Tribunal judiciaire de Vannes, le 16 juin 2025, n°23/00750

L’accident du travail bénéficie d’un régime protecteur dont les contours font l’objet d’une vigilance constante des juridictions. La présomption d’imputabilité qui s’attache aux lésions survenues dans ce cadre constitue une garantie essentielle pour le salarié victime, mais elle n’est pas irréfragable. L’employeur conserve la faculté de la combattre en apportant la preuve contraire.

Le jugement rendu par le Pôle social du Tribunal judiciaire de Vannes le 16 juin 2025 illustre cette dialectique entre protection du salarié et droit de l’employeur à contester l’étendue de la prise en charge. Une société employeur contestait l’opposabilité des arrêts de travail prescrits à l’une de ses salariées à la suite d’un accident du travail survenu le 10 juin 2022. Cet accident avait occasionné un traumatisme de la main gauche, caractérisé par des plaies profondes et un hématome intra-articulaire. La salariée avait bénéficié d’arrêts de travail pendant cent cinquante-six jours avant consolidation.

L’employeur avait saisi la commission médicale de recours amiable de la caisse primaire d’assurance maladie, laquelle avait implicitement rejeté sa demande. La société avait alors formé un recours devant le Pôle social du Tribunal judiciaire de Vannes, sollicitant à titre principal l’inopposabilité des arrêts de travail non justifiés et, subsidiairement, une expertise médicale judiciaire. La caisse demandait le rejet de l’ensemble des prétentions de l’employeur et la confirmation de l’opposabilité des soins et arrêts prescrits.

La question posée au tribunal était de déterminer si la présomption d’imputabilité des arrêts de travail à l’accident initial pouvait être remise en cause lorsque l’employeur produit des éléments médicaux suggérant une disproportion entre la lésion constatée et la durée de l’incapacité retenue.

Le Pôle social a ordonné une expertise médicale judiciaire aux frais avancés de l’employeur, estimant que la discordance entre la nature de la lésion initiale et la durée de la prise en charge justifiait cette mesure d’instruction.

Cette décision invite à examiner d’abord les conditions de mise en œuvre de la présomption d’imputabilité en matière d’accident du travail (I), avant d’analyser le recours à l’expertise judiciaire comme instrument de vérification de cette présomption (II).

I. La présomption d’imputabilité confrontée à la contestation de l’employeur

Le tribunal rappelle le mécanisme protecteur institué par le législateur (A), tout en admettant que l’employeur puisse légitimement interroger son application (B).

A. Le rappel du principe de présomption d’imputabilité

Le Pôle social fonde son raisonnement sur l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, qui définit l’accident du travail comme celui « survenu par le fait ou à l’occasion du travail ». Il en déduit qu’une lésion apparue dans ces circonstances bénéficie d’une présomption d’imputabilité. Le tribunal cite expressément la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment l’arrêt du 9 juillet 2020, selon lequel cette présomption « s’étend pendant toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime ».

Cette présomption constitue une facilité probatoire considérable pour le salarié. Elle dispense la victime de démontrer le lien de causalité entre chaque arrêt de travail et l’accident initial. La continuité des soins et des arrêts suffit à maintenir le bénéfice de la législation professionnelle. Le tribunal souligne que cette présomption perdure « dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d’accident du travail est assorti d’un arrêt de travail ».

La portée de ce mécanisme est considérable sur le plan financier. Les prestations versées au titre d’un accident du travail sont imputées sur le compte employeur et influent directement sur le taux de cotisation. L’enjeu dépasse donc la seule reconnaissance du caractère professionnel de l’accident pour englober l’ensemble des conséquences patrimoniales qui en découlent.

B. La légitimité de la contestation patronale

Le tribunal reconnaît que l’employeur « est fondé à se poser des questions et à demander la vérification des conséquences de cet accident ». Cette formulation traduit une conception équilibrée du contentieux de la sécurité sociale. La présomption d’imputabilité n’est pas absolue et l’employeur conserve le droit de la combattre.

Le rapport médical produit par l’employeur soulève plusieurs interrogations. Le médecin conseil de l’employeur relève que le certificat médical initial est « introuvable », que les certificats de prolongation sont « peu explicites » et qu’aucun examen de la salariée n’a été réalisé par le service médical de la caisse. Il estime que pour des lésions de cette nature, « l’évolution médicale attendue est une stabilisation fonctionnelle, voire une guérison, à échéance de 90 jours maximum ».

Le tribunal retient l’existence d’une « discordance entre la lésion initiale et la longueur de la prise en charge ». Des plaies de la main et un hématome intra-articulaire ont donné lieu à cent cinquante-six jours d’arrêt. Cette disproportion apparente justifie selon le juge que l’employeur, « amené à supporter financièrement les obligations découlant de l’accident du travail », puisse exiger des vérifications.

II. L’expertise judiciaire comme instrument de contrôle de l’imputabilité

Face à l’impossibilité de trancher le litige en l’état, le tribunal recourt à une mesure d’instruction (A) dont la mission encadre précisément l’objet de la vérification (B).

A. Le fondement du recours à l’expertise

Le Pôle social justifie sa décision par « la difficulté médicale se présentant ». Cette formulation reconnaît l’insuffisance des éléments produits pour permettre au juge de statuer sur le fond. L’expertise apparaît comme « le seul moyen permettant d’apprécier le bien fondé des décisions de la caisse ».

Le tribunal qualifie cette mesure d’« élément de preuve essentiel qui doit pouvoir être débattu par les parties ». Cette précision rappelle que l’expertise judiciaire, contrairement à l’avis unilatéral du médecin conseil de l’employeur, offre les garanties du contradictoire. L’expert devra convoquer le médecin conseil de la caisse et permettre à l’employeur de déléguer le médecin de son choix.

La décision met en lumière les carences du dossier médical constitué par la caisse. L’absence de certificat médical initial, le défaut d’examen de la salariée par le service médical et l’imprécision des certificats de prolongation constituent autant d’éléments qui fragilisent la position de l’organisme social. Le médecin conseil de l’employeur s’interroge d’ailleurs de manière explicite dans son rapport sur les conditions dans lesquelles la consolidation a été prononcée.

B. La délimitation de la mission expertale

La mission confiée à l’expert traduit les préoccupations du tribunal. L’expert devra déterminer « si les soins et arrêts de travail prescrits sont imputables à l’accident du travail » et, le cas échéant, « préciser jusqu’à quelle date les soins et arrêts sont imputables ». Cette formulation ouvre la possibilité d’une imputabilité partielle, certains arrêts pouvant être rattachés à l’accident tandis que d’autres en seraient détachés.

L’expert devra se faire communiquer « l’entier dossier » de la salariée détenu par le service médical. Cette injonction répond directement aux lacunes documentaires dénoncées par l’employeur. Le rapport médical produit mentionnait l’absence de nombreuses pièces, notamment le certificat médical initial et le certificat médical final. L’expertise permettra de reconstituer la chronologie médicale complète.

Le tribunal met à la charge de l’employeur l’avance des frais d’expertise, fixés à mille deux cents euros. Cette répartition est conforme au droit commun de l’expertise judiciaire. Elle traduit également le fait que c’est l’employeur qui conteste la présomption et sollicite la mesure d’instruction. La charge définitive des frais sera répartie lors du jugement au fond, en fonction de l’issue du litige.

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Hassan KOHEN
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