Avocats en homicide volontaire et meurtre à Paris : Défense devant la cour d'assises
Poursuivi pour homicide volontaire, vous affrontez la procédure criminelle la plus exigeante du Code pénal. L’article 221-1 prévoit trente ans de réclusion criminelle pour un meurtre simple, la perpétuité pour un assassinat avec préméditation. Vous serez jugé devant la cour d’assises avec jury populaire. Une défense spécialisée devient indispensable dès les premières heures de votre garde à vue.
Le Cabinet Kohen Avocats intervient dans les procédures criminelles devant les cours d’assises de Paris et d’Île-de-France. Nous défendons les personnes mises en examen pour meurtre, assassinat ou empoisonnement depuis la garde à vue jusqu’au procès en appel. Notre approche combine analyse technique des preuves, contestation des éléments d’intention, invocation des faits justificatifs et construction de dossiers de personnalité approfondis.
Les enjeux de votre défense requièrent une maîtrise précise : déceler les nullités procédurales, contester l’intention homicide, établir une légitime défense conforme à l’article 122-5, invoquer une altération du discernement selon l’article 122-1, ou plaider la requalification des faits. La détention provisoire peut atteindre deux à quatre ans selon la gravité de l’accusation. Chaque interrogatoire, chaque expertise psychiatrique, chaque acte d’instruction détermine l’issue du procès.
Nous constituons des défenses structurées visant l’acquittement, la requalification en homicide involontaire ou l’obtention de circonstances atténuantes devant le jury. Notre travail repose sur l’analyse médico-légale, l’expertise contradictoire, les reconstitutions critiques et la préparation minutieuse des plaidoiries. L’objectif reste identique quelle que soit la situation : obtenir la décision la plus favorable compte tenu des circonstances de l’espèce.
Qu'est-ce que l'homicide volontaire ?
Définition juridique :
L’homicide volontaire désigne le fait de donner intentionnellement la mort à autrui. Le Code pénal distingue plusieurs qualifications selon les circonstances.
Meurtre :
Article 221-1 du Code pénal : le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre puni de trente ans de réclusion criminelle.
Le meurtre suppose deux éléments : un acte ayant causé la mort et l’intention de donner la mort. Le meurtre est la qualification la plus courante en cour d’assises dès lors que l’intention de tuer est établie.
Assassinat :
Article 221-3 du Code pénal : le meurtre commis avec préméditation constitue un assassinat puni de la réclusion criminelle à perpétuité.
La préméditation est le dessein formé avant l’action de commettre le crime. Elle se caractérise par un temps de réflexion préalable, une organisation, une planification. La Cour de cassation précise dans son arrêt du 17 mars 1999 (n°98-81.202) que la préméditation doit porter sur le meurtre lui-même et non sur de simples violences ayant dégénéré. La présence d’une arme preparée, d’un trajet effectué en vue de rencontrer la victime, de contacts préalables constituent des indications de préméditation.
L’assassinat est la forme la plus grave d’homicide volontaire en raison de la préméditation qui révèle une dangerosité particulière et la froideur de calcul de l’auteur.
Empoisonnement :
Article 221-5 du Code pénal : le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement puni de trente ans de réclusion criminelle.
L’empoisonnement se distingue du meurtre par le moyen utilisé substance toxique administrée. Il implique généralement une préméditation manifeste en raison du choix du poison et de son administration planifiée.
Crime passionnel :
Le crime passionnel n’est pas une qualification juridique distincte mais désigne un meurtre commis sous l’emprise d’une forte émotion jalousie, colère, désespoir amoureux. Le contexte passionnel peut constituer une circonstance atténuante mais n’efface pas la qualification de meurtre. La différence réside dans l’appréciation des circonstances par le jury et l’influence sur la peine prononcée. L’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 6 septembre 2001 (n°2001/00908) illustre ce mécanisme : malgré une altération du discernement reconnue par l’expertise psychiatrique dans un contexte passionnel, l’accusé demeurait accessible à une sanction pénale.
Distinction avec homicide involontaire :
L’homicide involontaire suppose l’absence d’intention de donner la mort. La mort résulte d’une faute imprudence, négligence mais sans volonté de tuer. Il constitue un délit jugé au tribunal correctionnel trois à cinq ans maximum.
L’homicide volontaire suppose l’intention de tuer. Il constitue un crime jugé en cour d’assises quinze ans à perpétuité.
Éléments constitutifs de l'homicide volontaire
Pour que le meurtre soit constitué, trois éléments doivent être réunis :
Élément matériel : un acte ayant causé la mort
Il faut un acte positif ayant provoqué le décès d’une personne. L’acte peut être de toute nature : coups mortels, strangulation, coups de feu, coups de couteau, noyade, défenestration, intoxication volontaire.
L’omission laisser mourir ne constitue généralement pas un meurtre mais une non-assistance à personne en danger, sauf si l’auteur avait une obligation particulière de porter secours.
Lien de causalité :
Il doit exister un lien de causalité direct entre l’acte et le décès. L’acte doit avoir causé ou contribué directement à causer la mort. La jurisprudence admet un lien de causalité suffisant même si d’autres facteurs y ont contribué, pourvu que l’acte inculpé en soit un élément significatif.
Élément intentionnel : l’intention de donner la mort
L’auteur doit avoir eu l’intention de tuer. Cette intention peut être :
Intention directe : volonté délibérée de donner la mort.
Intention indirecte : l’auteur n’a pas directement voulu la mort mais a accepté son éventualité en commettant un acte qu’il savait de nature à la causer.
L’intention se déduit souvent des circonstances : nature et nombre des coups, zone visée organes vitaux, arme utilisée, acharnement, paroles prononcées. Le jury apprécie les circonstances dans leur ensemble.
Absence de fait justificatif :
L’homicide n’est pas punissable s’il est justifié par :
Légitime défense : défense nécessaire et proportionnée face à une agression injustifiée actuelle ou imminente menaçant votre vie. Les Fiches d’orientation de septembre 2022 précisent que pour la défense des biens, l’homicide volontaire est expressément exclu par l’article 122-5 du Code pénal.
Ordre de la loi ou commandement de l’autorité légitime.
État de nécessité dans des circonstances exceptionnelles.
Peines encourues en cour d'assises
Meurtre simple :
Article 221-1 du Code pénal. Peine : trente ans de réclusion criminelle. Juridiction compétente : Cour d’assises.
Le meurtre simple correspond à l’intention de tuer sans préméditation. C’est la qualification la plus fréquente en cour d’assises.
Assassinat meurtre avec préméditation :
Article 221-3 du Code pénal. Peine : réclusion criminelle à perpétuité.
L’assassinat constitue la qualification la plus grave dès lors que la préméditation est établie ou que le jury reconnaît un dessein formé avant l’action.
Meurtre aggravé :
Les peines sont portées à la perpétuité si le meurtre est commis :
Sur un mineur de moins de quinze ans. Sur un ascendant légitime ou naturel ou sur les père ou mère adoptifs. Sur une personne dont la particulière vulnérabilité était apparente ou connue. Sur un magistrat, juré, avocat, officier de police, militaire dans l’exercice de leurs fonctions. Par le conjoint, concubin ou partenaire de la victime. En raison de l’appartenance de la victime à une ethnie, nation, race, religion. En bande organisée ou en déploiement d’armes.
Les Fiches d’orientation d’août 2022 analysent de manière approfondie ces circonstances aggravantes, incluant la violence conjugale et la vulnérabilité de la victime qui constituent des critères déterminants pour la qualification pénale.
Période de sûreté :
Pour les condamnations à trente ans ou à perpétuité, la cour d’assises prononce généralement une période de sûreté durant laquelle le condamné ne peut bénéficier d’aucun aménagement de peine semi-liberté, libération conditionnelle.
La période de sûreté peut atteindre dix-huit ans voire trente ans pour les crimes les plus graves. L’article 221-3 du Code pénal prévoit que pour un assassinat d’un mineur de quinze ans précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, la cour d’assises peut porter la période de sûreté jusqu’à trente ans ou décider qu’aucune mesure de libération ne pourra être accordée. Cette période est obligatoire pour les assassinats.
Peines complémentaires :
Suivi socio-judiciaire : à la sortie de prison, obligation de soins et suivi sur une durée déterminée.
Interdiction des droits civiques : à perpétuité.
Obligations d’indemnisation civile de la famille de la victime.
Comment nos avocats vous défendent
Contestation des faits :
Si vous contestez totalement avoir commis l’homicide, nos avocats construisent une défense visant à démontrer votre non-participation.
Alibi : nous établissons que vous étiez ailleurs au moment des faits grâce à des témoignages solides, des preuves de déplacements, des données de géolocalisation, des vidéos de surveillance qui corroborent votre absence de la scène du crime.
Absence de preuves : nous mettons en évidence l’absence de preuve matérielle vous liant au crime absence d’ADN, absence d’arme vous appartenant, absence d’objets volés, absence de mobile. Nos avocats développent une plaidoirie structurée montrant les failles de l’accusation.
Erreur d’identification : nous démontrons que les enquêteurs se sont trompés de coupable. Nous contestons les identifications témoignages basés sur la mémoire défaillante, erreurs d’expertise, indices mal interprétés.
Légitime défense :
Si vous avez tué pour vous défendre face à une agression menaçant votre vie, nos avocats invoquent la légitime défense.
Cette défense suppose trois conditions cumulatives :
Agression injustifiée actuelle ou imminente menaçant votre vie ou celle d’autrui. L’agresseur doit être l’auteur de cette agression, pas une autre personne.
Riposte nécessaire pas d’autre moyen d’échapper au danger. Vous deviez user de la force pour neutraliser la menace immédiate.
Riposte proportionnée à la gravité de l’agression. La légitime défense peut justifier la mort si l’agresseur présentait un danger mortel.
Nos avocats constituent un dossier probant : témoignages, preuves de l’agression arme de l’agresseur, menaces antérieures, circonstances de l’agression. La légitime défense entraîne l’acquittement.
Contestation de l’intention de tuer :
Si la mort est survenue mais sans que vous ayez eu l’intention de la donner, nos avocats sollicitent la requalification en homicide involontaire.
Intention de blesser seulement : vous aviez l’intention de blesser mais pas de tuer. Le décès résulte de coups plus violents que prévus ou de la vulnérabilité particulière de la victime fragilité, maladie cardiaque.
Absence d’intention : les coups ont été portés sans intention de blesser gravement bagarre, bousculade ayant mal tourné.
Cette requalification fait passer le dossier de la cour d’assises au tribunal correctionnel et réduit les peines de trente ans à trois-cinq ans. C’est une stratégie déterminante de défense.
Altération ou abolition du discernement :
Si vous souffriez de troubles psychiques ou neuropsychiques au moment des faits, nos avocats invoquent l’article 122-1 du Code pénal.
Abolition du discernement : si vos facultés mentales étaient totalement abolies au moment de l’acte, vous n’êtes pas pénalement responsable. L’irresponsabilité pénale entraîne votre relaxe. La Cour d’appel de Douai dans son arrêt du 21 septembre 2023 (n°21/01970) rappelle que le trouble mental doit avoir existé au moment précis où l’acte a été fait.
Altération du discernement : si vos facultés étaient seulement altérées, vous restez responsable mais la peine peut être réduite. L’expertise psychiatrique devient déterminante pour établir l’altération et son degré.
Nos avocats sollicitent des expertises psychiatriques approfondies, contestent les expertises défavorables, font désigner des experts contradictoires. La jurisprudence de la CEDH (HAMMOUDI c. FRANCE, 6 juillet 2023, n°47247/22) illustre l’importance de l’expertise psychiatrique pour établir une altération du discernement chez une personne atteinte de schizophrénie paranoïde.
Crime passionnel et circonstances atténuantes :
Si le meurtre a été commis sous l’emprise d’une émotion violente provoquée par le comportement de la victime infidélité, provocation, humiliation, abandon, nos avocats invoquent le contexte passionnel comme circonstance atténuante.
Le crime passionnel ne constitue pas une justification légale mais peut conduire le jury à prononcer une peine clémente tenant compte de l’état émotionnel ayant altéré votre discernement.
Nos avocats mettent en évidence : la provocation de la victime, le contexte émotionnel intense, l’absence de préméditation, le caractère impulsif du passage à l’acte, vos regrets sincères, votre absence d’antécédent criminel.
Constitution du dossier de personnalité :
En cour d’assises, le jury juge non seulement les faits mais également la personnalité de l’accusé. C’est un élément déterminant de la sentence.
Nos avocats constituent un dossier de personnalité approfondi : parcours de vie, insertion sociale et professionnelle, témoignages de proches, lettres de soutien, expertises psychiatriques et psychologiques, absence d’antécédent ou antécédents mineurs seulement, évolution positive durant la détention provisoire.
Ce dossier humanise l’accusé aux yeux du jury et peut conduire à une peine bien plus clémente. Des dossiers exceptionnels ont convaincu le jury de prononcer une peine sensiblement inférieure aux réquisitions.
Plaidoirie devant le jury :
La plaidoirie devant la cour d’assises est un moment décisif de votre procès. C’est le dernier moment où vous pouvez convaincre le jury de votre innocence ou de circonstances justifiant la clémence.
Nos avocats préparent minutieusement cette intervention pour convaincre les jurés sur les éléments clés : contestation des preuves, absence d’intention, légitime défense, circonstances atténuantes, personnalité et potentiel de rédemption.
Notre expérience de la cour d’assises et notre maîtrise de la rhétorique judiciaire constituent des atouts essentiels pour votre défense. Nous savons comment toucher les jurés sans dramatiser, comment construire un argument solide et comment répondre aux réquisitions du ministère public.
Quelle est la différence entre meurtre et assassinat ?
Comment le jury détermine-t-il si je suis auteur ou complice du meurtre ?
Qu'est-ce qu'un crime passionnel exactement ?
Peut-on être acquitté en invoquant la légitime défense d'un meurtre ?
Combien de temps dure une instruction pour meurtre ?
Quelle est la durée maximale de la détention provisoire pour homicide volontaire ?
Qu'est-ce que l'abolition du discernement en matière d'homicide ?
Quelle est la différence entre altération et abolition du discernement ?
Puis-je invoquer une consommation de substances psychoactives pour ma défense ?
Quels éléments le jury considère-t-il pour déterminer la peine ?
Quels droits ai-je pendant la garde à vue pour un meurtre ?
Puis-je être libéré pendant l'instruction criminelle ?
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Un aveu en cour d'assises change-t-il la peine prononcée ?
Que peut faire la famille de la victime en cour d'assises ?
Puis-je demander un changement de juridiction ou de département ?
Quel est le rôle exact du ministère public en cour d'assises ?
Combien coûte un avocat pour une défense en meurtre en cour d'assises ?
Homicides volontaires en 2023
Ce bloc présente les homicides volontaires (meurtres, assassinats et autres homicides volontaires) tels qu’ils apparaissent dans les tableaux statistiques.
Données issues des tableaux 6 et 17 du fichier Excel “Condamnations en 2023” , publié sur la page officielle du ministère de la Justice .
Les chiffres reflètent les rubriques statistiques nationales. Ils ne permettent pas d’anticiper la qualification ou la peine dans un dossier individuel d’homicide volontaire.
Les dernières actualités.
Par une décision en date du 15 septembre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a été amenée à se prononcer sur les conséquences d’une défaillance avérée du système judiciaire national ayant conduit à la prescription d’une action publique pour meurtre.
En l’espèce, un homme avait disparu en 2001. Une première enquête ouverte en 2008 à la suite d’une plainte de sa famille fut égarée par les services judiciaires. En 2015, de nouvelles informations permirent d’établir que la personne disparue avait en réalité été assassinée. Une information judiciaire fut alors ouverte, menant à l’identification du meurtrier et de son complice. Le corps de la victime fut également retrouvé. Toutefois, l’auteur principal des faits, placé en détention provisoire, invoqua avec succès la prescription de l’action publique. Par un arrêt du 11 décembre 2019, la Cour de cassation confirma que le meurtre était prescrit, fermant ainsi toute possibilité de poursuites pénales en France. La famille de la victime saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant une violation des obligations procédurales découlant de l’article 2 de la Convention et une atteinte à leur droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6. Face à cette requête, l’État défendeur a formulé une déclaration unilatérale reconnaissant les violations et proposant une indemnisation financière, tout en demandant à la Cour de rayer l’affaire de son rôle.
Le problème de droit soumis à la Cour ne portait donc pas sur le bien-fondé des violations alléguées, celles-ci étant admises par l’État, mais sur la recevabilité d’une telle déclaration unilatérale comme moyen de clore le litige. Il s’agissait de déterminer si une simple compensation pécuniaire, en l’absence de tout engagement à rouvrir l’enquête, pouvait constituer une réparation suffisante au regard des exigences de la Convention dans une affaire de meurtre où la justice nationale avait failli.
La Cour répond par l’affirmative et décide de rayer la requête du rôle. Elle estime que la reconnaissance des violations, couplée à une offre d’indemnisation et à l’impossibilité juridique de rouvrir la procédure interne, constitue un redressement adéquat. Cette décision pragmatique, fondée sur la reconnaissance d’une double défaillance de l’État (I), interroge néanmoins sur la portée de la réparation offerte aux victimes lorsque l’impunité des auteurs est définitivement acquise (II).
I. L’extinction de l’action fondée sur la reconnaissance d’une double défaillance étatique
La Cour européenne des droits de l’homme accepte de rayer l’affaire de son rôle en prenant acte de la déclaration unilatérale de l’État défendeur. Cette solution repose sur l’admission par le Gouvernement d’une violation procédurale manifeste (A) et sur le constat pragmatique de l’impossibilité de poursuivre les responsables (B).
A. L’admission d’une violation des obligations procédurales de l’État
L’État défendeur a concédé dans sa déclaration que les dysfonctionnements de son système judiciaire avaient porté atteinte aux droits des requérants. La Cour relève ainsi que le Gouvernement « concède dans le cadre de sa déclaration unilatérale que l’enquête diligentée à la suite du signalement de la disparition (…) n’a pas satisfait aux exigences de l’article 2 et par ailleurs que la perte des actes de l’enquête a entraîné la violation de l’article 6 ». Cette reconnaissance est essentielle, car elle constitue le socle de la résolution du litige. L’obligation de mener une enquête effective en cas de mort suspecte est une composante fondamentale du droit à la vie. En l’espèce, l’égarement de la première procédure d’enquête entre 2008 et 2015 a directement contribué à l’écoulement du délai de prescription, privant ainsi de toute effectivité les investigations menées ultérieurement. La Cour entérine donc le fait que la faillite administrative et judiciaire a vidé de sa substance le droit des proches de la victime à voir les circonstances du décès élucidées et les responsables jugés. L’admission de la violation de l’article 6 en découle logiquement, la prescription ayant fermé de manière définitive l’accès à un tribunal pour faire juger l’action pénale.
B. Le constat de l’impossibilité juridique de la réouverture de l’enquête
La Cour conditionne habituellement l’acceptation d’une déclaration unilatérale dans les affaires de mort d’homme à l’engagement de l’État de mener une nouvelle enquête conforme à la Convention. Elle déroge cependant à ce principe dans la présente affaire. La Cour constate en effet « qu’il a définitivement été jugé par les juridictions internes que l’action publique relative aux faits criminels à l’origine de la présente requête était prescrite de sorte que la réouverture de la procédure est impossible de jure ». Cet obstacle juridique, issu de l’autorité de la chose jugée par la Cour de cassation, est jugé dirimant. La Cour s’aligne ici sur sa jurisprudence antérieure, notamment les décisions *Taşdemir et autres c. Turquie* et *Karaca c. Turquie*, dans lesquelles elle a admis que la prescription pouvait constituer une impossibilité de fait ou de droit de rouvrir une enquête pénale. Elle ajoute à ce raisonnement un élément factuel important : les circonstances du meurtre ont été élucidées et les auteurs identifiés. Par conséquent, une nouvelle enquête n’apporterait aucun élément nouveau sur le déroulement des faits, son seul but serait de permettre un procès qui est désormais juridiquement impossible.
Si cette approche pragmatique permet de clore le dossier sur la base d’une situation juridique interne figée, elle soulève la question de la nature et de l’adéquation de la réparation accordée aux requérants.
II. La portée limitée de la réparation face à l’impunité des auteurs du crime
En validant la déclaration unilatérale, la Cour privilégie une réparation purement pécuniaire, ce qui consacre l’absence de sanction pénale pour les responsables du meurtre. Cette solution met en lumière la prévalence de l’indemnisation sur la justice répressive (A) et confirme qu’il s’agit d’une décision d’espèce, dont la portée doit être nuancée (B).
A. La primauté de la réparation pécuniaire sur la sanction pénale
En l’absence de procès, la seule forme de redressement offerte aux requérants est financière. La Cour prend soin de vérifier que « le montant de l’indemnisation proposée par le Gouvernement à savoir la somme conjointe de 36 000 euros est comparable aux montants alloués par elle dans des affaires similaires ». Cette analyse comparative vise à s’assurer que l’offre n’est pas dérisoire et qu’elle constitue une satisfaction équitable pour le préjudice moral subi par la famille de la victime. Toutefois, cette approche purement indemnitaire trouve ses limites dans une affaire où les auteurs d’un crime de sang, bien qu’identifiés, échappent à toute forme de justice pénale en raison des manquements de l’État lui-même. La finalité de la Convention n’est pas uniquement de compenser financièrement les préjudices, mais aussi de garantir l’effectivité des droits, ce qui inclut l’obligation pour les États de maintenir et d’appliquer un arsenal juridique répressif pour protéger le droit à la vie. La décision de rayer l’affaire du rôle entérine une situation où l’impunité, conséquence directe de la négligence de l’État, est considérée comme définitive et non remédiable autrement que par l’octroi d’une somme d’argent.
B. Une solution d’espèce dictée par des circonstances particulières
La portée de cette décision doit être appréciée avec mesure. La Cour souligne elle-même les éléments spécifiques qui justifient sa solution. D’une part, l’impossibilité de rouvrir l’enquête est absolue en droit interne. D’autre part, et de manière déterminante, « les circonstances du meurtre dont [la victime] a été victime ont été élucidées et il n’a pas été allégué que d’autres individus que ceux qui ont été confondus aient pu être impliqués ». Cette précision est cruciale. La Cour semble indiquer que sa décision aurait pu être différente si l’identité des coupables ou les circonstances exactes du décès étaient restées inconnues. Dans un tel cas, l’obligation de mener une enquête effective aurait conservé toute sa pertinence, même à titre symbolique. La solution retenue ici est donc une décision d’espèce, étroitement liée à la conjonction d’une prescription acquise et d’une affaire pénalement résolue sur le plan factuel, bien que non jugée. Elle ne saurait être interprétée comme un blanc-seing donné aux États pour se soustraire à leurs obligations procédurales par le seul versement d’une indemnité, mais plutôt comme le constat d’une impasse juridique que la Cour ne peut elle-même surmonter.
La présente affaire, soumise à la Cour européenne des droits de l’homme, interroge l’étendue des garanties procédurales accordées aux mineurs dans le cadre d’une procédure pénale. Un adolescent, âgé de quinze ans au moment des faits, a été arrêté le 11 mars 2018 pour le meurtre d’une jeune fille de quatorze ans. Cette arrestation s’est déroulée en présence de sa mère. Informé de ses droits de garder le silence et de se faire assister par un avocat, le prévenu n’a cependant pas eu la possibilité de consulter confidentiellement l’un de ses parents avant son interrogatoire par la police. Il a pu échanger brièvement avec sa mère, mais toujours en présence des enquêteurs. À sa propre demande, l’interrogatoire s’est tenu sans la présence d’un avocat ni de sa mère, au cours duquel il a formulé des aveux partiels.
Devant le tribunal régional, le requérant a soulevé l’irrecevabilité de ces aveux, arguant d’une violation de son droit de consulter ses parents. Le tribunal a écarté cette objection, considérant que ce droit n’était pas encore formellement établi en droit allemand et que le prévenu avait eu l’occasion de parler à sa mère. Le 22 novembre 2018, se fondant notamment sur les premiers aveux, la juridiction a condamné le mineur à une peine de neuf ans d’emprisonnement. La Cour fédérale de justice, saisie d’un pourvoi, a rejeté celui-ci le 13 août 2019, estimant inutile de se prononcer sur l’existence du droit à la consultation parentale. Elle a jugé qu’« il n’y avait aucun indice d’une violation de ce droit et les aveux du requérant vis-à-vis de la police étaient admissibles comme moyen de preuve dans les circonstances particulières de l’espèce ». Finalement, la Cour constitutionnelle fédérale n’a pas admis le recours du requérant le 18 novembre 2020. Saisie de la requête, la Cour européenne des droits de l’homme doit donc déterminer si l’absence de possibilité pour un prévenu mineur de consulter confidentiellement ses parents avant un interrogatoire constitue une violation de l’article 6 de la Convention, qui garantit le droit à un procès équitable. La question posée aux parties révèle ainsi une interrogation profonde sur la nécessité de compléter les droits de la défense du mineur par une garantie adaptée à sa vulnérabilité.
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I. La consécration attendue du droit à la consultation parentale pour le prévenu mineur
La protection spéciale due aux mineurs en matière de justice pénale justifie une interprétation évolutive des garanties procédurales, qui pourrait mener à la reconnaissance d’un droit à la consultation parentale. Cette reconnaissance se fonde sur la vulnérabilité intrinsèque du mineur (A) et apparaît comme une condition indispensable à l’exercice effectif de ses autres droits (B).
A. Une garantie procédurale déduite de la vulnérabilité du mineur
La procédure pénale expose tout individu à une pression psychologique intense, mais cette pression est décuplée pour un mineur. La Cour européenne des droits de l’homme a constamment rappelé que les enfants et adolescents ne sont pas des adultes en miniature et que leur traitement judiciaire doit tenir compte de leur âge et de leur maturité. Les questions posées aux parties dans la présente affaire font explicitement référence à la nécessité de s’assurer que « Le requérant a-t-il été traité dès le début de manière à tenir compte de son âge, de sa maturité et de ses capacités sur le plan intellectuel et émotionnel ? ». Cette interrogation suggère que les garanties traditionnelles, telles que le droit à un avocat, peuvent se révéler insuffisantes pour un prévenu de quinze ans confronté à une accusation de meurtre.
La vulnérabilité du mineur n’est pas seulement une question d’immaturité, mais aussi de dépendance affective et psychologique envers ses figures parentales. Le droit de consulter un parent répond à ce besoin fondamental de soutien et de conseil dans un moment de crise extrême. Il ne s’agit pas de substituer le parent à l’avocat, mais de permettre au mineur de bénéficier d’un appui qui lui est familier pour appréhender la situation. Le tribunal régional allemand a pourtant estimé que « l’existence d’un tel droit n’était pas encore établi en droit allemand », ignorant ainsi la portée des principes généraux de protection de l’enfance. La Cour européenne pourrait donc saisir cette occasion pour affirmer que la vulnérabilité du mineur impose aux autorités des obligations positives, parmi lesquelles figure celle de faciliter un contact protecteur avec ses parents.
B. Une condition essentielle à l’exercice effectif des droits de la défense
Le droit à la consultation parentale n’est pas une simple commodité, mais une garantie qui conditionne l’effectivité des autres droits de la défense. Le requérant soutient à juste titre que ce droit est « aussi important que celui de se faire assister par un avocat car ces deux droits permettent précisément au prévenu d’exercer ses autres droits procéduraux de manière éclairée ». Un mineur, même informé de son droit de garder le silence, peut ne pas en mesurer pleinement les conséquences stratégiques. La décision de renoncer à la présence d’un avocat, comme ce fut le cas en l’espèce, peut être le fruit d’une appréciation faussée par la peur, la pression ou l’incompréhension.
La consultation d’un parent de confiance est susceptible de pallier ce déficit de discernement. Un parent, bien que n’étant pas un juriste, peut aider le mineur à comprendre la gravité de sa situation et l’inciter à accepter l’assistance d’un avocat. En l’absence de cette consultation préalable et confidentielle, la renonciation du mineur à ses droits peut être considérée comme viciée. La Cour devra déterminer si les autorités ont pris des mesures suffisantes « afin que le requérant comprenne la portée de ses droits et de ses actes ». La simple notification formelle des droits, sans un accompagnement adapté à l’âge du prévenu, ne saurait suffire à garantir un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention. L’affirmation de ce droit à la consultation parentale renforcerait donc considérablement l’arsenal protecteur du mineur.
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II. La définition des contours et de la sanction du droit à la consultation parentale
Si la Cour venait à consacrer le droit à la consultation parentale, elle devrait en préciser les modalités d’exercice ainsi que les conséquences de sa violation. Cela implique de définir les conditions de cette consultation, notamment son caractère confidentiel (A), et de déterminer la sanction applicable en cas de manquement, qui devrait être l’inadmissibilité des preuves obtenues (B).
A. Les modalités d’exercice du droit : le rôle crucial de la confidentialité
La valeur d’une consultation parentale réside dans la possibilité d’un échange sincère et libre, ce qui suppose une confidentialité absolue. Dans la présente affaire, le requérant n’a pu discuter avec sa mère qu’« en présence des policiers ». Un tel échange supervisé ne peut être qualifié de consultation véritable. La présence d’agents de l’État inhibe nécessairement la communication et empêche le parent d’exercer pleinement son rôle de soutien et de conseil. Le tribunal régional a pourtant considéré que ces brèves discussions suffisaient, ce qui révèle une conception erronée de la nature de ce droit.
Les questions posées par la Cour aux parties sont à cet égard déterminantes : « La consultation doit-elle être confidentielle ou peut-elle être effectuée en présence d’un agent de l’État ? ». La réponse semble devoir s’orienter vers une exigence de confidentialité, par analogie avec la consultation de l’avocat. Sans cette garantie, le droit serait vidé de sa substance. La Cour devra également clarifier à quel moment ce droit doit être exercé, la logique imposant qu’il le soit avant tout interrogatoire, afin que le mineur puisse prendre ses décisions en toute connaissance de cause. La reconnaissance de ce droit doit donc s’accompagner de la définition de modalités précises qui en assurent l’effectivité.
B. La sanction de la méconnaissance du droit : l’inadmissibilité des aveux comme moyen de preuve
La sanction la plus efficace en cas de violation d’une garantie procédurale touchant aux droits de la défense est l’exclusion des preuves obtenues irrégulièrement. En l’espèce, la condamnation du requérant a été prononcée en se fondant « notamment sur les aveux faits devant la police ». Or, ces aveux ont été recueillis après que le mineur a renoncé à ses droits, sans avoir pu bénéficier d’une consultation confidentielle avec un parent. Si la Cour établit que cette absence de consultation constitue une violation de l’article 6, il s’ensuit logiquement que les aveux qui en résultent sont entachés d’irrégularité.
La Cour fédérale de justice a pourtant considéré ces aveux comme « admissibles comme moyen de preuve dans les circonstances particulières de l’espèce », sans motiver précisément quelles étaient ces circonstances. Cette approche pragmatique, qui évalue au cas par cas l’impact d’une irrégularité, affaiblit la portée des garanties procédurales. Pour être dissuasive, la sanction doit être claire : la méconnaissance du droit d’un mineur à la consultation parentale doit entraîner l’inadmissibilité des déclarations recueillies ultérieurement. Une telle solution obligerait les autorités nationales à intégrer pleinement cette garantie dans leurs pratiques et à assurer ainsi une protection renforcée et non théorique des prévenus mineurs, conformément aux exigences d’un procès véritablement équitable.
Par une communication du 23 juin 2025, la Cour européenne des droits de l’homme a soulevé plusieurs questions préjudicielles dans une affaire concernant la condamnation d’une personne pour meurtre par une juridiction d’appel, alors que la première instance l’avait reconnue coupable d’un délit moins grave. Une personne, poursuivie pénalement, avait été condamnée en première instance par une cour d’assises pour homicide involontaire, les juges retenant un excès involontaire de légitime défense. Sur appel, vraisemblablement du ministère public, la cour d’assises d’appel de Milan a infirmé ce jugement et, statuant à nouveau, a déclaré l’accusée coupable de meurtre. Cette requalification et la condamnation subséquente ont été prononcées sans que la juridiction de second degré n’ait procédé à une nouvelle audition de l’intéressée ni des témoins entendus lors du premier procès. Saisis par la personne condamnée, les juges européens ont donc posé aux parties deux questions distinctes. Il s’agissait de déterminer si une cour d’appel peut, sans procéder à de nouvelles auditions, réformer en défaveur de l’accusé une décision de première instance en procédant à une nouvelle appréciation des faits et de l’intention coupable de l’intéressé. À travers ses interrogations, la Cour suggère que la modification de la déclaration de culpabilité pour un crime plus grave exige une confrontation directe avec l’accusé et les preuves testimoniales, conformément aux garanties du procès équitable.
Le raisonnement de la Cour européenne se déploie en deux temps. D’une part, il interroge la compatibilité d’une condamnation aggravée en appel avec l’absence d’audition personnelle de l’accusé, ce qui touche au cœur du droit à un procès équitable (I). D’autre part, il questionne la validité d’une telle décision lorsque celle-ci est fondée sur une réévaluation des témoignages sans que les témoins aient été de nouveau entendus par les juges d’appel, ce qui met en cause le principe d’immédiateté de la preuve (II).
I. La réformation de la culpabilité en appel au mépris du droit à une audience personnelle
La première question soulevée par la Cour porte sur le manquement potentiel aux garanties du procès équitable lorsque la condamnation pour une infraction plus grave est prononcée en l’absence de l’accusé devant la juridiction d’appel. Cette situation met en lumière la tension entre la souveraineté d’appréciation des juges du fond et les droits de la défense, particulièrement lorsque la requalification des faits repose sur une nouvelle analyse de l’élément intentionnel (A), ce qui rend indispensable une examination directe et contradictoire de la personne poursuivie (B).
A. L’aggravation de la charge sur la base du dossier
En l’espèce, la juridiction de second degré a transformé une condamnation pour homicide involontaire en une condamnation pour meurtre. Ce passage d’une qualification à l’autre n’est pas anodin, car il suppose une appréciation radicalement différente de l’état d’esprit de l’accusé au moment des faits. Les premiers juges avaient retenu un « excès involontaire de légitime défense », tandis que les seconds ont conclu à l’existence d’une intention homicide. Or, cette réévaluation a été faite sans que la cour d’assises d’appel n’entende personnellement la requérante. La Cour européenne des droits de l’homme s’interroge donc sur le fait que la « condamnation de la requérante par la cour d’assises d’appel de Milan sans être entendue personnellement a porté atteinte aux principes du procès équitable ». Cette interrogation suggère qu’une telle modification, loin d’être une simple révision en droit, constitue une nouvelle appréciation des faits qui ne peut se faire sur la seule base des pièces du dossier.
B. L’exigence d’une confrontation directe avec l’accusé
La jurisprudence constante de la Cour européenne, rappelée dans les visas de la communication, établit que lorsqu’une juridiction d’appel est amenée à statuer sur la culpabilité d’un accusé en réexaminant des questions de fait et de crédibilité, une audition directe de ce dernier est généralement requise. L’appréciation de l’intention, de la personnalité et de la fiabilité des déclarations d’un accusé est un exercice qui peut difficilement être mené à bien à partir de simples procès-verbaux. Le passage d’un homicide involontaire, où l’intention de tuer est absente, à un meurtre, qui la présuppose, exige une analyse fine de l’élément psychologique de l’infraction. Seule une confrontation directe permet aux juges de forger leur intime conviction en observant le comportement de l’accusé et en le soumettant à un interrogatoire contradictoire, garantissant ainsi pleinement les droits de la défense.
Au-delà de l’absence de l’accusé, la Cour s’est également penchée sur la méthode d’appréciation des preuves testimoniales par la juridiction d’appel, prolongeant ainsi sa réflexion sur les exigences d’un procès équitable.
II. L’appréciation indirecte des témoignages et l’exigence d’immédiateté de la preuve
La seconde interrogation de la Cour concerne la violation potentielle de l’article 6 de la Convention en raison de l’absence de nouvelle audition des témoins en appel. Cette question met en exergue l’importance du principe d’immédiateté dans l’administration de la justice pénale, d’abord en soulignant les limites d’une justice fondée sur la relecture des dépositions (A), ensuite en rappelant la nécessité pour le juge qui condamne d’avoir perçu directement la substance de la preuve (B).
A. Le refus de procéder à une nouvelle audition des témoins
La cour d’assises d’appel a fondé sa décision sur les déclarations testimoniales recueillies durant le procès de première instance, sans juger utile de procéder à une nouvelle audition. La Cour européenne demande si « l’absence de nouvelle audition par ladite cour d’assises d’appel des témoins qui avaient rendu des déclarations devant la cour de première instance a-t-elle intégré une violation de l’article 6 § 1 de la Convention ». En posant cette question, la Cour suggère que le simple examen des transcriptions d’auditions est insuffisant lorsque la crédibilité et l’interprétation des témoignages sont au cœur de la décision de culpabilité. Les juges d’appel, en choisissant de ne pas réentendre les témoins, se sont privés de la possibilité de percevoir directement des éléments non verbaux essentiels tels que l’assurance, l’hésitation ou le langage corporel, qui contribuent à l’évaluation de la fiabilité d’un témoignage.
B. La nécessité d’une perception directe de la preuve testimoniale
Le principe d’immédiateté exige que la preuve soit administrée devant le juge qui est appelé à statuer. Lorsqu’une juridiction d’appel est conduite non seulement à réviser l’application du droit, mais aussi à réapprécier entièrement les faits, elle doit le faire en respectant les mêmes garanties qu’en première instance. Cela inclut le droit pour l’accusation et la défense d’interroger les témoins devant les juges qui auront la responsabilité finale de la décision. S’appuyer sur de simples retranscriptions place les parties dans une situation inégale, car le débat contradictoire ne porte plus sur une preuve vivante mais sur un document figé. La référence à l’arrêt *Lorefice c. Italie* confirme que, pour la Cour, la possibilité pour un accusé de confronter les témoins à charge devant les juges qui le condamnent est une composante fondamentale du procès équitable.
Par une décision du 16 février 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a précisé les contours de l’exigence de motivation des arrêts de cour d’assises au regard de l’article 6 § 1 de la Convention.
En l’espèce, un individu a été mis en accusation pour des faits de meurtre consécutifs à un différend de voisinage. Par un arrêt du 26 février 2014, la cour d’assises du département de Loire-Atlantique l’a déclaré coupable et l’a condamné à une peine de dix ans de réclusion criminelle. L’accusé a interjeté appel de cette décision. La cour d’assises du département du Morbihan, statuant en appel, a confirmé par un arrêt du 29 juin 2017 la déclaration de culpabilité et a prononcé une peine identique de dix ans de réclusion, assortie de mesures complémentaires. L’accusé a alors formé un pourvoi en cassation, soulevant notamment une violation de l’article 6 de la Convention en raison d’une motivation insuffisante de la peine prononcée. Parallèlement, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité dans une autre affaire, avait déclaré, par une décision du 2 mars 2018, l’absence de motivation de la peine par les cours d’assises contraire à la Constitution, tout en différant l’abrogation de la disposition concernée au 1er mars 2019 et en excluant toute contestation pour les arrêts rendus avant sa décision. Par un arrêt du 9 janvier 2019, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, écartant le grief tiré de l’inconventionnalité de la motivation au motif que les garanties procédurales offertes et la motivation des faits permettaient à l’accusé de comprendre sa condamnation. Le requérant a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, estimant que l’absence de motivation spécifique de la peine portait atteinte à son droit à un procès équitable.
Il revenait donc à la Cour de déterminer si la motivation d’un arrêt de cour d’assises, qui expose en détail les éléments factuels fondant la culpabilité sans individualiser formellement les raisons du quantum de la peine, est suffisante au regard des exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.
La Cour européenne des droits de l’homme a déclaré la requête irrecevable comme étant manifestement mal fondée. Elle a estimé que le requérant avait bénéficié de garanties suffisantes pour comprendre le verdict prononcé à son encontre. La Cour a jugé que « le nombre et la précision des éléments factuels exposés sur une page et demie dans la feuille de motivation annexée à l’arrêt de la cour d’assises d’appel sont de nature à permettre au requérant de comprendre tant les raisons de sa condamnation que le quantum de sa peine ». Elle a ajouté que ces éléments, qui écartaient notamment la légitime défense, avaient conduit les juges à fixer une peine dans les limites légales, sans qu’aucune arbitrariété ne puisse être décelée.
La solution retenue par la Cour confirme une appréciation pragmatique de l’obligation de motivation qui pèse sur les cours d’assises (I), tout en validant l’appréciation souveraine des juges nationaux quant à la capacité de l’accusé à comparaître (II).
I. La confirmation d’une appréciation pragmatique de l’exigence de motivation
La décision de la Cour européenne des droits de l’homme s’inscrit dans une jurisprudence constante qui n’exige pas une motivation distincte pour la peine, dès lors que les faits justifiant la culpabilité sont suffisamment détaillés (A), se refusant ainsi à toute immixtion dans l’application du droit interne transitoire français (B).
A. La suffisance d’une motivation factuelle détaillée pour comprendre la peine
La Cour considère que le droit à un procès équitable n’impose pas une dissociation formelle entre la motivation relative à la culpabilité et celle afférente à la peine. En l’espèce, elle estime que la feuille de motivation, bien que principalement axée sur la déclaration de culpabilité, offrait au requérant les clés de compréhension de la sanction. En effet, la Cour relève que la motivation de l’arrêt d’appel a permis d’écarter la thèse de la légitime défense, ce qui constitue un élément essentiel pour apprécier la gravité des faits et, par conséquent, la sévérité de la peine. Les juges européens adoptent une approche globale, considérant que les éléments factuels qui établissent l’intention homicide et les circonstances du crime suffisent à justifier implicitement le quantum de la peine retenue. Selon la Cour, « le nombre et la précision des éléments factuels » suffisent à éclairer l’accusé. Cette position pragmatique évite d’imposer un formalisme excessif aux juridictions criminelles nationales, pourvu que le raisonnement des juges demeure accessible et exempt d’arbitraire.
La Cour s’attache donc à une analyse concrète des garanties procédurales dont a bénéficié l’accusé tout au long de la procédure.
B. Le refus d’une immixtion dans le droit interne transitoire
Le requérant se prévalait de l’évolution du droit français, marquée par la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2018 qui a consacré l’obligation de motiver la peine. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme prend acte de la modulation dans le temps des effets de cette décision. Le Conseil constitutionnel avait en effet reporté l’entrée en vigueur de la nouvelle exigence et exclu son application aux décisions définitives antérieures, pour des motifs de sécurité juridique. L’arrêt d’appel contesté ayant été rendu le 29 juin 2017, il n’était pas soumis à cette nouvelle obligation. La Cour européenne respecte ce choix du juge constitutionnel national et refuse de sanctionner la France sur ce fondement. Elle confirme ainsi le principe de subsidiarité, selon lequel il ne lui appartient pas de se substituer aux juridictions internes pour interpréter ou appliquer le droit national, y compris ses dispositions transitoires. Son contrôle se limite à vérifier que la procédure, dans son ensemble, n’a pas été entachée d’arbitraire, ce qu’elle écarte en l’espèce.
Cette même déférence envers l’appréciation des juges nationaux se manifeste dans l’examen du second grief du requérant.
II. La validation de la gestion de l’absence de l’accusé par les juges du fond
La Cour approuve la position des juridictions internes qui ont refusé de reporter le procès malgré l’absence de l’accusé, en faisant peser sur ce dernier la charge de prouver son incapacité (A) et en consacrant la primauté de l’appréciation souveraine des juges en l’absence de toute arbitrariété (B).
A. La charge de la justification pesant sur l’accusé alléguant une incapacité
Le requérant soutenait que son état de santé ne lui permettait pas de comparaître, portant ainsi atteinte à ses droits de la défense. La Cour rejette cet argument en se fondant sur les constatations des juges nationaux. Elle relève que l’accusé a refusé de se présenter dans la salle de visioconférence en invoquant une simple indisposition, sans fournir le moindre justificatif. La Cour de cassation avait souligné que « ni l’accusé ni son avocat n’ont produit un quelconque document médical attestant de l’impossibilité pour le requérant de rejoindre la salle de visioconférence ». Le droit de comparaître à son procès n’est pas absolu et peut être tempéré lorsque l’accusé ne met pas la juridiction en mesure de vérifier le bien-fondé de son empêchement. En s’abstenant de solliciter un constat médical immédiat ou de produire des pièces justificatives, le requérant a manqué à son obligation de corroborer ses allégations, ce qui a légitimement conduit les juges à poursuivre les débats.
Cette solution repose sur une appréciation souveraine des faits par les juges du fond, que la Cour européenne n’entend pas remettre en cause.
B. La primauté de l’appréciation souveraine des juges en l’absence d’arbitraire
La Cour européenne des droits de l’homme rappelle qu’il appartient en premier lieu aux juridictions nationales d’apprécier la pertinence et la force probante des éléments qui leur sont soumis. En l’espèce, la cour d’assises avait non seulement constaté l’absence de justification de l’indisposition alléguée, mais s’était également appuyée sur deux expertises médicales antérieures. Ces dernières ne faisaient état d’aucune contre-indication à la comparution du requérant et leurs conclusions avaient été soumises à un débat contradictoire. En l’absence de tout élément nouveau et probant, les juges du fond étaient donc fondés à considérer que l’accusé était en capacité de suivre les débats. La Cour européenne estime que cette appréciation n’est entachée d’aucun arbitraire et qu’elle relève du pouvoir souverain des juges nationaux dans la conduite du procès. Elle confirme ainsi que son rôle n’est pas celui d’une juridiction de quatrième instance et qu’elle n’intervient que dans les cas de violation manifeste des droits garantis par la Convention, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Par une décision du 16 février 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a été amenée à se prononcer sur la conformité des exigences de motivation des arrêts de cour d’assises au droit à un procès équitable. En l’espèce, un individu a été interpellé à la suite d’une rixe au cours de laquelle il a porté des coups de couteau à deux personnes. Mis en accusation pour tentative de meurtre, arrestation, enlèvement, séquestration ainsi que pour violences volontaires aggravées en état de récidive légale, il a été reconnu coupable par la cour d’assises du Pas-de-Calais le 14 octobre 2015, qui l’a condamné à une peine de dix ans d’emprisonnement. L’accusé a interjeté appel de cette décision. Par un arrêt du 13 janvier 2017, la cour d’assises du Nord, statuant en appel, a confirmé la déclaration de culpabilité et le quantum de la peine. Les juges du fond ont écarté la légitime défense et ont justifié leur décision dans une feuille de motivation annexée à l’arrêt, énumérant les éléments factuels fondant la culpabilité de l’accusé pour chaque infraction. L’accusé a alors formé un pourvoi en cassation, faisant valoir une motivation insuffisante au regard de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment en ce qui concerne la caractérisation des éléments matériel et intentionnel de la tentative d’homicide. La Cour de cassation, par un arrêt du 10 janvier 2018, a rejeté le pourvoi au motif que la motivation de la cour d’assises d’appel était suffisante. Saisissant la Cour européenne des droits de l’homme, le requérant a soutenu que l’insuffisance de la motivation de l’arrêt d’appel, particulièrement quant au choix de la peine, violait son droit à un procès équitable.
Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si la motivation d’un arrêt de cour d’assises, qui expose les éléments factuels justifiant la culpabilité et mentionne l’état de récidive légale sans détailler explicitement les raisons du quantum de la peine prononcée, répond aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.
La Cour européenne des droits de l’homme déclare la requête irrecevable comme étant manifestement mal fondée. Elle estime que les éléments factuels précis contenus dans la feuille de motivation, combinés à la mention de l’état de récidive légale de l’accusé, constituaient des garanties suffisantes permettant au requérant de comprendre les raisons de sa condamnation et de la peine infligée. La Cour juge ainsi que la motivation, bien que succincte sur le quantum de la peine, n’était pas arbitraire et respectait les exigences conventionnelles.
La solution retenue par la Cour européenne des droits de l’homme confirme une approche pragmatique de l’obligation de motivation des verdicts criminels (I), tout en délimitant la portée du contrôle européen sur l’individualisation de la peine (II).
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I. La confirmation d’une conception pragmatique de la motivation
La Cour européenne valide la motivation de l’arrêt de la cour d’assises en se fondant sur une appréciation globale des informations fournies à l’accusé. Elle estime que la motivation était suffisante pour justifier la déclaration de culpabilité (A) et que les raisons de la peine, bien qu’implicites, étaient compréhensibles (B).
A. La suffisance de la motivation relative à la culpabilité
La décision de la Cour s’inscrit dans le prolongement de sa jurisprudence antérieure concernant la réforme de la procédure d’assises en France par la loi du 10 août 2011. Depuis cette loi, qui a introduit l’article 365-1 du code de procédure pénale, les arrêts des cours d’assises doivent être motivés, mettant fin au système de l’intime conviction opaque. La Cour constate en l’espèce que la feuille de motivation annexée à l’arrêt d’appel détaillait précisément les éléments factuels qui avaient conduit les jurés et les magistrats à retenir la culpabilité du requérant.
Cette motivation factuelle permettait, selon les juges européens, de comprendre pourquoi la thèse de la légitime défense avait été écartée et comment les éléments constitutifs de chaque infraction, y compris l’intention homicide, avaient été établis. La Cour relève que « le nombre et la précision des éléments factuels exposés sur une page dans la feuille de motivation » étaient de nature à éclairer l’accusé sur les raisons de sa condamnation. En validant cette méthode, la Cour confirme qu’elle n’exige pas une dissertation juridique, mais une explicitation des principaux éléments à charge ayant emporté la conviction de la juridiction de jugement, offrant ainsi au condamné la substance de la décision prise à son encontre.
B. La déduction de la motivation relative à la peine
Le point le plus sensible de la requête concernait le manque de motivation spécifique sur le quantum de la peine de dix ans d’emprisonnement. Le requérant se plaignait de ne pas comprendre pourquoi cette durée avait été choisie. La Cour rejette cet argument en adoptant un raisonnement synthétique. Elle considère que la motivation de la peine découlait implicitement mais nécessairement de deux éléments distincts mentionnés dans la décision des juges du fond.
D’une part, la gravité des faits, telle que détaillée dans la motivation sur la culpabilité, justifiait une peine sévère. D’autre part, et de manière déterminante, l’arrêt d’appel avait souligné que le requérant se trouvait « en état de récidive légale ». Pour la Cour, cette mention, combinée aux faits eux-mêmes et au respect des peines maximales prévues par le code pénal, suffisait à rendre la sanction compréhensible. La Cour n’exige donc pas une motivation arithmétique de la peine, mais considère que la référence à des circonstances aggravantes objectives et légales, comme la récidive, peut tenir lieu de justification suffisante, pourvu que la procédure dans son ensemble ne révèle aucun caractère arbitraire.
II. La portée limitée du contrôle européen sur l’individualisation de la peine
En déclarant la requête manifestement mal fondée, la Cour réaffirme les limites de son contrôle sur les décisions des juridictions nationales en matière pénale. Elle refuse d’imposer une exigence de justification détaillée pour le choix de la peine (A), cantonnant sa décision au rang d’une solution d’espèce qui ne remet pas en cause les équilibres existants (B).
A. Le refus d’une exigence de justification détaillée du quantum
La décision de la Cour européenne des droits de l’homme marque une frontière claire : si l’article 6 § 1 impose de motiver la déclaration de culpabilité, il n’exige pas des juridictions nationales qu’elles fournissent un exposé détaillé des motifs les ayant conduites à fixer la peine à un certain niveau, à l’intérieur de la fourchette légale. La Cour se contente de vérifier l’absence d’arbitraire et la présence de garanties permettant à l’accusé de comprendre globalement le verdict. Cette approche préserve une marge d’appréciation importante aux juges nationaux dans l’exercice de leur pouvoir d’individualisation.
Cette retenue peut être vue comme un gage de réalisme, évitant d’imposer aux cours d’assises une tâche qui pourrait s’avérer excessivement formelle. Cependant, elle peut aussi être perçue comme une protection minimale, laissant le condamné dans une relative incertitude quant aux poids respectifs des différents facteurs — personnalité, gravité des faits, circonstances atténuantes ou aggravantes — dans la détermination finale de sa peine. La solution s’écarte ainsi d’une conception plus exigeante de la transparence de la justice pénale, qui tendrait à vouloir que chaque aspect de la sanction soit explicitement justifié.
B. Une décision d’espèce confirmant une jurisprudence établie
La nature même de la décision, rendue par un comité de trois juges, et sa conclusion d’irrecevabilité, indiquent qu’elle n’a pas pour vocation de modifier l’état du droit. La Cour se borne à appliquer ses principes bien établis, notamment ceux dégagés dans les arrêts *Lhermitte c. Belgique* et la série d’affaires françaises de 2013, au contexte de la motivation écrite désormais obligatoire en France. La décision ne fait que confirmer que le standard européen de motivation demeure flexible et s’accommode d’une certaine dose d’implicite.
Par conséquent, la portée de cette décision est principalement illustrative. Elle signale aux juridictions nationales que la mention de circonstances aggravantes objectives et légales, telles que la récidive, est un élément clé pour satisfaire aux exigences de l’article 6 § 1 s’agissant de la peine. Loin de constituer un revirement ou une avancée jurisprudentielle, cet arrêt consolide une ligne pragmatique et déférente envers l’office du juge pénal national, pour qui l’essentiel demeure de fonder sa décision sur des éléments de preuve concrets et de statuer sans arbitraire.
Par un arrêt en date du 15 septembre 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a statué sur la conventionalité de l’usage d’une force potentiellement létale par des agents de l’État et sur l’effectivité de l’enquête subséquente. En l’espèce, plusieurs ressortissants d’un État membre, se déplaçant dans une zone rurale, ont été la cible de tirs de la part de militaires engagés dans une opération antiterroriste. L’un des individus a été grièvement blessé par balles, engageant son pronostic vital, tandis que les autres, bien qu’indemnes, ont été exposés à un péril mortel. Les requérants soutenaient que les militaires avaient fait un usage excessif et injustifié de la force, en violation de leur droit à la vie.
Saisies d’une plainte, les autorités judiciaires nationales ont ouvert une enquête préliminaire. Cependant, en application d’une loi spécifique régissant les poursuites contre les fonctionnaires, le procureur a dû solliciter une autorisation de poursuivre auprès de l’autorité préfectorale. Après un premier refus annulé par la juridiction administrative, une enquête administrative a été confiée à un officier de gendarmerie. Sur la base du rapport de cet officier, qui concluait à l’absence de responsabilité des militaires impliqués, le préfet a de nouveau refusé l’autorisation de poursuivre. Cette décision a contraint le procureur à prononcer une ordonnance de non-lieu, laquelle fut confirmée en dernière instance par une cour d’assises. Devant la Cour européenne, l’État défendeur arguait que l’usage de la force était justifié par le contexte de l’opération et par la conviction, jugée raisonnable, que les individus étaient des terroristes.
Il revenait ainsi à la Cour de déterminer si l’usage d’une force, ayant causé des blessures engageant le pronostic vital d’un individu et mis en péril la vie d’autres, était absolument nécessaire au sens de l’article 2 de la Convention. De surcroît, elle devait apprécier si l’enquête menée par les autorités nationales pour établir les circonstances de cet usage de la force répondait aux exigences d’indépendance et d’effectivité découlant de cette même disposition.
La Cour conclut à une violation de l’article 2 de la Convention. Elle juge que l’enquête menée n’a pas été effective, notamment en raison d’un défaut d’indépendance institutionnelle de l’organe chargé des investigations. Cette défaillance procédurale l’empêche de considérer que l’État défendeur a démontré la nécessité absolue et la proportionnalité du recours à la force, emportant ainsi une violation du volet tant procédural que matériel de l’article 2.
La solution de la Cour s’articule autour d’un constat principal : c’est l’ineffectivité de l’enquête qui constitue le fondement de la violation constatée (I). Cette défaillance procédurale a ensuite une portée étendue, car elle conditionne entièrement l’appréciation du recours à la force par les agents de l’État (II).
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I. L’ineffectivité de l’enquête comme fondement de la violation
La Cour fonde sa décision sur les carences de l’enquête interne, relevant à la fois un défaut structurel d’indépendance de celle-ci (A) et l’insuffisance de son champ d’analyse (B).
A. Le défaut d’indépendance de l’enquête administrative
L’appréciation de la Cour se porte d’abord sur la nature de l’enquête qui a conduit au non-lieu. Elle note que l’intervention de l’autorité préfectorale a mis un terme à l’enquête pénale initialement ouverte par le parquet. L’enquête qui a réellement eu lieu était de nature purement administrative et non judiciaire. Or, la Cour souligne que cette enquête a été « confiée à un lieutenant-colonel de la gendarmerie et elle portait sur la responsabilité du peloton de gendarmes mis en cause ».
Cette configuration pose un problème fondamental d’indépendance. La Cour estime en effet que même en l’absence de lien hiérarchique direct, l’existence d’un « lien institutionnel » entre l’enquêteur et les personnes mises en cause est suffisante pour vicier la procédure. L’officier chargé de l’enquête appartenait au même corps que les militaires dont il devait examiner la conduite. Cette situation est incompatible avec l’exigence d’une enquête menée par des personnes indépendantes des faits et des protagonistes. En outre, la Cour réitère ses doutes quant à l’indépendance des instances préfectorales elles-mêmes, qu’elle considère comme non indépendantes du pouvoir exécutif, ce qui renforce le caractère non effectif de la procédure.
B. L’insuffisance de l’objet de l’enquête menée
Au-delà du défaut d’indépendance, la Cour critique le contenu même de l’enquête administrative. Elle constate que celle-ci a eu un objectif limité et inadapté aux exigences de l’article 2 de la Convention. L’enquête a principalement cherché à déterminer si les militaires avaient pu légitimement croire qu’ils faisaient face à des terroristes. Cependant, elle n’a pas abordé la question cruciale de la nécessité et de la proportionnalité de la force employée.
La Cour précise que « l’enquête administrative s’est concentrée sur la question de savoir si les gendarmes avaient pu considérer les requérants comme des terroristes mais qu’elle ne s’est pas penchée sur la question de la nécessité absolue en particulier de la stricte proportionnalité de l’usage de la force meurtrière ». De même, l’organisation et la planification de l’opération n’ont pas fait l’objet d’un examen permettant de vérifier si toutes les précautions avaient été prises pour minimiser les risques. L’enquête n’était donc pas apte à établir les faits de manière complète ni à déterminer si le recours à la force, potentiellement létale, était justifié au regard des critères stricts de l’article 2.
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II. La portée étendue de la défaillance procédurale sur l’appréciation du recours à la force
L’inefficacité de l’enquête interne emporte des conséquences directes sur l’analyse matérielle du grief, conduisant à un renversement de la charge de la preuve (A) et à la réaffirmation des conditions rigoureuses de justification de la force (B).
A. Le renversement de la charge de la preuve en l’absence d’enquête effective
La Cour rappelle le principe selon lequel, dans les affaires où les autorités de l’État ont un contrôle exclusif sur les événements, la charge de la preuve leur incombe. Il appartient au gouvernement de fournir une explication plausible et convaincante des faits. En l’espèce, l’enquête nationale, en raison de ses défaillances, n’a pas permis d’établir les circonstances exactes de la fusillade.
Cette carence procédurale a une conséquence matérielle directe. La Cour estime que, les faits n’ayant pas été établis par une enquête effective, l’État ne peut satisfaire à son obligation probatoire. Elle juge que « le Gouvernement par conséquent ne pourrait non plus passer pour avoir démontré à la Cour que la force utilisée était absolument nécessaire et proportionnelle dans les circonstances de l’affaire ». L’absence d’une enquête adéquate et indépendante crée un vide factuel que l’État ne peut combler devant la Cour. Le volet procédural et le volet matériel de l’article 2 apparaissent ainsi inextricablement liés : le manquement à l’un entraîne l’incapacité de se justifier au titre de l’autre.
B. La réaffirmation de l’exigence d’une justification stricte de la force potentiellement létale
En constatant la violation de l’article 2, la Cour réaffirme que les exceptions prévues au second paragraphe de cette disposition sont d’interprétation stricte. L’usage de la force, a fortiori lorsqu’elle est potentiellement meurtrière, doit être « absolument nécessaire ». Cette nécessité ne s’apprécie pas seulement au regard de la conviction subjective de l’agent, mais aussi à travers l’analyse objective des circonstances, notamment la planification et le contrôle de l’opération.
En l’espèce, l’ineffectivité de l’enquête a précisément empêché cet examen approfondi. La Cour rappelle qu’il faut examiner « si l’opération était organisée de manière à réduire autant que possible les risques liés à l’usage de la force meurtrière ». Faute d’éléments probants issus d’une enquête conforme aux standards de la Convention, une telle analyse est impossible. Par cette décision, la Cour rappelle aux États que l’obligation de protéger la vie ne se limite pas à ne pas la prendre arbitrairement, mais impose également de mettre en place des garanties procédurales robustes permettant de contrôler rigoureusement toute action étatique ayant conduit, ou ayant risqué de conduire, à la mort.
Un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 4 avril 2024 offre un éclairage sur l’articulation délicate entre les nécessités de l’enquête pénale et la protection du droit au respect de la vie privée. En l’espèce, à la suite de la parution d’un article de presse relatif au meurtre de son frère, un individu avait menacé de faire incendier les locaux de l’organe de presse si d’autres publications concernant sa famille étaient diffusées. Interpellé et placé en garde à vue, l’intéressé refusa de se soumettre à un prélèvement biologique destiné au fichier national automatisé des empreintes génétiques ainsi qu’à un relevé signalétique pour le fichier automatisé des empreintes digitales.
Poursuivi devant les juridictions répressives, il fut condamné par le tribunal correctionnel de Châteauroux, le 4 janvier 2023, pour menace de destruction dangereuse et refus de relevé signalétique, ainsi que pour le refus de se soumettre au prélèvement biologique. L’intéressé interjeta appel de cette décision. Par un arrêt du 6 juillet 2023, la cour d’appel de Bourges confirma sa culpabilité tout en aggravant les peines prononcées. Les juges du fond retinrent que les menaces étaient précises et que la collecte des données biométriques constituait un moyen efficace d’identifier les auteurs d’un éventuel incendie criminel ou d’innocenter le prévenu. Ils relevèrent également la gravité de l’infraction de menaces, une condamnation antérieure pour harcèlement et un profil psychologique présentant un trouble de la personnalité. L’individu forma alors un pourvoi en cassation, arguant notamment d’une violation de la directive européenne 2016/680.
Il s’agissait donc pour la Cour de cassation de déterminer si une condamnation pénale pour refus de se conformer à une collecte de données biométriques et génétiques, opposé par une personne soupçonnée de menaces de destruction, constitue une ingérence proportionnée au droit au respect de sa vie privée.
La haute juridiction rejeta le pourvoi. Elle estima que la cour d’appel avait valablement justifié sa décision en caractérisant la proportionnalité de la sanction. La Cour de cassation a jugé que l’atteinte portée à la vie privée du prévenu était « absolument nécessaire à la prévention d’une infraction pénale grave dont il avait menacé qu’elle soit commise et à la conduite de l’enquête pouvant en résulter », tout en soulignant la prise en compte des éléments relatifs à la personnalité de l’intéressé.
L’analyse de cette décision révèle une justification de l’atteinte au droit au respect de la vie privée assise sur des fondements précis (I), dont l’appréciation de la proportionnalité fait l’objet d’un contrôle approfondi (II).
I. La justification de l’atteinte au droit au respect de la vie privée
La condamnation pour le refus de prélèvement s’analyse comme une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, que les juges justifient par une double considération. L’ingérence est d’abord fondée sur la finalité préventive de la mesure (A), avant d’être consolidée par les particularités de la situation personnelle du mis en cause (B).
A. Une ingérence fondée sur la prévention d’une infraction future
Le raisonnement des juridictions du fond, validé par la Cour de cassation, ancre la nécessité des prélèvements non pas dans la répression d’une infraction passée, mais dans l’anticipation d’un crime à venir. La menace de destruction par incendie, infraction grave, a été jugée suffisamment sérieuse pour légitimer une mesure destinée à faciliter l’élucidation d’un éventuel passage à l’acte. La cour d’appel de Bourges avait ainsi relevé que « la collecte des données biométriques et génétiques du requérant apparaissait comme le moyen le plus efficace d’identifier le ou les auteurs d’un incendie criminel voire d’innocenter le requérant ».
Cette approche prospective confère aux opérations de relevés signalétiques et génétiques une fonction de prévention et de préparation probatoire. L’enregistrement des empreintes est présenté comme un outil indispensable pour l’efficacité d’une enquête future, permettant d’accélérer l’identification des responsables en cas de réalisation de la menace. L’ingérence dans la vie privée de l’individu n’est donc pas envisagée comme une fin en soi, mais comme un moyen proportionné à la gravité du péril annoncé et à l’objectif de sauvegarde de l’ordre public.
B. Une nécessité renforcée par le contexte personnel du prévenu
Au-delà de la nature de l’infraction, les juges ont accordé une importance déterminante au profil de l’auteur présumé des menaces pour évaluer la nécessité de l’ingérence. La décision de la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, s’appuie explicitement sur « les éléments de contexte relatifs à sa personnalité ». Ces éléments incluaient une condamnation pénale antérieure pour des faits de harcèlement, ainsi qu’un profil psychologique décrit comme présentant « un grave trouble de la personnalité ainsi qu’une absence totale de remise en cause ».
La prise en compte de ces facteurs subjectifs ancre l’analyse de la proportionnalité dans une démarche concrète, éloignée d’une application automatique de la loi. Elle suggère que le risque de passage à l’acte a été estimé plus élevé en raison de ce contexte personnel, rendant d’autant plus nécessaire la collecte des données. Cette personnalisation de l’appréciation permet de justifier une atteinte qui, face à un autre profil, aurait pu être jugée excessive.
Si les motifs justifiant l’ingérence sont ainsi établis, l’équilibre opéré par le juge entre les impératifs de sécurité et les libertés individuelles mérite une analyse approfondie.
II. L’appréciation de la proportionnalité de l’ingérence
La Cour de cassation exerce un contrôle sur la manière dont les juges du fond ont appliqué le test de proportionnalité. Ce contrôle de la motivation des décisions (A) révèle une volonté d’alignement avec les exigences du droit européen, dont la portée finale reste cependant à confirmer (B).
A. Le contrôle de la motivation des juges du fond
Dans son arrêt, la Cour de cassation ne substitue pas sa propre appréciation de la proportionnalité à celle de la cour d’appel. Elle opère un contrôle de la motivation, vérifiant que les juges du fond ont effectivement procédé à la mise en balance des intérêts en présence et ont suffisamment justifié leur décision. Elle estime ainsi que la cour d’appel « avait caractérisé la proportionnalité de la sanction », en relevant que l’atteinte était « absolument nécessaire ».
Cette méthode du contrôle concret témoigne de l’intériorisation par la haute juridiction des standards imposés par la Cour européenne des droits de l’homme. Il ne suffit pas que l’ingérence soit prévue par la loi et poursuive un but légitime ; elle doit également être nécessaire dans une société démocratique. En validant un raisonnement qui prend en compte la gravité de l’infraction potentielle, l’utilité de la mesure pour l’enquête et la personnalité du prévenu, la Cour de cassation confirme que l’appréciation de cette nécessité doit reposer sur un examen détaillé des circonstances propres à chaque espèce.
B. La portée de la solution au regard de la jurisprudence européenne
La solution retenue s’inscrit dans un dialogue constant avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment les arrêts *Aycaguer contre France* et *M.K. contre France*. Ces décisions ont posé des limites strictes à la collecte et à la conservation des données génétiques, en exigeant une appréciation rigoureuse de leur nécessité, notamment au regard de la nature et de la gravité de l’infraction concernée. L’arrêt *Aycaguer* avait ainsi sanctionné la France pour un régime de prélèvement jugé trop indifférencié et manquant de proportionnalité pour des délits mineurs.
En l’espèce, les juridictions françaises semblent s’efforcer de répondre à ces exigences en fondant leur décision sur la gravité de l’infraction sous-jacente, une menace de destruction par incendie, et non un délit mineur. L’insistance sur le caractère « absolument nécessaire » de la mesure face à une « infraction pénale grave » et sur la personnalité de l’intéressé peut être interprétée comme une tentative de distinguer cette affaire des cas précédemment sanctionnés par la Cour de Strasbourg. La communication de la requête à la Cour européenne des droits de l’homme démontre toutefois que la conformité de cette approche avec l’article 8 de la Convention n’est pas définitivement acquise et que l’équilibre trouvé par les juridictions nationales sera soumis à l’appréciation ultime du juge européen.
Par un arrêt en date du 21 juillet 2020, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur l’étendue des obligations procédurales incombant à un État membre au titre de l’article 2 de la Convention, s’agissant des droits reconnus aux proches d’une victime de meurtre.
En l’espèce, un homme découvrit le corps de son frère et alerta les autorités. L’enquête permit rapidement d’identifier un suspect, lequel fut mis en examen et placé en détention. Entendu en qualité de témoin, le frère de la victime signala la disparition de plusieurs biens au domicile du défunt, suggérant un mobile crapuleux. Il demanda par la suite à se constituer partie à la procédure pénale, à la fois comme partie accusatrice et partie civile, afin de défendre ses intérêts et de solliciter réparation. Les juridictions internes rejetèrent sa demande, au motif que la jurisprudence nationale limitait de manière stricte le droit à réparation du préjudice moral aux seuls conjoints, parents et enfants de la personne décédée, excluant de fait les frères et sœurs. Le requérant ne pouvait pas non plus prétendre à une réparation matérielle, car les objets disparus n’étaient pas considérés comme une conséquence directe de l’infraction de meurtre pour laquelle l’accusé était poursuivi. L’auteur du meurtre fut condamné à une peine d’emprisonnement, décision devenue définitive. Le frère de la victime saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant une violation de l’article 2 de la Convention du fait des carences de l’enquête et de son impossibilité de participer à la procédure et d’obtenir réparation.
Il convenait donc pour la Cour de déterminer si l’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention imposait à un État de garantir à un frère, unique héritier d’une victime de meurtre, la possibilité effective de se constituer partie à la procédure pénale et de demander réparation pour le préjudice moral subi.
La Cour européenne des droits de l’homme conclut à la violation de l’article 2 sous son volet procédural. Elle juge que si l’enquête pénale a été menée de manière efficace en aboutissant à l’identification et à la condamnation du responsable, l’impossibilité absolue pour le requérant de solliciter une réparation pour son préjudice moral, en raison d’une définition trop restrictive du cercle des ayants droit, constitue un manquement de l’État à son obligation de mettre en place un système judiciaire offrant une « réparation adéquate » aux proches de la victime.
L’appréciation par la Cour de l’effectivité du système judiciaire révèle une approche duale, validant d’une part la conduite de la procédure pénale répressive (I), tout en sanctionnant d’autre part les limites du droit à la réparation offert au proche de la victime (II).
I. Une enquête pénale jugée globalement conforme aux exigences conventionnelles
La Cour reconnaît d’abord que les autorités nationales ont rempli une partie essentielle de leurs obligations procédurales en menant une enquête sérieuse (A), bien que la participation du requérant à cette procédure ait été limitée (B).
A. La reconnaissance du caractère effectif de l’enquête répressive
La Cour rappelle que l’obligation procédurale de l’article 2 de la Convention requiert la mise en place d’un système judiciaire capable d’établir les faits, d’obliger les responsables à rendre des comptes et de fournir une réparation adéquate. En l’espèce, elle constate que les autorités bulgares ont agi avec diligence dès le signalement des faits. Une enquête a été « immédiatement ouverte », l’auteur présumé a été identifié, poursuivi et finalement condamné à une peine d’emprisonnement. La célérité et l’aboutissement de la procédure pénale ne font donc l’objet d’aucune critique.
En ce qui concerne le caractère approfondi de l’enquête, la Cour examine l’argument du requérant relatif à la piste d’un vol aggravé, qui aurait été négligée. Elle note cependant que les enquêteurs ont pris en considération cette hypothèse, effectuant des recherches sur les objets disparus. Le fait que ces investigations n’aient pas permis de confirmer le mobile crapuleux ou l’implication de tiers ne signifie pas pour autant que l’enquête était défaillante. La Cour estime ainsi que les autorités « ne sauraient conclure que les autorités ont omis de suivre une piste d’investigation qui s’imposait de toute évidence ». L’obligation de moyens pesant sur l’État a été satisfaite sur ce point, l’enquête ayant été adéquate et apte à élucider les circonstances principales du décès.
B. Une participation suffisante du requérant à la phase d’instruction
Le requérant se plaignait de ne pas avoir pu défendre ses intérêts légitimes, notamment durant la phase de jugement, en raison du refus de sa constitution de partie. La Cour examine cette question sous l’angle de l’accès du proche de la victime à la procédure. Elle observe que durant la phase d’enquête, le requérant a été entendu à plusieurs reprises, a été informé de ses droits et a eu accès au dossier de l’instruction, assisté de son avocat. Il a également pu formuler des observations et des demandes d’actes d’investigation, auxquelles le parquet a répondu.
La Cour en déduit que, malgré le rejet de sa demande de constitution formelle en tant que partie, « le requérant a été associé de manière suffisante à l’enquête pénale ». Cette implication durant la phase préparatoire a permis de sauvegarder une partie de ses intérêts légitimes. Si l’absence de participation à la phase de jugement « peuvent en principe soulever des questions sous l’angle des obligations procédurales », les circonstances de l’espèce ne permettent pas de conclure à une violation de l’article 2 sur ce seul fondement. La Cour sépare ainsi l’accès à l’information et la participation à l’enquête, qu’elle juge satisfaisants, de la question de l’accès à la réparation, qui sera au cœur de sa condamnation.
Cette validation de la procédure répressive met en lumière, par contraste, la lacune que constitue l’absence de toute voie de droit pour l’indemnisation du préjudice moral du requérant, lacune qui emporte la condamnation de l’État défendeur.
II. La sanction d’un droit interne privant le proche de la victime de toute réparation adéquate
La Cour consacre une violation de l’article 2 en raison de l’impossibilité pour le frère de la victime d’obtenir réparation, ce qui témoigne d’une interprétation évolutive de la notion de « réparation adéquate » (A) et renforce le droit à réparation des proches au sens large (B).
A. Une interprétation évolutive de la notion de « réparation adéquate »
Le cœur de la décision réside dans l’analyse de l’obligation pour l’État de « fournir aux victimes une réparation adéquate ». Le Gouvernement soutenait qu’en l’absence de consensus européen, les États disposaient d’une marge d’appréciation pour définir le cercle des bénéficiaires d’une indemnisation pour préjudice moral. La Cour va cependant procéder à une analyse approfondie du droit comparé et des normes européennes pour dépasser cet argument.
Elle constate l’existence d’un consensus clair parmi les États membres sur le principe même de la réparation du préjudice moral des proches d’une victime, même lorsque le décès est causé par un particulier. Si les modalités varient, la Cour observe que la grande majorité des États n’utilisent pas de listes exhaustives et privilégient une évaluation au cas par cas, fondée sur des critères comme « l’intensité des liens qui les unissaient au défunt ». La législation bulgare de l’époque, en excluant de manière absolue les frères et sœurs, apparaissait donc particulièrement restrictive. De plus, la Cour se réfère à la directive 2012/29/UE qui inclut expressément les frères et sœurs dans la définition des « membres de la famille » victimes. Cette évolution du droit, bien que postérieure aux faits pour son application en Bulgarie, témoigne d’une tendance européenne que la Cour prend en compte dans son interprétation dynamique de la Convention.
B. Le renforcement du droit à réparation des proches au-delà du premier cercle familial
En définitive, la Cour juge que l’impossibilité pour le requérant, unique membre de la famille et héritier de son frère avec qui il entretenait une relation étroite, de prétendre à une quelconque indemnisation pour son préjudice moral constitue une défaillance du système judiciaire. En ne prévoyant « aucune voie de recours qui aurait permis à l’intéressé de prétendre à une réparation pécuniaire du dommage moral », l’État défendeur a manqué à son obligation de fournir une réponse judiciaire complète et appropriée.
La portée de cet arrêt est significative. Il affirme que l’obligation de réparation adéquate sous l’article 2 ne peut être satisfaite par une législation qui exclut a priori et de manière absolue des parents proches, comme un frère, surtout lorsqu’il est le seul survivant. L’existence d’une relation affective réelle et l’intensité du préjudice subi doivent pouvoir être examinées par un juge. L’arrêt invite ainsi les États membres dont la législation serait सिमिलairement restrictive à revoir leurs dispositions pour s’assurer qu’elles permettent une appréciation concrète de la situation des proches de la victime. En dépit de l’efficacité de la procédure pénale, l’absence de cette soupape indemnitaire a suffi à caractériser une violation de l’article 2, consacrant ainsi une vision plus protectrice et individualisée des droits des victimes par ricochet.
Article L4163-2-1 du Code pénal
Définition et application par la jurisprudence
Texte de loi
Article L4163-2-1
Dans le cadre d’accords, les branches professionnelles peuvent établir des listes de métiers ou d’activités particulièrement exposés aux facteurs de risques professionnels mentionnés au 1° du I de l’article L. 4161-1 du présent code, en vue de l’application de l’ article L. 221-1-5 du code de la sécurité sociale .
Source : Légifrance (DILA) – Licence Ouverte 2.0
Consulter sur LégifranceApplication par la jurisprudence
Nota bene — L’article L4163-2-1 sert surtout de fondement pour apprécier, en contentieux, si un accord de branche a valablement établi une liste de métiers “particulièrement exposés” aux facteurs de risques visés à l’article L.4161-1, afin d’ouvrir les droits prévus par l’article L.221-1-5 du CSS. Les juges contrôlent la légalité et la portée de ces listes: conformité aux critères légaux, opposabilité aux entreprises de la branche, et lien concret avec l’exposition effective. En l’absence d’accord de branche valable, le texte n’est pas auto‑exécutoire et ne crée pas à lui seul un droit individuel. La jurisprudence publiée demeure rare, les litiges se cristallisant surtout sur la validité des accords et la preuve de l’exposition réelle.
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Prendre rendez-vousUn détenu, incarcéré pour des faits de meurtre et de violences aggravées, a été soumis à plusieurs fouilles intégrales sur une période de plus de deux ans au sein d’une maison d’arrêt. Estimant que ces mesures répétées révélaient une décision informelle instaurant un régime de fouille systématique et que chaque fouille était, en tout état de cause, illégale, l’intéressé a saisi la juridiction administrative. Le tribunal administratif de Toulon, par un jugement du 21 octobre 2024, a partiellement fait droit à sa demande, annulant la décision révélée de fouille systématique ainsi que plusieurs des fouilles individuelles contestées. Le Garde des sceaux, ministre de la justice, a interjeté appel de ce jugement, soutenant l’absence de décision systématique et le caractère justifié et proportionné de chaque mesure de fouille. Le détenu, par la voie de l’appel incident, a sollicité l’annulation de l’ensemble des fouilles subies. La question posée à la Cour administrative d’appel était donc double. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si la répétition de fouilles intégrales pouvait caractériser une décision implicite instaurant un régime systématique illégal et, d’autre part, si les fouilles, prises individuellement, étaient nécessaires et proportionnées au regard du profil du détenu et des circonstances les ayant entourées. Dans sa décision du 16 juin 2025, la Cour administrative d’appel annule le jugement de première instance. Elle juge qu’en l’absence de fréquence suffisamment élevée et au regard des événements spécifiques ayant motivé chaque mesure, l’existence d’une décision informelle de fouille systématique n’est pas établie. Elle estime en outre que chaque fouille intégrale était justifiée par le profil particulièrement dangereux du détenu et le risque d’introduction d’objets prohibés, jugeant la mesure nécessaire et proportionnée.
La Cour administrative d’appel opère ainsi une appréciation rigoureuse du caractère non systématique des mesures de fouille (I), avant de procéder à une validation circonstanciée de leur nécessité au regard des impératifs de sécurité (II).
***
I. La réfutation du caractère systématique des fouilles
La Cour rejette l’analyse des premiers juges en écartant l’existence d’une décision de fouille systématique révélée par la seule fréquence des mesures (A), pour s’en tenir à une interprétation stricte des conditions de mise en œuvre d’un tel régime (B).
A. L’appréciation factuelle de la fréquence des mesures
Le tribunal administratif avait retenu l’existence d’une « décision révélée instaurant un régime de fouille intégrale systématique », se fondant sur la récurrence des mesures subies par le détenu. La Cour censure ce raisonnement en procédant à une analyse factuelle détaillée de la situation. Elle relève que « sur 29 décisions prises, M. A… a, en réalité, fait l’objet, sur la période considérée, à l’occasion d’évènements spécifiques tenant à des parloirs avec la famille, des sorties d’atelier, des extractions médicales ou judiciaires, de 17 fouilles intégrales, ce qui représente en moyenne environ une fouille intégrale par mois ». En ramenant la fréquence à sa juste proportion et en liant chaque mesure à un événement précis, la juridiction d’appel refuse de voir dans cette répétition un automatisme. Elle juge que ces éléments factuels ne permettent pas de considérer que le détenu « a été regardé comme ayant fait l’objet d’une décision informelle de fouille intégrale systématique ». La Cour oppose ainsi une logique quantitative et contextuelle à la qualification juridique retenue en première instance.
B. Le rappel des exigences légales du régime de fouille systématique
En déclarant « inexistante » la décision de fouille systématique, la Cour réaffirme implicitement les conditions très strictes posées par l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Ce texte prévoit que de telles mesures ne peuvent être systématiques que « lorsque les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l’imposent ». Surtout, leur mise en place exige une décision formelle du chef d’établissement « pour une durée maximale de trois mois renouvelable après un nouvel examen de la situation de la personne détenue ». En jugeant qu’une simple succession de fouilles, même nombreuses, ne suffit pas à constituer un tel régime, la Cour souligne la nécessité d’un acte formalisé, motivé et temporaire. La solution protège ainsi les détenus contre des pratiques qui deviendraient systématiques sans respecter le cadre procédural garantissant un réexamen périodique de leur situation. Elle contraint l’administration à justifier chaque mesure individuellement si elle ne souhaite pas recourir à cette procédure encadrée.
***
Ayant écarté l’existence d’un régime systématique, la Cour se livre à un contrôle concret de la légalité de chaque fouille, en se fondant sur une balance précise entre les droits du détenu et les nécessités de la sécurité pénitentiaire.
II. La justification des fouilles par une appréciation concrète de la nécessité
La Cour valide les mesures individuelles en se fondant d’une part sur le profil et le comportement du détenu (A) et d’autre part sur l’application du principe de subsidiarité de la fouille intégrale (B).
A. La prise en compte du profil et du comportement du détenu
Pour juger les fouilles justifiées, la Cour dresse un portrait détaillé du requérant, mettant en exergue sa dangerosité. Elle s’appuie sur « les antécédents judiciaires de l’intéressé, à son parcours disciplinaire et à son comportement ». La décision relève ainsi que l’individu a été condamné pour des faits d’une particulière gravité, qu’il a été sanctionné disciplinairement à de multiples reprises, notamment pour la « détention d’un mini téléphone portable et d’une carte SIM », et qu’il a été retrouvé « en possession d’une lame de rasoir » après des tentatives de suicide et des actes d’auto-mutilation. Ces éléments, pris dans leur ensemble, constituent pour le juge des motifs suffisants pour justifier une vigilance accrue. La Cour considère que ces circonstances, liées aux risques inhérents aux contacts avec l’extérieur, rendaient plausible la tentative d’introduire des objets interdits, justifiant une mesure intrusive pour préserver « la sécurité de l’établissement que pour lui-même ou ses codétenus ».
B. Le contrôle de la subsidiarité et de la proportionnalité de la mesure
La fouille intégrale demeure une mesure subsidiaire, qui n’est possible « que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ». La Cour répond à cette exigence en affirmant que, dans les circonstances de l’espèce, le recours à de telles fouilles « apparaît (…) nécessaire et proportionné, dès lors qu’aucune autre mesure moins intrusive n’aurait permis d’atteindre le même but dans des conditions équivalentes ». Bien que formulée de manière conclusive, cette affirmation repose sur l’ensemble des éléments précédemment cités, notamment le fait que le détenu avait déjà réussi à dissimuler des objets dangereux. Cette analyse pragmatique confère à l’administration pénitentiaire une marge d’appréciation importante, tout en la maintenant sous le contrôle du juge. La solution illustre le délicat équilibre que le juge administratif doit trouver entre la protection de l’ordre public pénitentiaire et la sauvegarde de la dignité des personnes détenues, principe auquel il se réfère en précisant qu’il n’est pas allégué que les fouilles se seraient déroulées dans des conditions attentatoires à la dignité humaine.
Par un arrêt rendu le 9 avril 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un étranger présent sur le territoire national depuis son enfance, dont la présence était considérée par l’administration comme une menace grave pour l’ordre public. En l’espèce, un individu de nationalité étrangère, arrivé en France à l’âge de trois ans, s’est vu refuser la délivrance d’un titre de séjour et notifier une obligation de quitter le territoire français, assortie d’une interdiction de retour de dix ans. Cette décision préfectorale était motivée par le comportement de l’intéressé, notamment sa mise en cause dans des faits de meurtre ayant conduit à son placement en détention provisoire. Saisi par l’étranger, le tribunal administratif de Bordeaux avait annulé la mesure d’éloignement, estimant qu’elle portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement. La question de droit soumise à la cour était de déterminer si une déclaration d’irresponsabilité pénale, en raison de troubles psychiques ayant aboli le discernement, pouvait faire obstacle à la qualification de menace grave pour l’ordre public justifiant une mesure d’éloignement. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que l’appréciation de la menace pour l’ordre public repose sur des considérations objectives distinctes de la responsabilité pénale de l’auteur des faits.
La solution retenue par les juges d’appel consacre une conception autonome de la menace à l’ordre public, indépendante de la responsabilité pénale (I), ce qui conduit à une application rigoureuse de la balance entre les impératifs de la sécurité publique et le droit au respect de la vie privée et familiale (II).
I. La consécration d’une menace à l’ordre public décorrélée de la responsabilité pénale
La cour administrative d’appel affirme avec clarté que la menace pour l’ordre public est une notion objective, dont l’existence n’est pas conditionnée par la reconnaissance d’une culpabilité pénale (A). Cette position permet de fonder la mesure d’éloignement sur la seule matérialité et la gravité des actes commis par l’étranger (B).
A. L’autonomie de la notion de menace à l’ordre public
La juridiction d’appel prend soin de distinguer l’analyse conduite par le juge administratif de celle du juge pénal. En effet, elle énonce que la circonstance qu’un non-lieu ait été prononcé pour irresponsabilité pénale « est sans incidence pour la qualification de menace à l’ordre public, qui procède de considérations objectives indépendantes de la responsabilité pénale de leur auteur ». Ce faisant, elle rappelle que la police administrative des étrangers poursuit une finalité préventive, visant à protéger la société d’un danger futur, et non une finalité répressive, qui tend à sanctionner un comportement passé. L’abolition du discernement au moment des faits, qui fait obstacle à une condamnation pénale, n’empêche donc pas l’administration de considérer que la présence de l’individu sur le territoire constitue un risque pour la sécurité et la tranquillité publiques. Cette dissociation entre la responsabilité pénale et le risque administratif est une illustration de l’autonomie du droit public, qui évalue les situations au regard de ses propres critères et objectifs.
B. L’appréciation de la gravité des faits comme fondement de la mesure
Pour caractériser la menace, la cour ne s’attache pas à l’état mental de l’individu au moment des faits, mais à la nature des actes eux-mêmes. Elle relève ainsi « la particulière gravité de l’acte considéré », à savoir des faits de meurtre et de destruction de bien, précédés d’une condamnation pour violences sur une personne dépositaire de l’autorité publique. Le raisonnement de la cour est purement objectif : la dangerosité d’un individu s’évalue à l’aune de la matérialité de son comportement. En retenant que la présence de l’intéressé « est de nature à représenter une menace grave pour l’ordre public », la cour valide l’analyse préfectorale et ancre la décision d’éloignement dans une logique de précaution. La solution se justifie par la nécessité de garantir la sécurité, même lorsque les troubles causés ne peuvent être imputés à une volonté délictueuse au sens du droit pénal.
Cette interprétation stricte de la menace à l’ordre public influence nécessairement la mise en balance des intérêts en présence, en accordant un poids prépondérant aux exigences de la sécurité publique.
II. La prépondérance de l’ordre public sur l’intégration personnelle et les garanties procédurales
La qualification de menace grave pour l’ordre public une fois établie, la cour procède à un contrôle de proportionnalité qui s’avère défavorable à l’étranger (A). Dans ce contexte, les arguments tirés de vices de procédure sont également écartés au profit d’une approche pragmatique de la légalité administrative (B).
A. Une mise en balance défavorable au droit au respect de la vie privée et familiale
Conformément aux exigences de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le juge doit s’assurer que l’ingérence dans la vie privée et familiale de l’étranger est proportionnée au but poursuivi. En l’espèce, la cour reconnaît l’ancienneté du séjour de l’intéressé en France, ainsi que la présence de sa famille proche. Cependant, elle oppose à ces éléments la gravité des faits commis, mais aussi un « défaut d’intégration » et sa situation de célibataire sans charge de famille. Le poids accordé à la menace pour l’ordre public est tel qu’il l’emporte sur des liens personnels et familiaux pourtant forts, tissés depuis l’enfance. La décision illustre ainsi une application rigoureuse du contrôle de proportionnalité, où la protection de la société est érigée en impératif majeur face auquel les considérations personnelles, même dignes d’intérêt, peinent à prévaloir.
B. La neutralisation des vices de procédure au nom de l’efficacité administrative
L’étranger soulevait également des moyens de légalité externe, notamment un vice de procédure tenant à l’absence de saisine de certaines autorités avant la consultation du fichier des antécédents judiciaires. La cour écarte cet argument en appliquant la jurisprudence selon laquelle un vice de procédure n’entache d’illégalité la décision que s’il a été susceptible d’exercer une influence sur son sens ou a privé l’intéressé d’une garantie. Elle estime qu’en tout état de cause, le préfet « aurait, en tout état de cause, pris la même décision s’il s’était fondé sur ces seuls faits d’une gravité particulière ». Cette motivation révèle une volonté de ne pas annuler une décision pour une irrégularité formelle lorsque son contenu apparaît matériellement justifié par un autre motif, légal et suffisant. Cette approche pragmatique, si elle garantit l’efficacité de l’action administrative, réduit la portée des garanties procédurales lorsque des considérations substantielles d’ordre public sont en jeu.
Par un arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, du 18 juin 2025, il est statué sur une désignation de juridiction d’appel d’assises. Une personne, condamnée le 19 mars 2025 par la cour d’assises de la Meurthe‑et‑Moselle pour tentative d’assassinat en récidive et délits connexes, a interjeté appel. Le ministère public a formé appel incident et a déposé des observations écrites. La chambre criminelle, « composée en application de l’article 567‑1‑1 du code de procédure pénale », a délibéré après audience publique, puis a rendu l’arrêt. La question portait sur la détermination de la cour d’assises appelée à connaître de l’appel, en application du mécanisme centralisé de désignation prévu par le code de procédure pénale.
La solution se présente sous une forme brève et normative. La Cour vise d’abord le fondement textuel, énonçant: « Vu l’article 380‑14 du code de procédure pénale : ». Elle fixe ensuite la juridiction d’appel compétente par la formule décisoire: « DÉSIGNE, pour statuer en appel, la cour d’assises de la Moselle ». La décision ne tranche pas le fond de l’action publique. Elle organise le déroulement de la phase d’appel devant une autre cour d’assises territorialement distincte, conformément au régime spécial de l’appel d’assises.
I. Fondement et office de la désignation
A. Le cadre légal de l’appel d’assises
L’appel des arrêts d’assises obéit à des règles spécifiques, issues d’une logique d’égal accès à un second examen et de maîtrise des risques locaux. Le code confie à la Cour de cassation la charge de désigner la juridiction d’appel, pour sécuriser la répartition et prévenir toute prévisibilité stratégique. La chambre criminelle rappelle ainsi le support normatif, en visant le texte pertinent: « Vu l’article 380‑14 du code de procédure pénale : ». Ce visa indique que la désignation n’est ni discrétionnaire ni implicite, mais procède d’un pouvoir encadré par la loi.
La composition de la chambre confirme la nature procédurale et concentrée de l’office. La décision précise qu’elle a été rendue par la chambre criminelle « composée en application de l’article 567‑1‑1 du code de procédure pénale », disposition permettant une formation restreinte pour les actes juridictionnels de répartition. La motivation tient en un rappel sec du fondement légal, ce qui correspond à la pratique constante des arrêts de désignation.
B. La portée juridique de l’office exercé
L’office de la chambre criminelle consiste à assigner l’affaire à une cour d’assises d’appel idoine, distincte de celle du premier ressort, pour une bonne administration de la justice. La formule décisoire, brève et impérative, le manifeste: « DÉSIGNE, pour statuer en appel, la cour d’assises de la Moselle ». Ce choix n’affecte ni la régularité de la déclaration de culpabilité, ni les moyens de fond, qui seront débattus devant la juridiction désignée.
La décision opère un acte d’organisation juridictionnelle, non un contrôle du litige. Elle fixe le cadre territorial du second examen, sans préjuger du traitement des moyens d’appel. Le silence sur les circonstances concrètes est volontaire et conforme à la nature abstraite de la désignation, centrée sur l’ordre judiciaire plutôt que sur l’espèce.
II. Valeur et portée de la désignation opérée
A. Les garanties d’impartialité et de bonne administration
La centralisation de la désignation par la Cour de cassation répond à une exigence de distance institutionnelle et de neutralisation des influences locales. En procédant par un arrêt autonome, la chambre criminelle stabilise l’instance d’appel et réduit les risques de conflits de compétence. La mention « Vu l’article 380‑14 du code de procédure pénale : » crédite la solution d’une assise textuelle explicite, qui évite les contestations accessoires.
Le choix d’une cour d’assises d’un autre département du même ressort géographique ménage un équilibre. Il garantit une séparation suffisante par rapport au premier jugement, tout en préservant la proximité fonctionnelle et la célérité. Le dispositif, normé et routinier, sert la prévisibilité procédurale sans rigidifier le traitement des affaires.
B. Les incidences pratiques et l’appréciation critique
La désignation emporte des effets concrets sur la préparation de l’audience d’appel, la convocation des parties civiles et l’organisation de la défense. Le transfert dans un département voisin limite les charges logistiques, tout en maintenant l’exigence d’un nouveau débat contradictoire devant jurés et magistrats différents. L’économie générale du mécanisme protège ainsi la lisibilité du parcours procédural.
La brièveté de la motivation, concentrée sur l’énoncé légal et le dispositif, peut susciter le souhait d’une traçabilité accrue des critères de choix. Toutefois, l’acte vise exclusivement l’ordonnancement des juridictions et s’inscrit dans une typologie d’arrêts techniques. La formule « DÉSIGNE, pour statuer en appel, la cour d’assises de la Moselle » suffit, car elle circonscrit avec précision la compétence et ferme tout contentieux incident.
Aussi l’arrêt confirme-t-il la cohérence d’un schéma de répartition placé sous l’autorité normative de la Cour de cassation. Le rappel du fondement, la désignation claire et l’économie rédactionnelle assurent la sécurité procédurale attendue, sans empiéter sur le débat de fond réservé à la juridiction d’appel.