- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La protection du locataire en difficulté de paiement fait l’objet d’une attention particulière du législateur. L’articulation entre le droit au logement et le respect des obligations contractuelles soulève des questions essentielles en matière de bail d’habitation. Le jugement rendu par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Vannes le 19 juin 2025 illustre cette recherche d’équilibre.
En l’espèce, un office public de l’habitat a consenti un bail d’habitation à une locataire par acte sous seing privé à effet au 7 décembre 2022, portant sur un logement situé à Vannes. Le loyer mensuel révisable s’élevait à 286,69 euros, outre une provision sur charges de 64,80 euros. Des impayés se sont accumulés, conduisant le bailleur à adresser une mise en demeure le 26 avril 2024, restée sans réponse. Un constat d’échec de la conciliation amiable a été dressé le 25 mai 2024.
Par acte du 15 juillet 2024, l’office HLM a assigné la locataire devant le juge des contentieux de la protection aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire du bail, ordonner son expulsion et obtenir sa condamnation au paiement des loyers impayés. La défenderesse, bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale, a sollicité à titre principal le rejet des demandes, subsidiairement l’octroi de délais de paiement, et reconventionnellement la condamnation du bailleur à l’indemniser du préjudice résultant de l’état du logement.
La question posée au tribunal était de déterminer si les manquements du locataire à son obligation de paiement du loyer justifiaient la résiliation du bail, ou si les circonstances permettaient l’octroi de délais de paiement. Se posait également la question de la recevabilité de la demande reconventionnelle tendant à l’indemnisation de prétendus désordres.
Le juge des contentieux de la protection a déclaré l’action recevable, condamné la locataire au paiement de la somme de 2579,17 euros au titre des loyers impayés, et lui a accordé des délais de paiement de vingt-six mensualités. Il a prononcé une résiliation conditionnelle du bail en cas de non-respect de l’échéancier, et débouté la locataire de sa demande indemnitaire reconventionnelle.
Cette décision invite à examiner successivement le mécanisme de protection du locataire par l’octroi de délais de paiement conditionnant la résiliation du bail (I), puis le rejet de la demande reconventionnelle fondée sur de prétendus manquements du bailleur (II).
I. L’aménagement des délais de paiement comme alternative à la résiliation immédiate
Le juge fait application des dispositions légales encadrant strictement la demande en résiliation (A), avant de mettre en œuvre un mécanisme de résiliation conditionnelle préservant le droit au maintien dans les lieux (B).
A. Le contrôle rigoureux de la recevabilité de l’action en résiliation
Le tribunal procède à une vérification minutieuse des conditions de recevabilité posées par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989. Cette disposition impose aux bailleurs personnes morales de saisir la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives deux mois au moins avant toute assignation. Le juge relève que « la Caisse d’Allocations Familiales a été avisée par courrier de la situation d’impayés en date du 26 avril 2024, soit deux mois au moins avant la délivrance de l’assignation du 15 juillet 2024 ».
Ce formalisme protecteur vise à permettre l’intervention des dispositifs sociaux avant toute procédure contentieuse. La notification au représentant de l’État dans le département, exigée six semaines avant l’audience, a également été respectée. Le contrôle de ces conditions de recevabilité témoigne de la volonté du législateur de faire de l’expulsion une mesure de dernier recours.
L’office HLM satisfait ainsi aux exigences procédurales renforcées applicables aux bailleurs institutionnels. La distinction opérée par la loi entre bailleurs personnes physiques et personnes morales traduit une exigence accrue de prévention à l’égard des organismes disposant de moyens d’accompagnement social. Le tribunal ne fait que constater la conformité de la procédure aux prescriptions légales.
B. L’octroi de délais de paiement suspendant la résiliation
Le juge rappelle que « le paiement du loyer et des charges est une obligation essentielle du contrat de location ». L’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 impose en effet au locataire de payer le loyer aux termes convenus. Toutefois, le prononcé de la résiliation suppose que « le manquement apprécié à la date de l’audience soit considéré comme suffisamment grave ».
Le tribunal fait application de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 qui permet d’accorder des délais de paiement « dans la limite de trois années, par dérogation au délai prévu au premier alinéa de l’article 1343-5 du code civil ». Cette faculté dérogatoire au droit commun manifeste la spécificité du contentieux locatif. Le juge relève que « nonobstant l’absence de reprise du versement intégral du loyer, Morbihan Habitat s’est dit favorable à l’octroi de délais de paiement ».
L’accord du bailleur sur le principe des délais conduit le tribunal à autoriser un échelonnement sur vingt-six mensualités de cent euros. Cette solution préserve le maintien dans les lieux tout en assurant l’apurement progressif de la dette. La résiliation n’est prononcée que de manière conditionnelle, subordonnée au non-respect de l’échéancier. Le juge précise qu’à défaut de règlement, « sept jours après l’envoi d’une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception », la locataire sera déchue du bénéfice du terme.
II. Le rejet de la demande reconventionnelle pour défaut de preuve des manquements allégués
La défenderesse invoquait des manquements du bailleur à ses obligations pour solliciter une indemnisation. Le tribunal rejette ces prétentions tant au regard de l’absence de stipulation contractuelle relative à la sécurité (A) que de l’insuffisance des preuves rapportées concernant l’état du logement (B).
A. L’absence d’obligation contractuelle relative à la présence d’un gardien
La locataire reprochait au bailleur l’absence de gardien dans la résidence, mettant ce défaut en lien avec des intrusions et le forcement de sa porte. Le tribunal écarte cette argumentation en relevant qu’« il ne ressort pas des dispositions du bail que la question de la présence d’un gardien soit entrée dans le champ contractuel lors de la signature de celui-ci ».
Le juge ajoute que « la loi n’impose un bailleur social de prévoir un gardien dans chaque immeuble ». Cette précision rappelle que les obligations du bailleur se définissent par le contrat et par la loi. À défaut de stipulation expresse ou d’obligation légale, le bailleur ne saurait être tenu responsable de l’absence d’un service de gardiennage. L’office avait d’ailleurs fait valoir qu’aucune charge n’était facturée à la locataire à ce titre.
La demande reconventionnelle se heurtait ainsi à l’absence de fondement juridique. Le locataire ne peut exiger du bailleur des prestations qui n’ont pas été convenues. Les attentes légitimes en matière de sécurité doivent être distinguées des obligations contractuelles ou légales dont l’inexécution ouvre droit à réparation.
B. L’insuffisance probatoire concernant l’indécence alléguée du logement
La locataire invoquait également l’insalubrité de son logement, sans toutefois rapporter la preuve de ses allégations. Le tribunal relève qu’« il n’est pas justifié que Mme [D] se serait plainte auprès de son bailleur d’une quelconque indécence ou insalubrité de son logement avant ses conclusions du 22 janvier 2025 ». Cette absence de réclamation préalable affaiblit la crédibilité des griefs formulés.
Le juge souligne par ailleurs que « la seule attestation rédigée par les soins de son frère ne saurait suffire à établir le bien-fondé de ses prétentions, à défaut de tout constat objectif établi de manière contradictoire ». L’exigence d’un constat contradictoire découle des principes directeurs du procès civil. Une attestation émanant d’un proche ne présente pas les garanties d’objectivité requises pour établir l’état d’un logement.
La défenderesse avait indiqué ne pas avoir pu faire constater l’état des lieux par un commissaire de justice au motif que celui qu’elle avait sollicité comptait l’office HLM parmi ses clients. Cette explication n’a pas convaincu le tribunal. Le bailleur avait proposé un rendez-vous à domicile le 1er mars 2025 pour vérifier l’état du logement, rendez-vous que la locataire a décliné. Cette attitude a pu être interprétée comme peu compatible avec la volonté de démontrer les désordres allégués. La demande indemnitaire est donc rejetée faute de preuve suffisante.