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Le contentieux du crédit à la consommation offre un terrain d’observation privilégié des mécanismes protecteurs institués par le législateur au bénéfice de l’emprunteur. La forclusion biennale constitue l’un de ces instruments, dont l’application rigoureuse par les juridictions du fond illustre la volonté de contenir l’action des établissements de crédit dans des limites temporelles strictes.
Le Tribunal judiciaire de Versailles, statuant par jugement du 13 juin 2025, était saisi d’une demande en paiement formée par un établissement bancaire à l’encontre d’une emprunteuse défaillante. Un prêt personnel d’un montant de 7000 euros avait été consenti le 20 septembre 2020, remboursable en soixante mensualités au taux débiteur de 5,41%. À la suite d’impayés, le prêteur avait prononcé la déchéance du terme par mise en demeure du 6 septembre 2023 et assigné l’emprunteuse le 6 novembre 2024 aux fins de condamnation au paiement de la somme de 4076,82 euros outre intérêts.
Le juge des contentieux de la protection a soulevé d’office la question de la forclusion. L’établissement de crédit soutenait que le premier impayé non régularisé datait du mois d’avril 2023, ce qui aurait rendu son action recevable. L’emprunteuse, régulièrement assignée par procès-verbal de recherches infructueuses, ne comparaissait pas.
La question posée au tribunal était la suivante : à quelle date le premier incident de paiement non régularisé était-il intervenu, et l’action en paiement avait-elle été engagée dans le délai de forclusion de deux ans prévu par l’article R312-35 du Code de la consommation ?
Le tribunal déclare l’action irrecevable. Il constate que « le premier impayé non régularisé est intervenu au 4 novembre 2022 » et que « le délai de forclusion a expiré le 4 novembre 2024 à 23h59 ». L’assignation ayant été signifiée le 6 novembre 2024, soit deux jours après l’expiration du délai, l’action en paiement « n’a pas été formée dans le délai de deux ans ».
Cette décision met en lumière l’office du juge en matière de crédit à la consommation (I) ainsi que les conséquences rigoureuses attachées au mécanisme de la forclusion biennale (II).
I. L’office du juge en matière de crédit à la consommation
La décision illustre l’étendue des pouvoirs conférés au juge du contentieux de la protection (A) et la méthodologie d’identification du point de départ de la forclusion (B).
A. Le relevé d’office des moyens tirés du Code de la consommation
Le tribunal rappelle les fondements textuels de son intervention. Il vise l’article R632-1 du Code de la consommation selon lequel « le juge peut soulever d’office toutes les dispositions de ce code dans les litiges nés de son application ». Il mentionne également l’article L314-26 qui confère un caractère d’ordre public aux dispositions relatives au crédit à la consommation.
Cette faculté de relevé d’office revêt une importance particulière lorsque le défendeur ne comparaît pas. En l’espèce, l’emprunteuse n’était ni présente ni représentée. Le juge se trouvait dans l’obligation de vérifier la recevabilité et le bien-fondé de la demande conformément à l’article 472 du Code de procédure civile. Son contrôle ne pouvait se limiter aux moyens invoqués par le demandeur.
Le relevé d’office de la forclusion permet ainsi de pallier l’absence du défendeur et de garantir l’effectivité de la protection légale. Le caractère d’ordre public des dispositions du Code de la consommation justifie que le juge examine spontanément le respect des conditions de recevabilité de l’action, indépendamment des prétentions des parties.
B. La détermination du premier impayé non régularisé
Le tribunal procède à une analyse de l’historique de compte pour identifier le point de départ du délai de forclusion. L’article R312-35 du Code de la consommation prévoit que les actions en paiement « doivent être formées dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion ». Cet événement est défini comme « le premier incident de paiement non régularisé ».
La juridiction précise que le délai court « compte tenu des règles d’imputation des paiements énoncées par le code civil ». Cette référence aux règles d’imputation revêt une importance pratique considérable. Les paiements partiels effectués par l’emprunteur doivent être imputés sur les échéances les plus anciennes, conformément à l’article 1342-10 du Code civil. Cette règle peut différer la date du premier impayé non régularisé si les versements ultérieurs ont permis d’apurer les arriérés antérieurs.
En l’espèce, le tribunal constate que le premier impayé non régularisé remonte au 4 novembre 2022. L’établissement de crédit soutenait une date différente, située au mois d’avril 2023. Cette divergence d’appréciation illustre la difficulté d’identifier avec certitude le point de départ de la forclusion, laquelle suppose un examen attentif de l’ensemble des mouvements du compte.
II. Les conséquences de la forclusion biennale
Le dépassement du délai de forclusion entraîne l’irrecevabilité de l’action (A) et prive le créancier de tout droit au recouvrement judiciaire (B).
A. L’irrecevabilité de l’action en paiement
Le tribunal constate que « le délai de forclusion a expiré le 4 novembre 2024 à 23h59 » et que « l’assignation a été signifiée le 6 novembre 2024 ». Le dépassement du délai n’est que de deux jours, mais cette circonstance demeure sans incidence sur la solution. Le délai de forclusion s’applique avec une rigueur qui ne souffre aucun tempérament.
La forclusion se distingue de la prescription en ce qu’elle n’est susceptible ni de suspension ni d’interruption. Aucune mise en demeure, aucune reconnaissance de dette ne peut en différer le terme. Le prêteur dispose d’un délai fixe de deux ans à compter du premier impayé non régularisé pour agir en justice. Passé ce délai, son droit d’action est définitivement éteint.
La décision rappelle ainsi aux établissements de crédit la nécessité d’une vigilance particulière dans la gestion de leurs créances contentieuses. Le suivi rigoureux de l’historique des paiements et la computation précise des délais constituent des impératifs de bonne gestion auxquels aucune négligence n’est permise.
B. Les conséquences sur les demandes accessoires du créancier
Le tribunal tire les conséquences de l’irrecevabilité de la demande principale en condamnant le prêteur aux dépens et en le déboutant de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Cette solution s’inscrit dans la logique de l’article 696 du Code de procédure civile qui met les dépens à la charge de la partie perdante. Le créancier dont l’action est déclarée irrecevable supporte le coût de la procédure qu’il a engagée à tort.
La décision illustre les risques contentieux attachés à une gestion insuffisamment rigoureuse des créances. L’établissement de crédit perd non seulement le bénéfice de sa créance mais doit en outre assumer les frais de l’instance. La forclusion produit ainsi un effet radical qui sanctionne l’inertie du créancier et libère définitivement le débiteur de son obligation de remboursement.
Cette rigueur trouve sa justification dans la finalité protectrice du droit de la consommation. Le délai biennal contraint les établissements de crédit à agir promptement et évite que l’emprunteur défaillant demeure indéfiniment exposé à une action en paiement. La sécurité juridique commande que les situations litigieuses soient apurées dans un délai raisonnable.