Le Conseil d’État, par une décision du 7 février 2025, se prononce sur le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant les militaires. Un membre des forces armées a reçu une sanction de vingt jours d’arrêts avec dispense d’exécution pour des raisons professionnelles. L’intéressé a formé un recours pour excès de pouvoir contre cet acte administratif devant la plus haute juridiction de l’ordre administratif. À l’appui de sa requête, il soulève l’inconstitutionnalité du cinquième alinéa de l’article L. 4137-1 du code de la défense nationale. Le requérant affirme que ce texte méconnaît le droit de se taire en omettant l’information préalable nécessaire lors de la procédure. La question posée réside dans la conformité de ces dispositions au principe de présomption d’innocence garanti par la Déclaration de 1789. Le juge estime que la question est sérieuse et décide de la transmettre au Conseil constitutionnel pour un examen au fond. Le commentaire abordera d’abord l’application du droit de se taire en matière disciplinaire (I) puis le sérieux de l’inconstitutionnalité soulevée (II).
I. L’extension du droit de se taire à la matière disciplinaire militaire
Le juge administratif précise que le droit de ne pas s’accuser découle directement des principes posés par l’article 9 de la Déclaration.
A. Un fondement constitutionnel attaché à la présomption d’innocence
La décision rappelle que « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable », la loi doit réprimer toute rigueur inutile. De ce principe cardinal découle le droit de se taire afin d’éviter que la personne poursuivie ne contribue à sa propre incrimination. Le Conseil d’État affirme que ces exigences « s’appliquent non seulement aux peines répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition ». Cette interprétation extensive garantit au militaire une protection équivalente à celle dont bénéficie tout justiciable devant une juridiction pénale de l’État. Cette garantie fondamentale doit désormais s’incarner dans des obligations procédurales concrètes lors de la phase d’enquête menée par l’autorité administrative.
B. L’exigence d’une information préalable du militaire poursuivi
Le droit de se taire implique que l’intéressé ne puisse être entendu sans avoir été préalablement informé de cette faculté de silence. L’absence d’une telle notification fragilise le caractère contradictoire de la procédure et porte atteinte à l’équilibre des droits de la défense. Le juge administratif aligne ici sa position sur la jurisprudence constitutionnelle récente afin d’assurer la cohérence du régime des sanctions punitives. L’effectivité de ce droit nécessite une transcription formelle dans les textes régissant la discipline au sein des forces armées nationales françaises. La reconnaissance de ce principe constitutionnel conduit logiquement le juge à s’interroger sur la validité du cadre législatif actuellement en vigueur.
II. Le sérieux de la contestation relative à l’article L. 4137-1 du code de la défense
Le Conseil d’État considère que l’omission législative dénoncée présente un caractère sérieux justifiant l’intervention du juge gardien de la Constitution.
A. Le constat d’une carence législative préjudiciable aux garanties fondamentales
Le texte contesté énumère les droits du militaire sans mentionner l’obligation d’informer la personne poursuivie de son droit au silence. Le juge administratif relève que cette disposition est applicable au litige et n’a jamais été déclarée conforme à la Constitution auparavant. Le grief tiré de la méconnaissance de l’article 9 de la Déclaration de 1789 paraît suffisamment étayé pour susciter un doute réel. L’absence de notification du droit de se taire pourrait en effet constituer une inconstitutionnalité par omission de la part du législateur français. Le caractère sérieux de cette interrogation commande la transmission immédiate du dossier au Conseil constitutionnel pour une décision définitive et souveraine.
B. La portée du renvoi devant le juge constitutionnel français
En ordonnant le renvoi, le Conseil d’État suspend le jugement de l’affaire jusqu’à ce que la conformité de la loi soit vérifiée. Une éventuelle censure obligerait les pouvoirs publics à modifier le code de la défense pour renforcer les garanties procédurales offertes aux militaires. Cette évolution marquerait une étape majeure dans l’unification du droit des sanctions et le respect des libertés publiques au sein de l’armée. Le renvoi illustre la vitalité de la question prioritaire de constitutionnalité comme instrument de protection des droits des citoyens contre l’arbitraire. La réponse attendue du Conseil constitutionnel permettra de fixer définitivement le niveau d’exigence requis pour toute procédure disciplinaire à caractère punitif.