. Le carrelage n’est pas destiné à fonctionner, ce qui l’exclut de la garantie biennale de bon fonctionnement de l’article 1792-3 du code civil. Il est dissociable de l’ouvrage dès lors que sa dépose peut s’effectuer sans détérioration de la structure.
Le tribunal relève que « le carrelage ayant été posé sur la chape à l’aide d’une colle, il n’est donc pas nécessaire de démolir et de reconstruire la dalle ». Cette précision factuelle conditionne la qualification juridique. Le mode de fixation par encollage, par opposition au scellement, permet une dépose sans atteinte à la structure porteuse. Le tribunal ajoute qu’« aucune pièce ne démontre par ailleurs que ce carrelage assurait une fonction en termes d’isolation thermique ou phonique de la structure ou encore d’étanchéité de la structure ». L’absence de fonction technique spécifique renforce l’exclusion du champ décennal.
B. Le cantonnement à la responsabilité contractuelle de droit commun
De cette qualification découle le régime de responsabilité applicable. Le tribunal énonce que « les désordres, quel que soit leur degré de gravité, affectant un élément non destiné à fonctionner, adjoint à l’existant, relèvent exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur ». Cette formulation mérite attention. Elle signifie que la gravité du désordre, fut-elle avérée comme en l’espèce avec des carreaux se déformant sous le poids et présentant un caractère dangereux selon l’expert, demeure indifférente à la qualification.
Le tribunal précise également que « la prestation réalisée par la société relative à la pose du carrelage ne peut s’analyser en une construction d’ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil ». La pose d’un revêtement de sol ne constitue pas en soi un ouvrage au sens décennal. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence établie de la Cour de cassation qui distingue les travaux de construction proprement dits des travaux d’équipement ou d’amélioration.
La conséquence procédurale est immédiate. Les demandeurs ayant fondé leur action sur la seule garantie décennale sont déboutés de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de la société. Le tribunal souligne qu’ils « fondent leur action au titre de la seule garantie décennale ». Cette motivation révèle l’importance du choix du fondement juridique. Une action fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun aurait pu prospérer, sous réserve de la procédure collective.
II. L’absence de responsabilité personnelle du dirigeant pour défaut d’assurance
Le tribunal examine la responsabilité du dirigeant au titre du défaut d’assurance (A) avant de constater l’inapplicabilité de ce fondement en l’espèce (B).
A. Le rappel du principe de responsabilité pour défaut d’assurance décennale
Le tribunal rappelle les textes applicables. L’article L. 241-1 du code des assurances impose à toute personne dont la responsabilité décennale peut être engagée de souscrire une assurance. L’article 1240 du code civil fonde la responsabilité délictuelle pour faute. Le tribunal énonce que « lorsque le constructeur est une société, le défaut d’assurance obligatoire engage la responsabilité personnelle de son gérant ». Il précise que « le gérant d’une société de construction qui ne souscrit pas d’assurance décennale commet une faute intentionnelle constitutive d’une infraction pénale et séparable de ses fonctions ».
Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation. Le défaut d’assurance décennale constitue une faute séparable des fonctions sociales, permettant d’engager la responsabilité personnelle du dirigeant à l’égard des tiers. Cette solution se justifie par le caractère d’ordre public de l’obligation d’assurance et par la volonté de protéger les maîtres d’ouvrage contre l’insolvabilité des constructeurs.
Le tribunal constate que « si la société était assurée au titre de la garantie décennale, elle ne l’était donc pas pour l’activité revêtements de sols durs dans le cadre de la police d’assurance ». Cette situation correspond à un défaut partiel de couverture, l’activité effectivement exercée n’étant pas déclarée auprès de l’assureur.
B. L’inapplicabilité du fondement au sinistre considéré
Le tribunal tire les conséquences de sa qualification préalable du désordre. Il énonce que « si le défaut manifeste de souscription d’une assurance décennale constitue une faute pour le dirigeant de l’entreprise de travaux et prive le maître de l’ouvrage de l’indemnité d’assurance, il est établi que le sinistre relatif au carrelage ne relève pas de la garantie décennale ». Le raisonnement est logique. L’obligation d’assurance de l’article L. 241-1 du code des assurances ne vise que les travaux relevant de la responsabilité décennale. Un sinistre exclu du champ décennal n’entre pas dans le domaine de l’assurance obligatoire.
Le tribunal conclut que « la responsabilité de droit commun n’étant pas soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs, les dispositions de l’article précité L. 241-1 du code des assurances ne s’appliquent pas en l’espèce ». Cette solution, techniquement rigoureuse, peut sembler sévère pour les demandeurs. Ceux-ci se trouvent privés de tout recours effectif. La société est en liquidation judiciaire. Le dirigeant ne peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement du défaut d’assurance. La responsabilité contractuelle de droit commun aurait dû être invoquée, mais elle ne lie que la société et non son dirigeant.
Cette décision illustre les limites du système de protection des maîtres d’ouvrage. Le champ de l’assurance obligatoire épouse celui de la garantie décennale. Les travaux exclus de cette garantie laissent le maître d’ouvrage exposé au risque d’insolvabilité de l’entreprise. La qualification du désordre devient ainsi déterminante, non seulement pour le régime de responsabilité, mais également pour l’effectivité de l’indemnisation.