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Par jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Vannes du 16 juin 2025, la juridiction retient la faute inexcusable de l’employeur à l’origine d’une maladie professionnelle. La salariée, employée comme pasteurisatrice, manipulait régulièrement des charges lourdes et travaillait à hauteur de sol malgré des restrictions médicales. À la suite d’un arrêt de travail fin 2017 puis d’une reprise avec préconisations précises du médecin du travail en mars 2018, l’état s’est aggravé et la maladie professionnelle a été reconnue début 2019.
La procédure a débuté devant le conseil de prud’hommes, qui a condamné l’employeur pour manquement à l’obligation de sécurité. La cour d’appel de Rennes, le 2 octobre 2024, a infirmé ce jugement et s’est déclarée incompétente au profit de la juridiction de sécurité sociale. Saisie, la juridiction sociale a été invitée à statuer sur la faute inexcusable, l’employeur concluant au rejet, la caisse s’en remettant à justice. La question posée tenait d’abord à la caractérisation de la faute inexcusable au regard de la conscience du danger et des mesures de prévention. Elle impliquait ensuite d’en déterminer les effets indemnitaires, notamment la majoration du capital et l’indemnisation de postes de préjudice non couverts par la rente. La décision retient la faute inexcusable, ordonne la majoration maximale, alloue une provision et prescrit une expertise.
I – La caractérisation de la faute inexcusable
A – La conscience du danger et le défaut de mesures adaptées
La juridiction rappelle la définition prétorienne de la faute inexcusable : « Le manquement à l’obligation légale de sécurité […] a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger […] et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. » Cette formule consacre une appréciation objective et rigoureuse du comportement attendu d’un employeur averti. Elle se double ici d’une précision utile : « La conscience du danger […] s’apprécie in abstracto par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d’activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations. » Le risque de manutentions lourdes était explicitement identifié lors de la reprise, avec limites chiffrées et recommandations techniques claires.
L’analyse factuelle établit que les préconisations médicales du 21 mars 2018 n’ont pas été effectivement mises en œuvre. Les écrits de la médecine du travail, les constats des représentants du personnel et les témoignages concordants décrivent des sacs de plus de 20 kilogrammes, des flexibles lourds manipulés au sol, et des positions en flexion-rotation répétées. L’employeur évoque des équipements existants, sans prouver des aménagements nouveaux, une organisation dédiée ni une formation spécifique adaptée au risque ciblé. La juridiction conclut, à bon droit, que la conscience du danger était acquise et que les mesures nécessaires n’ont pas été prises.
B – Le lien causal nécessaire et l’indifférence de la pluralité de causes
La juridiction se conforme à l’exigence minimale du lien causal en rappelant que « Il est indifférent que la faute inexcusable […] ait été l’origine déterminante […] il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire ». Cette règle neutralise les débats sur d’éventuels facteurs concurrents, y compris d’éventuelles imprudences de la victime, dès lors que la faute inexcusable a contribué au dommage. L’atteinte chronique du rachis, liée à la manutention manuelle de charges lourdes, s’inscrit dans cette logique causale nécessaire.
L’articulation du standard « in abstracto » avec le principe de causalité nécessaire renforce la cohérence du raisonnement. Le juge fonde sa conviction sur la concordance des éléments médicaux, organisationnels et testimoniaux, lesquels révèlent la persistance de gestes contraints et de charges inadaptées après la reprise. Ainsi, l’appréciation des deux critères cumulatifs – conscience du danger et absence de mesures – conduit naturellement à la reconnaissance de la faute inexcusable.
II – Les effets indemnitaires et l’office du juge social
A – Majoration du capital et mécanismes de prise en charge
La décision applique l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale et ordonne la majoration maximale du capital alloué. Le choix d’un plafond maximal est cohérent avec la gravité du manquement et l’insuffisance des mesures correctrices. L’office du juge s’exerce ensuite dans le cadre légal classique de la sécurité sociale : la caisse avance les sommes dues à la victime, puis exerce un recours intégral contre l’employeur fautif, y compris pour les frais d’expertise. Cette mécanique garantit la continuité de l’indemnisation tout en responsabilisant l’employeur au regard de sa carence préventive.
La décision ordonne l’exécution provisoire, mesure importante en contentieux social lorsque la situation économique et la nature des préjudices commandent la célérité. L’octroi d’une provision, calibrée à 3 000 euros, anticipe l’indemnisation définitive et traduit un équilibre prudent, fondé sur des éléments déjà convergents sans préjuger des évaluations médico-légales à venir.
B – Indemnisation des préjudices non couverts et expertise médico-légale
L’articulation entre rente et indemnisation complémentaire est précisée par une jurisprudence de principe : « La rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne réparant pas le déficit fonctionnel permanent », une réparation distincte peut être allouée. Cette affirmation ouvre, conformément à l’interprétation constitutionnelle de l’article L. 452-3, la voie à l’indemnisation de postes non couverts par le Livre IV. Le juge recense les chefs indemnisables pertinents, notamment le déficit fonctionnel temporaire, le déficit fonctionnel permanent, les souffrances, l’agrément, l’esthétique, le préjudice sexuel, et les frais d’aménagement.
L’expertise médicale ordonnée se voit confier une mission exhaustive, respectueuse des exigences méthodologiques de l’évaluation du dommage corporel. Elle doit documenter l’imputabilité, préciser les périodes de déficit fonctionnel, qualifier les douleurs et les troubles dans les conditions d’existence, et apprécier l’incidence professionnelle. Cette instruction, contradictoire et structurée, permettra d’arrêter les postes de préjudice en cohérence avec l’économie prétorienne qui distingue la rente des atteintes personnelles indemnisables.
La solution adoptée s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle stable, exigeante sur la prévention et structurée sur la réparation. Elle assure à la victime une protection effective, sans excéder le cadre légal ni les bornes posées par la jurisprudence de principe.