Le Conseil d’État a rendu, le 12 mai 2025, une décision importante relative au régime disciplinaire des commissaires aux comptes et à l’exigence d’impartialité. Un professionnel contestait une sanction d’interdiction d’exercer assortie du sursis et une amende pécuniaire infligées par l’instance de régulation de sa profession. Les griefs portaient sur une méconnaissance des règles d’indépendance en raison de liens familiaux étroits ainsi que sur l’insuffisance des contrôles lors de la certification des comptes.
Les faits révèlent qu’un commissaire aux comptes a certifié les bilans de plusieurs sociétés alors que des membres de sa famille participaient à leur gestion comptable. Son beau-frère et sa nièce contribuaient à l’établissement des comptes tandis que son propre frère fournissait des prestations de conseil juridique aux entités contrôlées. À la suite d’un contrôle d’activité, une enquête a été ouverte, menant à une sanction prononcée par la formation restreinte du Haut conseil du commissariat aux comptes. Le requérant a alors saisi la juridiction administrative suprême d’un recours en annulation, invoquant notamment l’illégalité du code de déontologie et l’absence de faute effective.
Le problème juridique posé au Conseil d’État consistait à déterminer si l’obligation d’indépendance en apparence méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines. La Haute juridiction devait également apprécier si le recours exclusif aux travaux d’un expert-comptable lié familialement au contrôleur constituait une diligence d’audit suffisante. La décision rejette la requête de l’intéressé et procède à une aggravation notable de la sanction pécuniaire initialement prononcée par l’autorité de régulation.
I. La consécration de l’exigence d’indépendance et d’impartialité
A. La conformité constitutionnelle des obligations déontologiques
Le requérant soulevait l’imprécision des obligations déontologiques pour contester la légalité de la sanction au regard du principe de légalité des délits et des peines. Le Conseil d’État écarte ce moyen en précisant que ce principe fondamental s’applique de manière souple aux sanctions disciplinaires des professions réglementées. Il juge que « le principe de légalité des délits et des peines est satisfait dès lors que les textes applicables font référence aux obligations » professionnelles. Cette solution classique permet de fonder une sanction sur des manquements aux règles de comportement propres à une institution ou à un corps.
B. La caractérisation du manquement par l’apparence de partialité
L’indépendance du commissaire aux comptes ne doit pas seulement être réelle mais elle doit également s’imposer de manière évidente aux yeux des tiers. Le juge souligne que le professionnel doit être indépendant « dans les faits comme en apparence » afin de garantir la crédibilité de sa mission de certification. En l’espèce, les liens de parenté avec les personnes établissant les comptes créaient une situation de conflit d’intérêts manifeste et compromettaient l’impartialité. La simple mention de ces liens lors d’une revue interne ne suffit pas à lever le doute sur l’objectivité du contrôle effectué.
II. La rigueur du contrôle des diligences professionnelles et de la sanction
A. L’insuffisance fautive des contrôles techniques de certification
Le Conseil d’État exerce un contrôle strict sur la nature des diligences accomplies par le commissaire aux comptes lors de l’examen des postes comptables significatifs. Il relève que le requérant s’est fondé exclusivement sur les travaux de l’expert-comptable pour valider des stocks représentant une part majeure de l’actif. Or, les normes professionnelles imposent d’assister physiquement à l’inventaire lorsque les stocks sont significatifs afin de collecter des éléments de preuve suffisants et appropriés. Le juge rappelle qu’il « appartient au commissaire aux comptes de justifier de ses appréciations » conformément aux dispositions législatives du code de commerce.
B. La sévérité de la sanction au regard de la mission d’intérêt général
La juridiction administrative apprécie la proportionnalité de la sanction en fonction de la gravité des manquements et de la responsabilité sociale inhérente à cette profession. Elle estime que les fautes commises portent une atteinte grave à la mission d’intérêt général de confiance publique conférée par la loi aux auditeurs. Constatant le caractère systématique des liens familiaux et l’importance des gains obtenus, le Conseil d’État décide de porter l’amende de quatre mille à vingt mille euros. Cette décision illustre la volonté du juge de réprimer fermement les comportements susceptibles de fragiliser la sécurité financière et la sincérité des comptes.