Tribunal judiciaire de Versailles, le 17 juin 2025, n°24/01660

Le contrat de construction de maison individuelle oppose fréquemment le maître d’ouvrage au constructeur sur la question du solde de 5 % du prix. Ce solde, consigné à la réception, demeure dû jusqu’à la levée intégrale des réserves. L’ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal judiciaire de Versailles le 17 juin 2025 illustre les difficultés probatoires qui peuvent surgir lorsque le constructeur sollicite le paiement de ce solde.

En l’espèce, un couple de particuliers avait confié à une société la construction de leur maison individuelle selon contrat signé le 21 octobre 2017. La réception de l’ouvrage est intervenue le 27 novembre 2020 avec émission de réserves et consignation de 5 % du prix total. Par protocole du 19 avril 2023, les parties auraient convenu de la levée intégrale des réserves et d’un échéancier de paiement du solde. Les maîtres d’ouvrage n’ayant pas respecté cet échéancier, le constructeur les a assignés en référé le 29 novembre 2024 afin d’obtenir une provision sur le solde du prix et les pénalités de retard.

Le constructeur soutenait que le protocole valait reconnaissance de dette et que l’obligation de paiement n’était pas sérieusement contestable au sens de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile. Les maîtres d’ouvrage s’y opposaient en invoquant l’absence de levée effective des réserves, un vice du consentement affectant le protocole et des incertitudes sur le montant réclamé.

La question posée au juge des référés était de savoir si l’obligation de paiement du solde du prix et des pénalités de retard, fondée sur un protocole transactionnel, présentait un caractère non sérieusement contestable permettant l’allocation d’une provision.

Le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de provision. Il a retenu l’existence de contestations sérieuses tant sur la levée effective des réserves que sur la validité du protocole et le quantum de la créance. Le constructeur a été condamné aux dépens et à verser 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

Cette décision invite à examiner successivement les conditions du référé-provision confrontées à la contestation de l’obligation (I), puis les limites du pouvoir juridictionnel du juge des référés face aux questions de fond (II).

I. Le référé-provision à l’épreuve de la contestation de l’obligation

Le juge des référés a constaté que la réalité de la levée des réserves demeurait incertaine (A), ce qui affectait directement l’exigibilité du solde du prix (B).

A. L’incertitude sur la levée effective des réserves

L’article R. 231-7 du code de la construction et de l’habitation subordonne le paiement du solde de 5 % à la levée des réserves. Le juge a relevé qu’aucun procès-verbal formel de levée n’avait été établi. Les maîtres d’ouvrage produisaient un échange de courriels du 30 août 2023, postérieur au protocole, dans lequel ils interrogeaient le constructeur sur « la levée des réserves qui reste à faire ». Le constructeur répondait être « toujours dans l’attente de réception de pièces ».

Cette correspondance émanant du demandeur lui-même « jette un doute sérieux sur l’affirmation selon laquelle l’intégralité des réserves aurait été levée » à la date du protocole. Le juge a ainsi considéré que les « mentions vagues et imprécises » du protocole, « notamment quant à la liste et la date des travaux prétendument réalisés », ne suffisaient pas à établir la levée intégrale des réserves.

La preuve de la levée des réserves incombe au constructeur qui réclame le solde. En l’absence de procès-verbal formel et face à des éléments contradictoires, le doute subsiste. Cette incertitude probatoire caractérise une contestation sérieuse au sens de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile.

B. L’exigibilité conditionnée du solde du prix

Le juge a rappelé que « la levée des réserves conditionne, tant selon l’article R. 231-7 du code de la construction et de l’habitation que selon les termes du protocole lui-même, l’exigibilité du solde de 5 % du prix ». Le régime protecteur du contrat de construction de maison individuelle impose cette condition au bénéfice du maître d’ouvrage.

Dès lors que la réalité de cette levée demeurait contestée, l’obligation de payer le solde ne pouvait être considérée comme acquise. Le juge en a déduit qu’il existait « une contestation sérieuse sur l’existence de l’obligation de payer ce solde » et que « cette contestation ne peut être tranchée par le juge des référés ».

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence classique du référé-provision. Le juge des référés ne dispose pas du pouvoir de trancher une difficulté portant sur le principe même de l’obligation. La condition de non-contestation sérieuse constitue la limite de sa compétence provisionnelle.

II. Les limites du pouvoir juridictionnel face aux questions de fond

Au-delà de l’exigibilité, le juge a relevé des contestations portant sur la validité du protocole (A) et sur le montant des sommes réclamées (B).

A. L’allégation de dol renvoyée au juge du fond

Les maîtres d’ouvrage soutenaient que leur consentement avait été vicié par dol. Ils invoquaient des pressions et des manœuvres du constructeur, notamment « le contournement de la procédure de procès-verbal formel de levée des réserves et la promesse de réaliser les travaux nécessaires après la signature de l’acte ».

Le juge a considéré que « l’appréciation d’un vice du consentement, tel que le dol, remet en cause la validité même de l’acte sur lequel la demande de provision est fondée et relève de la compétence exclusive du juge du fond, car elle nécessite une analyse approfondie des éléments de fait et de l’intention des parties ».

Il a ajouté que « la contradiction apparente entre la teneur du protocole et la réalité des faits, corroborée par l’échange d’emails, confèrent une crédibilité suffisante à cette allégation pour qu’elle ne puisse être écartée d’emblée par le juge des référés ». Cette formulation prudente traduit l’exigence de vraisemblance suffisante de la contestation, sans préjuger du fond.

L’allégation de dol, dès lors qu’elle n’apparaît pas manifestement vaine, suffit à caractériser une contestation sérieuse. Le juge des référés ne peut ni constater ni écarter un vice du consentement. Cette appréciation suppose une instruction complète et relève du juge du fond.

B. L’incertitude sur le quantum de la créance

Le constructeur réclamait 5 091,75 euros au titre du solde alors que le protocole mentionnait 7 891,75 euros. Le juge a relevé que « la partie demanderesse ne fournit pas d’éléments suffisamment clairs et précis pour justifier le calcul et les éventuelles réductions ou imputations ayant conduit au montant réclamé ».

Les maîtres d’ouvrage alléguaient par ailleurs avoir versé 2 750 euros. Cette divergence ajoutait « une incertitude sur le décompte final de la créance due ». Le juge en a conclu que « l’existence de divergences et l’imprécision quant au montant exact de la créance sollicitée en provision caractérisent une contestation sérieuse sur le montant même de l’obligation ».

Concernant les pénalités de retard de 1 000 euros, le juge a souligné que le protocole mentionnait la possible application de pénalités « sans autre précision ni renvoi explicite à une clause spécifique du contrat de construction ». Déterminer leur nature, leur mode de calcul et leur point de départ « nécessiterait une interprétation de la commune intention des parties » et relevait donc du juge du fond.

Le référé-provision exige une créance certaine, liquide et exigible. L’absence de décompte précis et les divergences chiffrées constituent autant d’obstacles à l’allocation d’une provision. Le juge des référés ne peut suppléer les carences probatoires du demandeur ni procéder à des calculs relevant de l’appréciation au fond.

Cette ordonnance rappelle que le référé-provision ne constitue pas une voie d’exécution simplifiée. Le créancier qui entend obtenir une condamnation provisionnelle doit établir le caractère non sérieusement contestable de son obligation avec une rigueur probatoire suffisante. En matière de contrat de construction de maison individuelle, où le régime légal protège le maître d’ouvrage, cette exigence se trouve renforcée.

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Hassan KOHEN
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