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La saisie immobilière constitue une voie d’exécution particulièrement lourde, soumise à un formalisme rigoureux et à un contrôle juridictionnel étroit. Elle soulève des difficultés spécifiques lorsque le bien saisi appartient à des époux dont la situation patrimoniale et personnelle diffère, notamment en cas de surendettement de l’un d’entre eux.
Le tribunal judiciaire de Versailles, statuant en qualité de juge de l’exécution chargé des saisies immobilières, a rendu un jugement d’orientation le 20 juin 2025 dans une procédure opposant un établissement bancaire à deux débiteurs mariés sous le régime de la participation aux acquêts et désormais divorcés.
Les faits remontent à l’acquisition d’un bien immobilier situé dans les Yvelines en 1998, financée par un prêt bancaire. Un commandement de payer valant saisie immobilière a été délivré le 9 avril 2013 en recouvrement d’une somme de 88.218,82 euros. La procédure a connu de nombreuses vicissitudes, notamment en raison des procédures de surendettement successives de l’épouse. Un premier jugement du 16 septembre 2015 avait fixé la créance à 82.448,50 euros et ordonné la suspension de la procédure. La cour d’appel de Versailles a ordonné la reprise de la procédure par arrêt du 13 avril 2023. L’épouse a de nouveau été déclarée recevable au bénéfice d’une procédure de surendettement le 9 janvier 2024.
La débitrice a formé plusieurs contestations devant le juge de l’exécution. Elle demandait la suspension de la procédure en raison de son surendettement, la limitation de la créance au montant fixé en 2015, la nullité de plusieurs inscriptions hypothécaires et l’autorisation de vendre le bien à l’amiable. Le créancier poursuivant et les créanciers inscrits sollicitaient le rejet de ces demandes et la poursuite de la vente forcée.
La question centrale posée au juge était de déterminer dans quelle mesure la procédure de surendettement dont bénéficie l’un des coïndivisaires peut affecter le cours d’une saisie immobilière portant sur un bien indivis, tant sur le plan procédural que sur celui des inscriptions de sûretés.
Le tribunal rejette la demande de suspension, déclare irrecevables les demandes de fixation de créance et de vente amiable, mais ordonne la mainlevée partielle de certaines inscriptions prises en méconnaissance de la protection accordée à la débitrice surendettée, avant d’ordonner la vente forcée du bien.
Cette décision illustre la complexité des rapports entre procédure de saisie immobilière et surendettement lorsqu’un bien indivis est en cause (I), tout en précisant les conditions de validité des inscriptions de sûretés dans ce contexte particulier (II).
I. L’articulation délicate entre surendettement et saisie immobilière d’un bien indivis
Le juge de l’exécution opère une distinction nette entre les effets suspensifs du surendettement, qui ne peuvent profiter qu’au débiteur qui en bénéficie (A), et le maintien de l’exigibilité de la créance à l’égard du codébiteur solidaire (B).
A. Le refus d’étendre les effets suspensifs du surendettement au coïndivisaire non bénéficiaire
La débitrice invoquait l’article L. 722-2 du code de la consommation selon lequel « la recevabilité de la demande emporte suspension et interdiction des procédures d’exécution diligentées à l’encontre des biens du débiteur ». Elle estimait que son admission au bénéfice du surendettement devait entraîner la suspension de l’ensemble de la procédure de saisie immobilière.
Le tribunal rejette cette prétention en relevant que « la situation de surendettement de Madame [C] ne peut avoir pour effet de suspendre la procédure de saisie immobilière dès lors que Monsieur [V] n’en bénéficie pas ». Cette solution s’inscrit dans la continuité de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 13 avril 2023 qui avait déjà tranché cette question dans le même dossier.
Le raisonnement repose sur le caractère strictement personnel de la protection accordée par la procédure de surendettement. L’article L. 722-2 vise les biens du débiteur, ce qui exclut que la mesure de protection puisse bénéficier à un tiers, fût-il coïndivisaire du bien saisi. Lorsque deux époux sont solidairement engagés au remboursement d’un prêt et que le bien donné en garantie leur appartient indivisément, le surendettement de l’un ne saurait paralyser les poursuites exercées contre l’autre.
Cette interprétation stricte se justifie par la nature même du surendettement, procédure destinée à permettre le redressement de la situation financière d’un débiteur particulier. Étendre ses effets à des tiers reviendrait à priver le créancier de tout recours effectif alors même qu’il dispose d’un codébiteur solvable ou à tout le moins non protégé.
B. Le maintien de l’exigibilité de la créance malgré le plan de surendettement
La débitrice soutenait également que l’inclusion de la créance du poursuivant dans son plan de surendettement entraînait l’inexigibilité de cette créance, faisant obstacle à la poursuite de la saisie.
Le tribunal écarte cette argumentation en rappelant que « la procédure de surendettement à l’égard de Madame [C] n’entraîne pas la suspension de la saisie immobilière » et que « le juge de l’exécution a d’ores et déjà statué sur le caractère liquide et exigible de la créance et en a fixé son montant ». La créance portant sur un bien indivis et étant solidaire entre les deux époux, le créancier « dispose d’une créance exigible malgré la procédure de surendettement en cours ».
Cette solution découle logiquement du caractère solidaire de l’engagement. En application de l’article 1313 du code civil, le créancier peut demander le paiement de la totalité de la dette à l’un quelconque des codébiteurs solidaires. Le plan de surendettement, qui ne produit d’effets qu’à l’égard du débiteur qui en bénéficie, ne peut modifier les droits du créancier à l’encontre du codébiteur non bénéficiaire.
Le tribunal relève néanmoins que « les périodes de surendettement de Madame [C] devront être prises en considération dans le calcul des intérêts lorsqu’elles ont entraîné une suspension de la procédure de saisie immobilière ordonnée par le juge ». Cette précision renvoie à l’article L. 722-14 du code de la consommation qui interdit la production d’intérêts sur les créances incluses dans l’état d’endettement à compter de la recevabilité. La protection n’est donc pas totalement inopérante, mais elle n’affecte que le calcul de la créance lors de la distribution du prix.
II. Le contrôle des inscriptions de sûretés au regard de la protection du débiteur surendetté
Le juge de l’exécution exerce un contrôle rigoureux sur la régularité des inscriptions de sûretés, ordonnant la mainlevée de celles prises en violation de la protection accordée au débiteur surendetté (A), tout en validant celles qui respectent les limites de leur assiette (B).
A. La sanction des inscriptions prises en méconnaissance de l’interdiction légale
La débitrice contestait l’inscription de privilège de prêteur de deniers publiée le 28 août 2015 par le créancier poursuivant. Elle faisait valoir que cette inscription avait été réalisée moins de deux ans après sa décision de recevabilité au surendettement du 14 mai 2014, en violation de l’interdiction posée par l’ancien article L. 331-3-1 du code de la consommation.
Le tribunal accueille partiellement cette contestation. Il admet que le créancier pouvait valablement inscrire un privilège de prêteur de deniers sur les parts du débiteur non bénéficiaire du surendettement, cette inscription intervenant après la péremption de la première prise en 1998. En revanche, « concernant Madame [C], et au regard de la décision de recevabilité à la procédure de surendettement rendue le 14 mai 2014, le CIC ne pouvait inscrire une sûreté sur les parts et portions de Madame [C] dans le bien saisi ».
Le juge ordonne en conséquence « la mainlevée de l’inscription du 28 août 2015 sur les seules parts et portions de Madame [C], aux frais du CIC ». Cette solution illustre la possibilité d’une mainlevée partielle d’une inscription lorsque celle-ci est régulière pour partie seulement. Elle sanctionne le créancier qui a méconnu l’interdiction d’inscrire de nouvelles sûretés pendant la période de protection du surendettement.
Le tribunal ordonne également la radiation de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire publiée le 19 novembre 2015, au motif que « les délais et les formalités indiquées aux articles R. 532-6 et suivants n’ont pas été respectés ». Cette inscription « venait en surabondance de l’inscription de privilèges de prêteur de denier », ce qui suggère que le créancier avait conscience des faiblesses de sa première inscription.
B. La validation des inscriptions limitées aux droits du seul débiteur engagé
Les contestations dirigées contre les inscriptions des autres créanciers sont en revanche rejetées. La débitrice invoquait l’article 1415 du code civil selon lequel « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt ». Elle estimait que les créanciers de son ex-mari ne pouvaient inscrire d’hypothèque sur le bien indivis.
Le tribunal écarte cette argumentation en relevant que les créanciers n’ont inscrit leurs sûretés que sur les parts et portions du débiteur concerné. S’agissant de la créance résultant d’un cautionnement, le tribunal précise que « Monsieur [V] n’a pas engagé le bien immobilier saisi dans le cadre d’un cautionnement » mais qu’« en vertu de ce titre exécutoire, il est redevable d’une dette personnelle qui peut être poursuivie sur le bien indivis saisi du couple ».
Cette distinction est essentielle. L’article 1415 interdit au créancier de poursuivre le conjoint de la caution sur ses biens propres. Il n’interdit pas au créancier de poursuivre la caution elle-même sur sa quote-part d’un bien indivis. Le régime de la participation aux acquêts, qui « fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens » selon l’article 1569 du code civil, renforce cette analyse.
Le tribunal valide également l’inscription prise en renouvellement d’une hypothèque conventionnelle arrivée à expiration. La débitrice soutenait que son consentement initial à l’affectation hypothécaire du bien ne valait que pour la durée prévue dans l’acte. Le tribunal retient que « rien n’empêchait au créancier de réaliser une seconde inscription en cas de poursuite de la dette », cette nouvelle inscription ne portant que sur les parts du débiteur principal.
Cette décision contribue à clarifier l’articulation complexe entre les règles du surendettement, celles des régimes matrimoniaux et celles de la saisie immobilière. Elle confirme que la protection accordée au débiteur surendetté, si elle est réelle et effective, demeure strictement personnelle et ne peut faire obstacle aux poursuites exercées contre un codébiteur ou sur les droits indivis de celui-ci dans un bien commun.