10ème chambre du Conseil d’État, le 31 décembre 2024, n°493305

Par une décision rendue le 31 décembre 2024, le Conseil d’État précise les limites du droit à la communication des documents administratifs face à la protection des tiers.

Deux associations promouvant une méthode de yoga ont sollicité l’accès à des signalements et dossiers constitués par une mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires. L’administration a opposé un refus implicite à cette demande, ce qui a conduit les deux groupements à saisir le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir. Le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision le 7 février 2024 et enjoint la communication des pièces après occultation des mentions protégées par la loi. L’autorité ministérielle a formé un pourvoi en cassation contre ce jugement, contestant la possibilité de procéder à des disjonctions sans dénaturer le contenu ou nuire aux tiers. La question posée est de savoir si le droit d’accès peut être limité lorsque les occultations nécessaires à la protection de la vie privée sont trop importantes. La haute juridiction censure le jugement pour erreur de qualification juridique des faits, estimant que la nature des documents interdit toute communication, même partielle, sans risque majeur. L’examen de cette solution conduit à analyser la protection impérative de la vie privée des informateurs (I), avant d’étudier les limites de la communication par occultation (II).

I. La protection impérative de la vie privée et de la sécurité des informateurs

Le Conseil d’État rappelle que les documents administratifs ne sont communicables qu’à l’intéressé sous réserve de ne pas porter atteinte à la protection de la vie privée. Cette règle fondamentale garantit que les informations sensibles détenues par l’administration ne puissent pas être détournées pour identifier ou nuire aux citoyens ayant collaboré au service public.

A. L’application rigoureuse des exceptions légales au droit de communication

L’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration dresse une liste précise des mentions qui ne peuvent être divulguées qu’à la personne concernée. Le juge souligne que la communication ne doit pas faire apparaître le comportement d’un individu si cette révélation est susceptible de lui porter un préjudice personnel. Dans cette affaire, la divulgation des dossiers administratifs aurait fatalement révélé l’identité de personnes ayant souhaité informer l’État de l’existence potentielle d’un risque de dérive sectaire. Cette révélation, en « révélant leur souhait d’informer » l’administration, ferait apparaître leur comportement dans des conditions qui sont « susceptibles de leur porter préjudice » de manière évidente.

B. La reconnaissance d’un risque majeur d’identification indirecte

La juridiction administrative relève que les signalements litigieux sont « essentiellement constitués de témoignages relatifs à des situations vécues » par des particuliers ou des membres de diverses associations. Ces documents comportent des références précises à des lieux, des dates ou des circonstances réelles qui permettent une identification indirecte des auteurs par les groupements visés. La protection de la vie privée ne se limite donc pas au nom de l’informateur mais s’étend à tout élément contextuel permettant de remonter jusqu’à lui. La solution protège ainsi la liberté de témoignage des citoyens, laquelle constitue un pilier de la vigilance publique contre les dérives portant atteinte à l’ordre social.

L’impossibilité de garantir cet anonymat par de simples biffures conduit le Conseil d’État à remettre en cause la pertinence de la communication partielle ordonnée en première instance.

II. Les limites de la communication partielle par voie d’occultation

Le principe de communication partielle des documents administratifs suppose que les mentions incommunicables puissent être disjointes ou occultées sans que le document restant ne perde tout intérêt. Le Conseil d’État durcit ici son contrôle en vérifiant si les occultations nécessaires ne vident pas l’acte de sa substance ou ne créent pas un risque résiduel.

A. L’erreur de qualification juridique relative à l’ampleur des disjonctions

Le tribunal administratif de Paris avait estimé que les disjonctions à opérer en application des textes en vigueur ne rendaient pas les documents sollicités totalement inintelligibles pour les demandeurs. Le Conseil d’État juge au contraire que le premier juge s’est mépris sur la « portée et l’ampleur des occultations » indispensables pour assurer une protection effective des tiers. L’erreur de qualification juridique des faits est constituée car l’ampleur des éléments à masquer est telle qu’elle ôte toute cohérence et toute utilité au document final. Une communication amputée de l’essentiel de son contenu narratif ne répondrait plus à l’objectif de transparence administrative voulu par le législateur lors de la rédaction du code.

B. L’inintelligibilité du document comme obstacle définitif à sa transmission

L’article L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration ne permet la communication que si l’occultation des données protégées demeure matériellement et intellectuellement possible. En l’espèce, la densité des informations personnelles imbriquées dans les témoignages rend toute tentative de disjonction inopérante pour protéger l’anonymat des auteurs sans détruire le sens même du récit. Le juge privilégie la protection des sources sur le droit d’accès de l’intéressé lorsque ces deux impératifs s’avèrent techniquement et juridiquement incompatibles au regard de la pièce. Cette décision marque une volonté claire de préserver l’efficacité de la mission de vigilance administrative en assurant aux informateurs une confidentialité absolue face aux entités qu’ils dénoncent.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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