Tribunal judiciaire de Versailles, le 13 juin 2025, n°25/00305

Le bail d’habitation constitue un instrument juridique dont l’équilibre repose sur le respect mutuel des obligations des parties. Le défaut de paiement des loyers demeure la cause principale des contentieux locatifs et conduit fréquemment le bailleur à solliciter la mise en œuvre de la clause résolutoire. La décision rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Versailles le 13 juin 2025 illustre cette problématique tout en mettant en lumière les mécanismes protecteurs dont bénéficie le locataire défaillant.

En l’espèce, une société bailleresse avait consenti un bail d’habitation le 1er juin 2021 portant sur un appartement moyennant un loyer mensuel de 564,45 euros outre 195 euros de provisions sur charges. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire le 21 mai 2024 pour un montant de 3 177,32 euros. Ce commandement étant demeuré partiellement infructueux dans le délai légal de deux mois, la société a saisi le juge des contentieux de la protection aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, ordonner l’expulsion des locataires et les condamner au paiement de l’arriéré locatif. À l’audience, le locataire présent a sollicité l’octroi de délais de paiement à hauteur de 100 euros supplémentaires par mois, faisant valoir des ressources mensuelles de 3 000 euros pour le couple et la charge d’un enfant de six ans. La locataire, quant à elle, régulièrement assignée à l’étude de l’huissier, n’a pas comparu.

La question posée au juge était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si les conditions d’acquisition de la clause résolutoire étaient réunies. Il convenait ensuite d’apprécier si la situation des locataires justifiait l’octroi de délais de paiement emportant suspension des effets de ladite clause.

Le juge des contentieux de la protection constate que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire sont réunies à la date du 21 juillet 2024 et prononce la résiliation du bail à compter du 22 juillet 2024. Il condamne solidairement les locataires au paiement de la somme de 3 011,67 euros au titre de l’arriéré locatif. Toutefois, il leur accorde un délai de trente-six mois pour s’acquitter de cette dette par mensualités de 83 euros et suspend les effets de la clause résolutoire pendant cette période. Le juge précise que si les délais sont intégralement respectés, la clause sera réputée n’avoir jamais été acquise. À défaut, l’expulsion pourra être ordonnée.

Cette décision mérite examen tant au regard du constat de l’acquisition de la clause résolutoire (I) qu’au titre de l’aménagement judiciaire de ses effets par l’octroi de délais de paiement (II).

I. Le constat de l’acquisition de la clause résolutoire

Le juge procède à une vérification rigoureuse des conditions de recevabilité de l’action (A) avant de constater la réunion des conditions de fond de la clause résolutoire (B).

A. La vérification des conditions procédurales préalables

L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 subordonne la recevabilité de l’action en constat de la clause résolutoire au respect de formalités impératives destinées à protéger le locataire. Le juge relève que « la RIVP justifie avoir saisi la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX) le 23 mai 2024, soit deux mois au moins avant la délivrance de l’assignation du 19 février 2025 ». Cette saisine préalable, imposée par l’article 24 II de la loi précitée, vise à favoriser une résolution amiable du litige et à identifier les situations de fragilité sociale nécessitant un accompagnement.

Le juge constate également que la notification de l’assignation au préfet a été effectuée le 20 février 2025, « soit au moins six semaines avant l’audience ». Cette formalité, prévue à l’article 24 III, permet à l’autorité administrative de prendre connaissance des procédures d’expulsion en cours sur son territoire et d’activer les dispositifs de prévention appropriés.

Le respect scrupuleux de ces conditions procédurales témoigne de la volonté du législateur de faire de l’expulsion locative une mesure de dernier recours. Le juge se fait le gardien de ces exigences formelles dont la méconnaissance entraîne l’irrecevabilité de la demande. En l’espèce, le bailleur ayant satisfait à l’ensemble des obligations préalables, l’action est déclarée recevable.

B. La réunion des conditions de fond de la clause résolutoire

L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 dispose que la clause résolutoire « ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux ». Le délai a été porté à deux mois par la loi du 27 juillet 2023. Le juge constate qu’« un commandement de payer visant la clause résolutoire et sommant de payer dans un délai de deux mois, a été signifié par commissaire de justice en date du 21 mai 2024 ».

La décision précise qu’« il ressort des pièces communiquées que les sommes dues dont le paiement était demandé n’ont pas été réglées dans le délai de deux mois ». Le juge en déduit que « les conditions d’acquisition de la clause résolutoire sont en principe réunies à l’expiration du délai de deux mois à compter du commandement de payer, soit, le 21 juillet 2024 à 24 heures ». La résiliation du bail est ainsi constatée à compter du 22 juillet 2024.

L’emploi de l’expression « en principe » révèle que le constat de l’acquisition de la clause résolutoire n’emporte pas nécessairement toutes ses conséquences. Le juge dispose en effet du pouvoir de neutraliser les effets de cette clause par l’octroi de délais de paiement.

II. L’aménagement judiciaire des effets de la clause résolutoire

Le juge exerce son pouvoir modérateur en accordant des délais de paiement (A), tout en organisant un dispositif conditionnel préservant les droits du bailleur (B).

A. L’octroi de délais de paiement suspensifs

L’article 24 V de la loi du 6 juillet 1989 confère au juge le pouvoir d’accorder des délais de paiement « dans la limite de trois années » au locataire « en situation de régler sa dette locative ». L’article 24 VII précise que « les effets de la clause de résiliation de plein droit peuvent être suspendus pendant le cours des délais ainsi accordés ».

Le juge relève que les locataires « justifient de leur situation personnelle et financière et sont donc en mesure de régler la dette locative ». Il constate qu’ils « ont repris le paiement intégral du loyer et des charges », condition sine qua non à l’octroi des délais. Le bailleur lui-même « n’est pas opposé à l’octroi de délais de paiement », ce qui facilite la solution retenue.

Le juge accorde trente-six mois, soit le maximum légal, pour apurer une dette de 3 011,67 euros par versements mensuels de 83 euros. Ce montant, inférieur à la proposition initiale du locataire qui offrait 100 euros, témoigne du souci du juge d’adapter l’échéancier aux capacités réelles de paiement du ménage. La décision précise que « si les délais accordés sont entièrement respectés, la clause résolutoire sera réputée n’avoir jamais été acquise ».

Cette fiction juridique constitue le cœur du mécanisme protecteur institué par le législateur. Elle permet au locataire défaillant de conserver son logement malgré l’acquisition formelle de la clause résolutoire, pourvu qu’il honore l’échéancier judiciaire.

B. L’organisation d’un dispositif conditionnel

La suspension des effets de la clause résolutoire n’est pas inconditionnelle. Le juge organise un mécanisme de reprise automatique en cas de défaillance. La décision énonce qu’« à défaut de paiement du loyer courant et des charges ou d’une seule mensualité à sa date d’échéance, l’échelonnement sera caduc, la totalité de la somme restant due deviendra immédiatement exigible, et la clause résolutoire reprendra ses effets ».

Cette reprise d’effet est toutefois subordonnée à l’envoi d’« une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée sans effet » pendant quinze jours. Le locataire bénéficie ainsi d’un ultime délai pour régulariser sa situation avant que l’expulsion ne devienne possible.

Le juge ordonne par anticipation l’expulsion en cas de défaillance, précisant qu’elle interviendra « dans un délai de deux mois à compter de la signification d’un commandement d’avoir à libérer les lieux ». Il fixe également l’indemnité d’occupation au montant du loyer qui aurait été dû si le bail s’était poursuivi.

Ce dispositif conditionnel réalise un équilibre entre la protection du locataire de bonne foi et la préservation des droits du bailleur créancier. La solidarité entre les locataires, rappelée par le juge au visa de la clause contractuelle, renforce l’effectivité du recouvrement. Le jugement constitue ainsi un titre exécutoire complet permettant au bailleur, en cas de défaillance ultérieure, de poursuivre l’expulsion sans nouvelle saisine du juge.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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