Tribunal judiciaire de Versailles, le 13 juin 2025, n°24/00846

Le jugement rendu le 13 juin 2025 par le Tribunal judiciaire de Versailles illustre le contrôle rigoureux exercé par le juge des contentieux de la protection en matière de crédit à la consommation. En l’espèce, un établissement bancaire avait consenti un prêt personnel de 10 000 euros le 12 janvier 2023, remboursable en 72 mensualités au taux débiteur de 4 %. L’emprunteur ayant cessé de régler ses échéances, la banque lui a adressé une mise en demeure le 20 décembre 2023, puis l’a assigné le 7 novembre 2024 afin d’obtenir le remboursement de la somme de 10 606,23 euros majorée des intérêts conventionnels.

Le juge, après avoir constaté que la demande avait été formée dans le délai biennal de forclusion et que la déchéance du terme était régulièrement acquise, a soulevé d’office la question du respect par le prêteur de son obligation de vérification de la solvabilité. Il a relevé que l’établissement ne produisait qu’un avis d’imposition de 2021 et des bulletins de salaire de 2017 pour un contrat conclu en 2023. Cette insuffisance l’a conduit à prononcer la déchéance du droit aux intérêts et à limiter la condamnation au seul capital restant dû, soit 9 488,75 euros, avec intérêts au taux légal non majoré.

La question posée était donc de déterminer si un prêteur satisfait à son obligation de vérification de la solvabilité de l’emprunteur lorsqu’il ne produit que des justificatifs anciens de plusieurs années par rapport à la date de conclusion du contrat.

Le tribunal répond par la négative : le prêteur « ne justifie pas avoir vérifié la solvabilité de l’emprunteur au moyen d’un nombre suffisant d’informations » et encourt ainsi la sanction de la déchéance du droit aux intérêts.

Cette décision mérite examen tant au regard de l’exigence d’actualité des pièces justificatives dans le contrôle de solvabilité (I) que des conséquences étendues de la déchéance du droit aux intérêts (II).

I. L’exigence d’actualité des justificatifs dans le contrôle de solvabilité

Le tribunal consacre une conception exigeante de l’obligation de vérification imposée au prêteur (A), en s’inscrivant dans la continuité de la jurisprudence européenne (B).

A. Une obligation de vérification non satisfaite par des documents obsolètes

L’article L. 312-16 du code de la consommation impose au prêteur de vérifier la solvabilité de l’emprunteur « à partir d’un nombre suffisant d’informations ». Le tribunal relève que la banque avait certes recueilli une fiche de dialogue renseignée par l’emprunteur, mais n’avait produit qu’un avis d’imposition portant sur les revenus de 2021 et des bulletins de salaire de 2017.

Le juge considère que ces documents, antérieurs de deux ans pour l’avis d’imposition et de six ans pour les bulletins de paie, ne permettaient pas d’apprécier la situation financière réelle de l’emprunteur au moment de la conclusion du contrat en janvier 2023. La formule retenue est sans ambiguïté : le prêteur « ne justifie pas avoir vérifié la solvabilité de l’emprunteur au moyen d’un nombre suffisant d’informations, dès lors qu’il n’est produit qu’un avis d’impôt sur les revenus de l’année 2021 et des bulletins de paie de l’année 2017 ce alors que le contrat de prêt date du 12 janvier 2023 ».

Cette solution impose au prêteur non seulement de collecter des justificatifs, mais de s’assurer de leur pertinence temporelle. Un document périmé ne peut servir de fondement à une évaluation sérieuse de la capacité de remboursement.

B. La confirmation de l’insuffisance des déclarations non étayées

Le tribunal s’appuie expressément sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il cite l’arrêt du 18 décembre 2014 selon lequel « de simples déclarations non étayées faites par un consommateur ne peuvent, en elles-mêmes, être qualifiées de suffisantes si elles ne sont pas accompagnées de pièces justificatives ».

Cette référence à la décision européenne renforce l’exigence pesant sur les établissements de crédit. Le prêteur « ne doit pas s’arrêter aux seules déclarations de l’emprunteur mais effectuer ses propres vérifications ». La fiche de dialogue, si elle constitue un élément du dossier, ne dispense aucunement d’une collecte de pièces permettant de corroborer les informations déclarées.

Le juge ajoute que le prêteur doit « être ensuite en mesure de les produire devant la juridiction saisie de son action en paiement ». Cette précision rappelle que l’obligation de vérification s’accompagne d’une obligation de conservation et de production en justice des éléments ayant fondé l’appréciation de la solvabilité.

II. Les conséquences étendues de la déchéance du droit aux intérêts

La sanction prononcée affecte l’ensemble de la rémunération du prêteur (A) et fait obstacle à certains mécanismes favorables au créancier (B).

A. La limitation de la condamnation au seul capital

L’article L. 341-2 du code de la consommation prévoit que le prêteur qui méconnaît son obligation de vérification de la solvabilité est « déchu du droit aux intérêts ». Le tribunal applique cette sanction à compter de la date de conclusion du contrat et précise, conformément à l’article L. 341-8, que « l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu ».

Le calcul opéré par le juge aboutit à une créance de 9 488,75 euros, correspondant au capital emprunté de 10 000 euros diminué des versements effectués. Les intérêts perçus sont imputés sur le capital restant dû. La déchéance « s’étend également aux primes ou cotisations d’assurances » et « exclut la possibilité pour le prêteur d’obtenir le paiement de l’indemnité prévue par les articles L312-39 et D312-16 du code de la consommation ».

La banque, qui réclamait 10 606,23 euros avec intérêts au taux conventionnel de 4 %, se trouve ainsi privée de toute rémunération de son crédit.

B. L’exclusion de la majoration et de la capitalisation des intérêts

Le tribunal refuse d’appliquer la majoration du taux de l’intérêt légal prévue à l’article L. 313-3 du code monétaire et financier. Il fonde cette solution sur la nécessité d’« assurer l’effet utile de la directive 2008/48/CE, et ainsi le caractère effectif et dissuasif de la déchéance du droit aux intérêts », en visant l’arrêt de la Cour de justice du 27 mars 2014.

Cette exclusion de la majoration garantit que la sanction conserve son efficacité. Admettre que l’intérêt légal soit automatiquement majoré de cinq points reviendrait à atténuer considérablement les effets de la déchéance prononcée.

Le juge rejette par ailleurs la demande de capitalisation des intérêts en rappelant que l’article L. 312-38 du code de la consommation interdit de mettre à la charge de l’emprunteur défaillant des frais autres que ceux limitativement énumérés. Cette règle « fait obstacle à l’application de la capitalisation des intérêts selon le code civil ».

La décision du Tribunal judiciaire de Versailles du 13 juin 2025 s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel favorable à la protection de l’emprunteur. Elle rappelle aux établissements de crédit que l’obligation de vérification de la solvabilité ne constitue pas une simple formalité administrative mais une exigence substantielle dont le non-respect entraîne une sanction automatique et étendue.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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