Tribunal judiciaire de Vannes, le 16 juin 2025, n°23/00791

Le pôle social du tribunal judiciaire de Vannes a rendu, le 16 juin 2025, un jugement illustrant les conséquences procédurales du défaut de comparution en matière de contentieux de la sécurité sociale. Cette décision mérite attention en ce qu’elle applique avec rigueur le principe d’oralité des débats à l’encontre de demandeurs absents.

Deux allocataires avaient saisi le pôle social afin de contester une décision de la caisse d’allocations familiales leur notifiant un indu de prestations sociales d’un montant de 18 351,91 euros. Le recouvrement de cette somme devait s’effectuer par retenues mensuelles sur leurs prestations. Les requérants bénéficiaient de l’aide juridictionnelle totale et étaient représentés par un avocat du barreau de Lyon.

L’affaire a été appelée une première fois à l’audience du 3 juin 2024, puis renvoyée au 18 novembre 2024 avec un calendrier de procédure, avant d’être finalement examinée le 24 mars 2025. À cette dernière date, les demandeurs n’ont pas comparu et n’étaient pas représentés, leur conseil étant « absent et non substitué ». Ils n’avaient formé aucune demande de dispense de comparution ni sollicité de renvoi. La caisse défenderesse était, quant à elle, régulièrement représentée et concluait au rejet des recours.

Le tribunal devait déterminer si, en l’absence des demandeurs et de tout moyen soutenu à l’appui de leurs recours, il pouvait examiner le bien-fondé de leur contestation ou s’il devait rejeter leurs demandes.

Le pôle social a rejeté les recours des demandeurs. Il a retenu que « la procédure applicable au contentieux de la sécurité sociale est, conformément à l’article R. 142-10-4, une procédure orale » et que « si le demandeur n’est ni comparant, ni représenté devant le pôle social du tribunal judiciaire, celui-ci n’est saisi d’aucun moyen à l’appui du recours ». Les demandeurs ont été condamnés aux dépens.

Cette décision appelle un commentaire articulé autour de la spécificité de la procédure orale en matière sociale (I) et des implications pratiques de l’absence à l’audience (II).

I. La réaffirmation du principe d’oralité en contentieux de la sécurité sociale

A. Le fondement textuel de l’oralité des débats

Le tribunal fonde expressément sa décision sur l’article R. 142-10-4 du code de la sécurité sociale. Ce texte consacre le caractère oral de la procédure devant les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale. Cette oralité constitue un trait distinctif de la procédure sociale, héritée de la volonté historique de rendre la justice accessible aux assurés sociaux sans formalisme excessif.

Le principe d’oralité implique que les prétentions et moyens des parties doivent être présentés verbalement à l’audience. Les conclusions écrites déposées avant l’audience ne saisissent pas valablement le juge si elles ne sont pas soutenues oralement. Cette règle distingue la procédure sociale de la procédure civile de droit commun devant le tribunal judiciaire, où les conclusions écrites lient le juge indépendamment de la comparution.

En l’espèce, le tribunal applique cette règle avec une parfaite orthodoxie procédurale. Il constate que les demandeurs n’étaient « ni présents, ni représentés » et en déduit qu’il « n’est saisi d’aucun moyen à l’appui du recours ». La formulation retenue est significative : le juge n’examine pas si les demandeurs avaient tort ou raison sur le fond, il constate simplement qu’aucune prétention n’est portée à sa connaissance.

B. L’impossibilité pour le juge de suppléer la carence des parties

La décision illustre une limite structurelle du principe d’oralité. Le juge du pôle social ne peut suppléer la carence des parties dans la présentation de leurs moyens. Même si des écritures avaient été déposées préalablement, leur absence de soutien oral les prive de toute efficacité procédurale.

Cette rigueur peut paraître sévère au regard des circonstances de l’espèce. Les demandeurs avaient obtenu l’aide juridictionnelle et disposaient d’un avocat. L’affaire avait été renvoyée à plusieurs reprises, leur laissant le temps d’organiser leur défense. L’absence de leur conseil, « non substitué », les a privés de toute représentation effective.

Le tribunal ne recherche pas les causes de cette absence. Il ne dispose d’ailleurs d’aucun pouvoir pour le faire. Le constat est purement objectif : personne n’est présent pour soutenir le recours, donc le recours est rejeté. Cette solution respecte le principe dispositif selon lequel le juge statue sur ce que les parties lui soumettent.

II. Les conséquences du défaut de comparution sur l’issue du litige

A. Le rejet du recours faute de moyens soutenus

La solution retenue par le tribunal est radicale : le recours est purement et simplement rejeté. Le juge ne prononce pas une irrecevabilité, qui supposerait un vice affectant l’acte introductif d’instance. Il ne constate pas non plus une caducité, qui sanctionnerait le défaut d’accomplissement d’une diligence dans un délai imparti.

Le rejet intervient au fond, mais pour un motif procédural. Le tribunal considère qu’en l’absence de moyens soutenus, il ne peut que constater l’échec de la contestation. Cette qualification emporte des conséquences importantes. Un jugement de rejet au fond est revêtu de l’autorité de la chose jugée. Les demandeurs ne pourront pas réintroduire la même action devant la même juridiction.

La décision précise que « tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le mois de la réception de la notification ». Les demandeurs conservent donc une voie de recours. Devant la cour d’appel, la procédure est également orale. Ils devront cette fois s’assurer d’une représentation effective pour présenter leurs moyens.

B. La portée pratique de la décision pour les justiciables du contentieux social

Cette décision rappelle aux justiciables du contentieux social une règle essentielle : la présence à l’audience est déterminante. L’oralité des débats n’est pas une simple formalité. Elle conditionne l’examen effectif du recours par le juge.

Les demandeurs en l’espèce contestaient un indu de plus de 18 000 euros. Leur absence à l’audience les prive de tout examen de leur contestation sur le fond. La caisse n’a pas eu à démontrer le bien-fondé de sa créance. Le tribunal n’a pas eu à vérifier si l’indu était régulièrement constitué, si les délais de prescription étaient respectés, ou si les retenues sur prestations étaient proportionnées.

Cette situation illustre un paradoxe de la procédure orale. Conçue pour faciliter l’accès au juge des personnes modestes, elle peut se retourner contre elles lorsqu’elles ne maîtrisent pas ses exigences. L’aide juridictionnelle accordée aux demandeurs aurait dû leur garantir une assistance effective. L’absence de leur avocat, pour des raisons que le jugement n’explicite pas, les a laissés démunis.

La jonction des deux affaires, ordonnée par le tribunal au visa de l’article 367 du code de procédure civile, ne modifie pas cette analyse. Elle traduit simplement le souci d’une bonne administration de la justice face à deux recours identiques formés par des personnes vivant à la même adresse et contestant le même indu.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture